Les grandes dates de la Maçonnerie anglaise au XVIIIe siècle - Essai de chronologie
Paul Paoloni, 2017
I. Ecosse : 1598/1700
Des Statuts Shaw aux 4 Ms du groupe Haughfoot : le 17e siècle écossais ; maçonnerie opérative en 2 grades + le Maître de la loge, et un secret principal : le Mot du Maçon
Henry Adamson The Muses Threnodie Edinburgh 1638 – Mary’s Chapel Lodge Edinburgh admet Sir Robert Moray en 1641, mais en déplacement en Angleterre
En 1691 Revd. Robert Kirk définit le Mason Word is like a Rabbinical Tradition, in way of comment on Jachin and Boaz, the two Pillars erected in Solomon’s Temple (I Kings, vii, 21) with an addition of some secret Signe delivered from Hand to Hand, by which they know and become familiar one with another.
1696-1720 : 4 Ms écossais (aide-mémoire) du groupe Haughfoot. 2 parties :
- The forme of giving the Mason Worde : Le Ms d’Edimbourg (1696) et le Kevan (1714-1720) nous révèlent que ce Mot est double : Jachin & Boaz Il est donné à l’Apprenti Entré selon certaines formes Le « Compagnon ou Maître » reçoit d’autres « secrets » au moyen des Five Points Of Fellowship.
- un « catéchisme » pour vérifier les connaissances.
II. Angleterre : apparition de la maçonnerie spéculative
Elias Ashmole reçu maçon : 1646. Oct. 16. 4h30. p.m. I was made a Free Mason at Warrington in Lancashire... Il y reviendra seulement en 1682 à Londres. La très ancienne Cie des maçons de Londres (1472 God is our Guide) réunissait encore au 17e s les opératifs (grand incendie de Londres 1666) mais « acceptait » aussi des personnalités étrangères au craft, qui faisaient donc figure de « spéculatifs »... Mais la « transition » n’est pas démontrée...
1717/1721 : GL de Londres – la date avancée par le texte des Constitutions (1717) est remise en cause depuis qq années, au profit de celle de 1721, et l’entrée de la noblesse.
1723 : Constitutions (par James Anderson, compilateur, supervisées par Désaguliers, non signées). Essentiellement une exposition historique en grande partie imaginaire sur l’origine de la maçonnerie (autour du Temple de Salomon), et diverses règles de fonctionnement.
1725 : GL d’Irlande : reprise d’Anderson 1736 : GL d’Ecosse : idem
1700-1730 : 1e période d’apparition de Ms (aide-mémoire) ou publications (anglais ou irlandais : «divulgations» 1723-1730) La Cérémonie d’Installation Secrète du V.M., le craft d’origine en 2 grades passe à 3, les Loges Ecossaises. Seul le premier point est évoqué dans les Constitutions de 1723, dans un Post Scriptum de 2 pages, évoquant la « constitution d’une nouvelle loge selon les usages des anciens Maçons ».
Installation du V.M. : Le G.M. annonce l’installation du nouveau V.M., selon un discours qui est rapporté, et auquel s’ajoutent cependant « d’autres formules habituelles à cette occasion, qu’il ne convient pas d’enregistrer par écrit ». Enfin le G.M. procédera à son installation « conformément aux usages anciens selon un cérémonial approprié », et lui remettra les divers instruments de son office. Cette installation est reprise textuellement dans la 2e édition des Constitutions en 1738, mais il faudra attendre 1760 pour prendre connaissance de son contenu, dont l’essentiel, un attouchement et un mot, se rencontrent déjà dans certains textes de la période 1700-1730.
Loges de Maîtres : 1731 : frontispice des « Constitutions de Cole » illustrant la Loge de Maîtres (Masters’ Lodges), loges spéciales dont plusieurs figurent dans des listes de loges gravées, dès 1733, à Londres essentiellement.
On assiste à l’apparition progressive du nouveau grade de « maître » (distinct du V.M. que les Anglais nomment le « maître de la loge ») à partir de 1724-1725. Il ne figure pas dans les Constitutions, et la G.L. ne le reconnaîtra qu’au cours de l’année 1925. Mais au cours des premières années, de nombreuses loges se refusant à la pratiquer, on assiste à la création « ex nihilo » de loges dédiées à la seule transmission de ce grade, d’abord à Londres. Elles n’ont pas de patente et ne sont pas soumises à l’autorité de la G.L qui est encore faible à cette époque. Ces loges disparaîtront lorsque la pratique du grade sera suffisamment répandue.
Difficulté d’interprétation des documents : les aide-mémoire Ms (1700-1730) portent des dates approximatives qui, sur une brève période de 30 ans, ne permettent pas d’assurer une chronologie indubitable. Leur contenu est parfois incohérent avec leur chronologie théorique.
Les imprimés (1723-1730) sont tous contemporains de la naissance du grade de maître, mais ils se contredisent souvent car ces « divulgations » sont essentiellement dues à des profanes.
Exemples significatifs : (cf R.T. n°175 pp.177 à 185 « Quatre Grades et cinq Mots » la liste complète des mots et attouchements des textes anglais de 1700 à 1830).
On voit apparaître dès 1700 (Ms Sloane) un système en 3 grades distincts avec un mot en MB (Mahabyn). Le Ms Trinity College (Dublin, 1711) distingue aussi 3 grades avec chacun son mot : le maître a déjà aussi un mot en MB : Matchpin.
Le Ms A Dialogue between Simon and Philip (1725-1735) présente pour la 1e fois, les 2 versions du tableau de loge, archaïque et selon les règles de la G.L. de Londres.
Le Ms Graham (1726) fournit le premier état complet de la légende de la mort d’Hiram, fondement du grade de maître, la « parole perdue ». Il utilise pour la 1e fois les FPOF – qui étaient destinés auparavant à transmettre les mots du Compagnon – pour relever un corps, et substituer une autre parole à celle qui fut « perdue ».
Dans les imprimés, A Mason’s Examination (1723) présente de façon confuse, il est vrai, un système en 3 grades dont le maître a aussi un mot en MB (Maughbin). WIFMO (1725 Irlande) présente une version en 3 étapes (irlandaise ?) au moyen des mots : J&B, MB (Magboe) et enfin Gibboram.
C’est Masonry Dissected (Prichard à Londres 1730) qui aura le dernier mot : 3 grades véritables, les 3 mots (avec encore quelque peu de confusion dans leur utilisation) et la légende « normalisée » du grade de maître. Cet ouvrage va contribuer à fixer les usages, d’abord à Londres. Il sera utilisé longtemps comme aide-mémoire, au cours du masonic gap de 30 ans qui suivra sa parution.
Si à Londres le grade de maître va se répandre assez vite, dans les Provinces, certaines loges ne le pratiqueront pas avant 10 ou 20 ans, voire encore plus en Ecosse... qui restera bloquée longtemps sur sa maçonnerie en 2 grades.
1738 : 2e édition des Constitutions (triple du contenu de la précédente édition, signature au «Privilège» page 199) Hormis ce texte, Masonic gap des ‘Modernes’ des années 1730/1760
Loges de Maîtres écossais : apparition à la même date de 1733 de la 1e mention d’une Scotch Masons’ Lodge (loge de maîtres écossais) à Londres, puis toujours à Londres, apparition documentée du Royal Order of Scotland (1741) avec ses 2 étapes (Heredom of Kilwinning et Knight of the Rosy Cross) et du Royal Arch (Arc Royal) en 1744. Ces grades avaient pour justification la recherche de la parole « perdue » avec l’apparition du grade de maître. Il était donc logique qu’ils apparussent assez vite après la venue de ce dernier. On a longtemps glosé sur la pratique de ces loges, apparues rapidement aussi dans les Provinces anglaises, 10 ans à peine avant les documents attestant la pratique de l’A.R. Les grades d’Ecossais n’apparaissent en France et en Allemagne qu’après 1740, avec des rituels qui – pour les plus anciens – ont des spécificités « anglaises » discernables. Certains FF. qui ont, dans les années 1735-1742, fondé des loges « écossaises » en France, Allemagne, Portugal, avaient été reçus à Londres autour de 1730... (O’Kelly d’origine irlandaise à Lisbonne (1735-1738); Coustos à Londres (1730), puis Paris (1735-1740) et enfin Lisbonne (1740-1744) ; le groupe de FF. français et italiens qui avaient fondé la loge écossaise « L’Union » à Berlin en 1742, tous initiés à Londres, etc.). On peut conjecturer sans risque démesuré (compte-tenu de récentes découvertes documentaires) que les loges écossaises de Londres en 1733 pratiquaient un grade proche d’un A.R. primitif. Nous ne disposons d’aucun rituel anglais de ce grade avant 1785/1790 (Sheffield). Or ce grade était pourtant pratiqué sous cette dénomination, dès le début des années 1740 en G.B.
NB : Les loges particulières, de maîtres ou de maîtres écossais, ne seront plus mentionnées à partir de 1760 environ.
III. Le pseudo « Schisme »
1751 : GL des Anciens : origines irlandaises ; reprochent aux « Modernes » de s’éloigner des traditions « chrétiennes » (I.S. du V.M. tombée en désuétude, « rétablie », pratique de l’A.R. comme 4e grade, prières, etc.) et d’être devenu un lieu de mondanités. (voir les récents travaux de Ric Berman : Foundation of modern Freemasonry (2011) et Schism (2013)).
A ce moment, la maçonnerie « moderne » traverse depuis plus de 15 ans une période « creuse » avec baisse et démotivation des effectifs. Il y avait cependant une frange de la maçonnerie dépendant de la G.L. de Londres qui maintenait une activité soutenue dans le respect des règles maçonniques et qui a été dénommée les Traditioners par John Heron Lepper (AQC LVI – 1946). Les « modernes » se relèveront au cours des années 1760.
1756 : Ahiman Rezon de Laurence Dermott (Secrétaire de la G.L des Anciens) dont la page de titre souligne les bienfaits de la « Stricte Observance des Principes du Métier » (rééd 1764, etc.).
1760-1769 : 2e vague de « divulgations » TDK, J&B, et des traductions du Trahi 1745 (A Master Key to Freemasonry 1760) et Démasqué 1751 (Solomon in all his Glory 1766). La plupart de ces textes sont dits illustrer les pratiques des Anciens. On verra en comparant avec Browne (infra 1798) que les pratiques rituelles des Anciens et des Modernes étaient très proches à qq détails près.
Les 2 principaux ouvrages montrent une grande évolution, provenant en partie non négligeable des usages français tels qu’ils figuraient dans les divulgations publiées dès 1737 (Hérault) mais surtout 1744-1745 (Secret, Catéchisme et Trahi).
Rituel bcp plus étendu, ouverture/clôture formalisées (1er grade seulement), instructions et cérémonies (dessin précis du tableau de loge à cet effet, avec emplacement des officiers, chandeliers, etc). Travaux habituels autour d’une table servie en liqueurs diverses, pour travailler les instructions.
L’ouvrage J&B a connu une longévité extraordinaire, et a continué d’être utilisé comme « aide- mémoire » très avant dans le 19e s., tant en Gde Bretagne qu’aux E.U., et autres lieux d’obédience anglaise. On en connaît des éditions en 1830, et ce malgré l’évolution du rituel...
Description assez complète de l’Installation ésotérique du V.M. pour la 1e fois – dépourvue de légende, laquelle pourrait n’être apparue qu’au 19e s. - Le contenu ésotérique de cette Installation figurait à peu près intégralement dans un rituel français d’écossais primitif, l’Ecossais des 3JJJ, pratiqué à Paris dès env. 1740, découvert et publié par René D. qui en démontrait l’origine anglaise...
1772/1812 : William Preston (Lodge Antiquity) « Illustrations of Masonry » (9 éditions de son vivant) inspirent Finch (1802-1814), qui inspire à son tour Carlile (1825). Son contenu a inspiré les auteurs du rituel issu de la fusion des 2 G.L.
1785/1790 : Ms du premier rituel anglais connu de l’Arc Royal dit « Sheffield » (en France dès 1760, moins complet) Célébration du Temple (rapports étroits avec le Ms Dumfries c.1710)
1798/1802 : John Browne, dernier rituel des « modernes », intitulé Masonic Masterkey through the Three Degrees. Fournit des Tableaux peints des 3 grades. L’auteur a écrit sous un évident pseudonyme (qu’on n’a jamais éclairci) un ouvrage assez précis (encore que souvent allusif) sur la maçonnerie des «modernes » à la fin du 18e s. (rituel courant, cérémonies, instructions). Ouvrage presque entièrement « chiffré », il a fallu attendre 1931 pour son décodage par le savant Cartwright, et qui sera réservé sous la forme d’un tapuscrit de 100 feuillets, probablement reproduit à la main à qq poignées d’exemplaires nominatifs, à une autre poignée de maçons éminents de la GLUA. Pas édité pour le moment, ni encore traduit.