Le dossier de la franc-maçonnerie irlandaise

Roger Dachez. 2012

Il y a une logique historique et traditionnelle à étudier le « dossier » irlandais après les dossiers écossais et anglais, comme nous l’avons fait dans cette loge, puisque cela correspond à l’ordre d’apparition dans le temps de ces Maçonneries. La vision des débuts de la Maçonnerie a beaucoup changé depuis une trentaine d’années grâce aux historiens écossais et anglais les mieux à même d’appréhender cette période fondatrice dans son contexte. Pour autant, tout n’est pas encore élucidé aujourd’hui. On sait maintenant qu’il y a plusieurs origines à la franc-maçonnerie, que des branches écossaises et anglaises ont perduré tandis que d’autres ont disparu, que certaines se sont mélangées tandis que d’autres sont restées à l’écart, et que tout cela, au cours d’une évolution scandée de ruptures, a débouché sur une sorte de synthèse, au début du XVIIIe siècle, qui a donné naissance à la franc-maçonnerie spéculative obédientielle. Mais, on le voit, tout ce débat sur les origines de la Maçonnerie se situe dans un contexte écossais et anglais. Alors quid de l’Irlande et de cette maçonnerie si spécifique quant à son esprit, sa structure, sa pratique ? En réalité, l’étude des origines de cette maçonnerie est difficile car il existe peu de sources.

Historiquement, la Maçonnerie irlandaise apparaît tardivement. En 1598, les statuts Schaw sont écossais ainsi que les plus anciens textes rituels connus (1696). La 1ère Grande Loge avec le 1er Grand Maître en 1717 sont anglais. Ce n’est qu’en 1751 que les Irlandais arrivent sur le devant de la scène maçonnique avec l’apparition, en Angleterre, de la Grande Loge dite des Anciens qui entre immédiatement en conflit avec la Grande Loge de 1717 qualifié par les « Anciens » de « Moderne ». Ce conflit entre les « Modernes » et les « Anciens » est fondamental dans l’histoire de la franc-maçonnerie et sa connaissance est indispensable si l’on veut comprendre que cette société repose, encore aujourd’hui, sur deux traditions maçonniques distinctes, deux grands rites distincts, deux grands systèmes symboliques distincts. Or cette Grande Loge des Anciens a principalement pour fondateurs des frères irlandais, ces irlandais particulièrement mal vus et mal reçus par les anglais qui fuyaient la pauvreté de leur île. Il n’en reste pas moins que cette Grande Loge finira par s’implanter dans le paysage maçonnique anglais, que la rivalité avec la Grande Loge des Modernes va durer pendant près de 60 ans pour s’achever finalement par une union en 1813 qui donnera naissance à la Grande Loge Unie d’Angleterre.

D’où venaient ces maçons irlandais de 1751 et qui étaient-ils ?

Les sources de la Maçonnerie irlandaise

En ce qui concerne d’éventuelles origines opératives, on notera qu’à la fin du XVIe siècle en Irlande, à l’époque où William Schaw rédige ses célèbres statuts à l’intention des maçons écossais, l’architecture n’est pas du ressort des maçons mais des charpentiers (qui avaient d’ailleurs une grande importance durant tout le Moyen-Âge bien qu’ils aient laissé peu de traces). C’est en bois que l’on construit et on remarque que, contrairement à l’Angleterre, il n’existe pas d’Anciens devoirs ou Old Charges irlandais relativement à l’histoire du Métier, aux usages des chantiers, aux règles morales et professionnelles. Par contre les guildes municipales apparaissent à l’imitation de ce qui existe en Angleterre. Elles détiennent le pouvoir politique local. Si, à Dublin, on y constate la présence de maçons, ils sont minoritaires et ce sont surtout les charpentiers, les couvreurs, les meuniers qui commandent. Ces guildes sont dirigées par un Maître (qui est un charpentier), assisté de gardes (wardens). Il ne semble pas qu’il ait existé de cérémonies spécifiques de réception ni de rituel. De même, il n’existe pas de Loge en relations avec les guildes ou incorporations comme en Ecosse. Il n’y a donc pas d’antécédent connu pouvant assigner une origine opérative à la Maçonnerie irlandaise.

En 1830, lors de la démolition d’un pont à Limerick, on a trouvé dans la pile Nord-Est une équerre avec cette inscription : « Je m’efforcerai avec amour et soin de vivre par le niveau et par l’équerre » et cette date : 1507. La découverte est belle et plausible même si certains l’ont contestée mais, au vrai, de quoi témoigne-t-elle ? Qu’à cette époque –le début du XVIe siècle- on illustrait des sentences morales par des outils ? Cela on le sait puisqu’au Moyen Âge déjà la Maçonnerie opérative était l’objet de discours moraux.

En réalité, c’est à la date de 1688 que l’on peut faire remonter le premier témoignage de l’existence d’une franc-maçonnerie en Irlande. Il s’agit du fameux manuscrit du Trinity Collège à Dublin, collège fondé par les anglais et pour des anglais, donc pour l’élite anglo protestante (alors que la majorité des irlandais est catholique). Dans ce manuscrit il est question d’une loge de francs-maçons qui regroupent des gentlemen, des artistes, des étudiants. Tout ceci fait penser à une Maçonnerie importée par des colons anglais et non à une Maçonnerie spécifiquement irlandaise.

C’est seulement en 1725 à Dublin qu’est attestée la première procession publique de toute l’histoire de la Maçonnerie irlandaise. On y voit un Grand Maître (ce qui suppose une Grande Loge), des grands officiers, des symboles, des tableaux, etc. A noter que ce premier Grand Maître irlandais sera aussi Grand Maître en Angleterre ce qui atteste encore la grande influence anglaise sur cette Maçonnerie. D’ailleurs, en 1730, paraîtront les Constitutions de Pennel qui sont une adaptation des Constitutions anglaises de 1723.

Conclusion :

Tout, dans les sources de la Maçonnerie en Irlande, atteste que celle-ci a été directement importée d’Angleterre. Il semble cependant qu’elle se soit singularisée dans les années 1720-1740 pour donner ces maçons irlandais qui arrivent en Angleterre en 1751. Dans cette perspective, les « Anciens » seraient les héritiers des premiers usages anglais.