La Franc-Maçonnerie irlandaise
2011
Cette maçonnerie très discrète ne communique pas ses rituels contrairement à l’Angleterre où il est très facile de se les procurer. Elle entretient des liens priviligiés avec le grade de l’Arc Royal, bien sûr, et avec les Side degrees tels ceux de Chevaliers du Temple et de Chevaliers de Malte et le Suprême Conseil du Rite Ancien et Accepté. Il existe une loge d’études et de recherches à Dublin, la Loge CC, et un chapitre d’étude. Cette Maçonnerie se porte bien et est répandue dans le monde entier (Grandes Loges de district). On estime ses effectifs à 100 000 frères.
Le Dossier Irlandais – Un peu d’histoire
Le 17 mai 2011, pour la première fois depuis l’indépendance irlandaise de 1921/2 et pour la première fois de son long règne la règne Élisabeth II se rendit à Dublin. Ce séjour de 4 jours de la reine marqua, selon le Premier ministre irlandais Enda Kenny, «le début d’une ère nouvelle entre nos deux pays basée sur le respect et l’amitié». «Le respect et l’amitié», voilà des mots qui ne viennent pas immédiatement à l’esprit lorsqu’on évoque les difficiles relations anglo-irlandaises au cours des siècles. Rappelons que, pour s’en tenir aux évènements les plus récents, le conflit nord irlandais a duré près de 30 ans –il s’est achevé en 1998-, a fait 3500 morts et qu’une certaine tension existe toujours entre les deux communautés protestantes et catholiques.
On le voit, la vie insulaire n’est pas un long fleuve tranquille. L’Irlande, comme sa grande sœur voisine, c’est d’abord une île, à la fois partie intégrante de l’Europe et tournée vers l’Atlantique, c’est-à-dire farouchement autre.
1) L’Irlande Gaèle (des origines à la conquête anglaise de 1169)
a) les origines
Les premières traces de peuplement connues remontent à environ 9 000 ans avant Jésus-Christ. Au néolithique (5000-2000 av. JC) ou période post-paléolithique ou post-glaciaire, les hommes dressent des constructions mégalithes avec une disposition précise par rapport au soleil et, déjà, pleines de symboles… Quel beau clin d’œil au tenants d’une grande –d’une trop grande ancienneté de la Maçonnerie!
Les Celtes arrivent du IVè siècle au 1er siècle av. JC, avec les Gaëls. La conquête celtique dura donc plusieurs siècles et les nouveaux venus finirent par imposer leur langue, leur conception du droit, leurs dieux, etc. si bien que l’Irlande gaélique eût une forte unité culturelle et religieuse, appuyée sur l’autorité des druides, et pourtant elle ne sut pas se doter d’une organisation politique solide, ni d’une capitale, ni même de villes. Ce trait reste une constante irlandaise : aujourd’hui encore l’Irlande est divisée politiquement tout en gardant des institutions communes aux 2 parties du pays, comme la Franc-Maçonnerie.
Durant les 5 premiers siècles de l’ère chrétienne, la vie irlandaise est dominée par une longue rivalité entre les royaumes qui composent le pays. Mais malgré ses divisions, l’Irlande n’a pas connu l’occupation ni la civilisation romaine –du moins directement- à tel point que l’écriture latine ne fut pas adoptée immédiatement.
b) L’Irlande chrétienne
La christianisation de l’Irlande n’est donc pas arrivée dans les bagages de l’Empire romain et ne fut pas le résultat d’un acte d’autorité ou de coercition. Ceci explique peut-être l’étonnante –on va voir pourquoi- fidélité irlandaise au catholicisme, à Rome. Elle fut l’œuvre de Patrick dont, à vrai dire, on ne sait pratiquement rien sinon ce qu’en disent les légendes qui racontent qu’il aurait eu une vision l’appelant à évangéliser les Irlandais. Il aurait étudié sous la direction de Saint-Germain d’Auxerre avant de partir pour l’Irlande en 432. Il y serait mort en 461.
L’histoire est plus prudente et estime que la christianisation de l’île fut, sinon difficile, du moins plus étalée dans le temps, les églises se substituant peu à peu –sans les abolir- aux sanctuaires païens, les abbés et moines aux druides, etc. L’écriture latine enfin fut introduite sans détruire l’ancienne si bien que les deux traditions gaélique et latine s’entre-pénétrèrent. L’Irlande va ainsi se couvrir d’un réseau de monastères ce qui correspondait bien à l’organisation « décentralisée » de la civilisation celte.
Mais tandis que l’Empire romain sombre sous les coups de ce que l’on a appelé « les invasions barbares » et ce qu’on appelle plutôt maintenant « les grands migrations de peuples », l’Irlande chrétienne reste à l’abri –échappant aux conquêtes germaniques- et c’est d’elle que va partir une certaine reconquête spirituelle chrétienne de l’Europe continentale.
Des moines venus d’Irlande vont évangéliser l’Ecosse. Le plus connu de ces ré-évangélisateurs irlandais fut Saint Colomban qui fonda un monastère à Luxeuil (590) et alla jusqu’en Italie. Parmi la multitude de moines irlandais citons encore –pour nous français- Saint-Gobain et Saint-Fiacre - autrefois, l’un des saints les plus populaires de France, sans doute pour ses qualités de guérisseur. Ce patron des jardiniers y fondera au VIIè siècle des monastères dont un près de Meaux (Seine-et-Marne).
La « Renaissance carolingienne » dut aussi beaucoup à l’« Ile des saints et des savants ».
Signalons enfin –comme on l’ noté plus haut- une caractéristique du christianisme irlandais des VI-VIIIème siècles : bien qu’il soit fortement imprégné d’un particularisme local et farouche, il n’a jamais songé à se séparer du reste de la chrétienté, comme l’écrivait Colomban : « il n’y a jamais eu d’hérétique ou de schismatique parmi nous. » Ceci explique peut-être pourquoi les protestants ne réussirent jamais à s’implanter complètement.
c) les Vikings
Bien que christianisée, l’Irlande avait donc gardé ses structures politiques celtiques, c’est-à-dire ses divisions. Les Vikings (Norvégiens) en profitèrent et arrivèrent en 795 puis en 801 et 806. Tout au long du IXème siècle, les envahisseurs s’installèrent mais ne purent pacifier l’île qui connut jusqu’à la fin du Xè siècle, guerres et destructions. Malgré cela, les Norvégiens fondèrent Dublin –qui était donc à l’époque une ville scandinave- et Cork et c’est aussi durant ces temps troubles que fut rédigé le fameux « Book of Kells », un évangéliaire, chef-d’œuvre de l’enluminure irlandaise. Enfin, apparurent les premières –depuis les mégalithes- constructions en pierres.
d) de Brian Boru à Strongbow
En 1014, Brian Boru, réussit –au prix de sa vie- à vaincre une coalition de Vikings et d’Irlandais et cette victoire est devenue le symbole de l’unité nationale et de l’indépendance irlandaise. La réalité historique est bien sûr plus complexe car, jusqu’à l’invasion normande de 1169, la confusion politique fut pire que jamais. En réalité, cette mêlée marque seulement la fin de la domination des Vikings qui sont maintenant assimilés. Et l’Irlande continue à s’enfoncer dans un cycle apparemment sans fin de rivalités et de querelles, attirant de puissants voisins. Ignorant le monde extérieur, celui-ci ne l’ignorait pas, au contraire, elle invitait. Ainsi, à son corps défendant, l'Irlande invitait ses voisins à s’immiscer dans ses affaires. Des gens pratiques et assoiffés de terres comme les barons normands ne vont pas se gêner.
2) De l’Invasion normande à l’achèvement de la conquête anglaise : 1169-1603
a) l’invasion.
A la fin du XIIème siècle, en 1169 les Anglais –Henri II étant roi- entrent en scène. Un des rois irlandais, Dermot Mc Murrough, s’allia avec eux pour reprendre son trône contre ses rivaux et c’est ainsi que les anglais entrent dans Dublin le 21 septembre 1170. Dublin deviendra alors une ville anglaise sans jamais avoir été –notons-le- une ville Celte. Cette capitale est donc un peu étrangère dans son propre pays. L’Irlande devient une colonie anglaise, nombres de rois gaëls et l’Eglise irlandaise se ralliant à Henri II.
b) la difficile installation anglaise
Cependant dès le début, la colonisation anglo-normande fut problématique: il y faudra 4 siècles. La société gaële reste très différente des normands par la langue, la tradition etc. et elle ne peut s’opposer aux anglais à cause de ses divisions. En même temps, les Irlandais ne restaient pas insensibles à certains apports anglais –on va le voir- mais ceux-ci ne s’intéressaient pas vraiment à leur conquête considérant l’Irlande plus comme une réserve dans laquelle ils puisent ce dont ils ont besoin qu'une terre à annexer purement et simplement et à intégrer au royaume.
c) la résistance gaële.
Cette situation a été résumée par un historien : « La tragédie de l’invasion normande ne fut pas la conquête de l’Irlande – elle ne fut jamais conquise ; ce fut sa demi-conquête ». On en voit encore les conséquences aujourd’hui. Le monde anglais et le monde irlandais se côtoient sans se mélanger. Au final, il n’y eut ni conquête totale, ni fusion. Aucun roi anglais, pourtant suzerain de l’Irlande ne s’y rendit entre 1210 et 1394 et l’Irlande est morcelée en 3 éléments principaux : l’Irlande gaèle (traditionnelle, campagnarde et agricole), l’Irlande anglo-irlandaise (des villes) et l’Irlande anglaise, une véritable enclave (le Pale) autour de Dublin.
d) du XIIè au XVè siècle
De fait, Au XIIè siècle, les anglo-normands commencent à introduire des changements dans la société irlandaise. Ils apportent une administration centralisée (y compris pour l’Eglise), fondent des villes, construisent en pierres (cathédrales, abbayes, châteaux) et rapidement –à l’image de ce qui se passe en Angleterre- des guildes se constituent.
De leur côté, en dépit des batailles des XIIIe et du début du XIVè siècle qui les opposaient aux anglais, les Irlandais s’intéressaient aux réformes politiques anglaises (Grande Charte de 1215 avec l’embryon d’un Parlement) comme un moindre mal.
Au XIVe siècle, un calme relatif s’installe et l’influence de la civilisation anglaise s’exerce de plus en plus. Les villes, le commerce, les cultures se développent ainsi que les corporations. La langue anglaise commence à s’imposer.
Cette anglicisation est stoppée par la « Peste noire » de 1349-1350 qui tue le tiers de la population et la guerre de Cent ans qui amènent le départ de nombre de barons anglais, appelés en France.
Les grandes familles irlandaises ou anglo-irlandaises –voilà maintenant près de 2 siècles que les anglais sont arrivés- reprennent du poil de la bête.
Pour éviter les rapprochements entre Irlandais et Anglais, le roi d’Angleterre édicte les statuts de Kilkenny (1366-1367) interdisant aux anglo-irlandais tout contact (mariage, culturel, etc.) avec les irlandais. Mais l’existence même de ces statuts prouve que ces contacts étaient bien réels. En même temps, ils montraient que l’Angleterre dominatrice se considérait comme incompatible avec l’Irlande.
Au XVe, les anglo-irlandais continuent à reprendre de l’importance et sont bien près (avec l’appui des Gaëls) d’obtenir ou d’imposer une Irlande unifiée. C’est alors que l’Angleterre va se réveiller.
e) La conquête finale des Tudors (XVIè)
Henri VIII entendait reprendre les choses en main. Dès 1534-5 ce furent exécutions et répressions sanglantes envers tous ceux qui s’opposaient à son pouvoir. De plus, il entend imposer à l’Irlande la Réforme religieuse anglaise. Or l’Irlande restait - inexplicablement pour certains, vue l’attitude la papauté envers elle- catholique. Henri VIII alla jusqu’à se déclarer « roi d’Irlande » en 1541.
La résistance irlandaise s’organisa. Les anglais persistèrent : l’exemple du Trinity College est emblématique. Pour implanter la Réforme et combattre « l’influence papiste », Elisabeth 1ère fonda en 1591-2, sur les ruines d’un monastère détruit par Henri VIII, cette institution d’enseignement, véritable bastion protestant en terre irlandaise. Ce collège –dont le prestige égale celui d’Oxford- ne s’ouvrira aux catholiques qu’en 1873 et ne s’unira avec l’University College (Université catholique) qu’en 1967. Sans commentaire.
Pendant ce XVIe siècle, religion et politique furent bien entendu étroitement liés. La confiscation des terres se développe et les Irlandais, sous la conduite de O’Neil, se soulevèrent en 1594 mais furent finalement vaincus en 1603, ce qui marquait l’achèvement, enfin, de la conquête anglaise. L’Irlande gaële politique était morte mais les Irlandais restaient cependant fidèles à leurs souvenirs et à leurs légendes et allait se constituer ainsi un imaginaire spécifique.
Ainsi, malgré l’anglicisation, la culture et la langue gaële survécurent. On sauva les manuscrits gaëliques, on les compila « Annales des quatre maître », on écrivit « une histoire de l’Irlande », la littérature, la poésie gaële restèrent très vivantes, etc.
3) de l’achèvement de la conquête à la loi d’Union : 1603-1800
L’histoire qui commence ici et jusqu’à l’indépendance est, comme toujours en Irlande d’une grande complexité. Grosso modo, les maîtres sont les protestants, propriétaires des terres, les pauvres sont les paysans ou fermiers catholiques, et il y a les presbytériens plutôt industriels. Mais cela ne veut pas dire que tous les protestants sont riches et que tous les catholiques sont pauvres. Quant aux presbytériens, ils sont plutôt du côté protestant mais pas toujours, en fonction des crises économiques et politiques. D’un autre point de vue, il y a les Anglais, les Irlandais, les anglo-Irlandais. D’un autre point de vue encore, il y a les églises constituées, anglicane, presbytérienne, catholique. Tout cela ne se recoupe pas forcément. Il y a des anglais catholiques et des irlandais protestants. Ajoutez à cela les intellectuels y compris gaëls, les littérateurs, les politiques, l’attitude des Anglais d’Angleterre, l’attitude de divers pays européens (la France, l’Allemagne, la papauté), de l'Amérique etc. Tout cela fait que se font et se défont des alliances qu’il est impossible de résumer. Voici quelques grands traits :
a) La « Plantation » d’Ulster. [XVIIe siècle]
Les Anglais étant les Maîtres, c’est sous Jacques 1er, en 1605, que commença l’anglicisation de l’Ulster, en réalité via des écossais protestants. Ce fut une colonisation accélérée. Le nom de la ville « Londonderry » symbolise tout : une autre « Londres ». L’ancienne population irlandaise catholique fut submergée par les anglo-saxons anglicans ou presbytériens totalement étrangers à l’Irlande. Cette colonisation allait se maintenir et durer jusqu’à aujourd’hui. Dans le reste du pays, les Irlandais, restés catholiques, et les « Anciens Anglais » s’unirent.
b) la confédération de Kilkenny (1641).
Sous Charles1er, successeur de Jacques 1er, la situation se dégrada à la suite de problèmes financiers et une révolte, « une rebellion » d'Irlandais et « Anciens Anglais » éclata en 1641 qui donna naissance à la « confédération de Kilkeny ». Parallèlement la guerre civile avait commencé en Angleterre. Charles 1er décapité, Cromwell et son armée reprennent la situation de l’Irlande en main, débarquent à Dublin et écrasent la ville en 1649. La répression fut impitoyable : confiscation de terres, déportations, etc. On estime que plus de 30 000 irlandais partirent. Les « Anciens Anglais » avaient perdus, les protestants détenaient les 2/3 des terres, l’industrie etc.
Peu à peu, après l’arrivée de Charles II sur le trône anglais qui appliqua une politique plus modérée, la situation s’améliora un peu pour les Irlandais.
c) état de l’Irlande à la fin du XVIIe siècle.
En 1672, L’Irlande compte 1 100 000 habitants dont 800 000 catholiques. La minorité protestante continuait à détenir l’immense majorité des terres cultivables, le commerce, l’administration. Les Irlandais catholiques vivaient pauvrement. La ville de Dublin s’embellit, une « Société philosophique » y fut fondée en 1683.
Sur le plan religieux, 3 églises dominaient : catholique, Eglise d’Irlande (anglicane), presbytérienne.
d) La bataille de la Boyne.
En 1688, Jacques II, successeur de Charles II, catholique, est chassé du trône d’Angleterre. Il essaya de reprendre pied sur les îles, via l’Irlande mais fut finalement vaincu le 12 juillet 1690 à la bataille de la Boyne par Guillaume d’Orange.
Cette victoire de Guillaume III d’Orange, protestant, sur Jacques II, catholique, a donné naissance –plus tard on va le voir- à une curieuse institution pseudo maçonnique, « L’Ordre d’Orange », ordre entre autres connu pour la commémoration annuelle qu’il organise et qui est, encore cette année 2011, l’occasion d’affrontements entre les deux communautés.
Mais comme toujours l’histoire est beaucoup plus complexe. Dans ce conflit, des français se battaient des deux côtés (catholique et protestant) et Rome fêta cette victoire protestante comme un heureux coup porté à Louis XIV ! Cependant nombre d’Irlandais émigrèrent en France.
e) les « Lois pénales »
Après la bataille de la Boyne, les vainqueurs, c’est-à-dire les protestants reprirent les confiscations de terres, les catholiques furent bannis du Parlement et de la vie publique en général. Ces lois pénales visant les catholiques furent comparées aux lois françaises de la même époque visant les Huguenots. Il s’agissait bien d’une volonté de domination et non d’uniformisation.
Au XVIIIe siècle, au moment où la Franc-Maçonnerie apparaît en Angleterre puis en Irlande, la politique de confiscation des biens irlandais par les anglais continue de plus belle, et pourtant l’Irlande connut un calme relatif sous l’autorité des protestants, certes minoritaires mais qui possédaient toute la puissance économique et avaient le soutien de l’Angleterre.
Les Irlandais vivaient dans la pauvreté et le chômage. Au tournant du siècle, celui-ci est endémique. C’est la période où des francs-maçons irlandais -à commencer par Laurence Dermott, lui-même simple peintre en bâtiment- arrivent en Angleterre et fonderont la Grande Loge des Anciens. Etait-il un « Ancien Anglais » ?
L’Irlande devenait anglaise dans la mesure où les protestants eux-mêmes finirent par confondre leur cause avec celle de l’Irlande (cf. J. Swift). Et pourtant, face à eux, les Irlandais catholiques restés au pays vivaient comme les huguenots en France –comme dans le désert- et ce qui survivaient la littérature et l’enseignement, c’était grâce aux intellectuels. L’Irlande, sous les traits d’une belle jeune femme, était persécutée mais indomptable comme les huguenots français et Marie Durand.
A la fin du XVIIIe siècle l’Indépendance des Etats-Unis (les presbytériens qui avaient prospéré dans l’industrie mais qui étaient brimés par les protestants, émigrèrent vers les Amériques où ils allaient jouer un grand rôle) et la révolution française allaient affaiblir la position de l’Angleterre en Irlande. Celle-ci en profita pour prendre un peu de liberté. Il y eut un double mouvement, d’abord d’indépendance puis, par retour de balancier, d’Union avec la Grande Bretagne.
f) le « Parlement de Grattan », les « Irlandais unis ». La loi d’Union.
Ainsi, en 1782, une déclaration d’indépendance fut votée même si cette « Constitution de 1782 » n’était que la Constitution de l’Irlande protestante et qu’il ne s’agissait que d’une indépendance législative, l’Angleterre continuant d’affirmer sa volonté.
Là-dessus arrivèrent les retombées de la Révolution française. L’agitation émancipatrice agissant sur les esprits, les Irlandais protestants comprirent qu’ils fallaient rester unis (les « irlandais unis ») à l’Angleterre s’ils voulaient tenir en main la majorité catholique du pays. Et, en effet, il y eût de nombreuses tentatives de révolte. Ainsi, en septembre 1795, une grande rixe opposa catholiques et protestants lors de la bataille dite du « diamond ». C’est alors qu’un certain James Wilson de Dyon mobilisa les FF de sa loge à Coledon près de Tyrone (Irlande du Nord) pour défendre les protestants contre les catholiques. Ils constituèrent une association, The Orange boys, de fait une milice protestante, qui deviendra l’Ordre d’Orange cité supra. En 1797, une partie des Orange boys s’organise sous la forme d’une Grande Loge de l’Ulster. En 1798, un nouveau soulèvement oppose protestants et catholiques. Ceci pour rester dans une grille de lecture simple voire simpliste -la réalité étant, encore une fois, toujours plus complexe- car il faut dire que de catholiques irlandais ne soutinrent pas les expéditions anti-anglaises menées de France, que la hiérarchie catholique resta fidèle à la Couronne anglaise tandis que la Grande Loge d’Irlande et même une grande partie de la hiérarchie protestante ne soutinrent pas l’Ordre d’Orange, jugé trop agité.
Finalement tous ces évènements politiques convainquirent les anglais de voter une loi d’Union (union parlementaire) en juin 1800 face aux périls européens et surtout Français.
4) Recherche de l’indépendance et de l’identité : de 1800 à nos jours.
a) O’Connel et l’émancipation catholique
Mais que représentait l’union pour une Irlande qui restait profondément divisée comme au temps de l’invasion et de la Réforme ? Existait-il une pensée politique irlandaise ? Y avait-il une nation irlandaise ? Restait-il une langue irlandaise ?
Le peuple irlandais, lui, demeurait dans la misère et les protestants propriétaires des terres percevaient les fermages, l’Eglise d’Irlande les dîmes, et l'Angleterre les impôts (pour faire simple). C’est alors qu’apparut un certain Daniel O’Connel qui réussit à rendre courage et fierté au peuple catholique. En 1829, il obtient pour eux l’émancipation c’est-à-dire la fin des lois pénales de la fin du XVIIe siècle. Dans les années qui suivirent, O’Connel tenta d’obtenir l’abrogation du traité d’Union mais son combat allait être stoppé par une grande catastrophe.
b) la Grande Famine
En 1845, on estime qu’il y avait entre 8 et 9 millions d’Irlandais, c’est une forte densité, compte tenu de sa superficie cultivable. Sur ces terres étaient essentiellement cultivées des céréales surtout destinées à l’exportation pour payer les fermages. A partir de 1845, la récolte de pommes de terre, seule ressource alimentaire pour l’immense majorité de la population, fut décimée puis presque totalement détruite en 1846. Ce fut alors la Grande famine : 250 000 Irlandais moururent de faim pour la seule année 1847. C’était une famine que l’on croyait appartenir à un autre âge. Dans l’immédiat ce seront plus d’1 000 000 d’Irlandais qui disparaîtront (mort ou émigration) mais au total on estime le nombre d’émigrants de 1850 à 1970 à plusieurs millions. En 1937, l’Irlande ne comptait que 4 000 000 d’habitants. Aucun autre pays d’Europe occidentale ne connut pareil cataclysme. Si on se promène aujourd’hui dans les landes irlandaises on peut encore voir les ruines de villages rayés de la carte depuis cette époque.
Inutile de dire que l’activité politique s’en trouva grandement affectée. Dans les années 1860, pourtant, une « Fraternité républicaine irlandaise » naquit.
c) Gladstone et Parnell
Parallèlement les mentalités commençaient à évoluer en Angleterre où l’on comprenait que jamais l’Irlande ne serait totalement intégrée au Royaume Uni. En Irlande même, activistes républicains, et nationalistes constitutionnels (ceux qui siégeaient au Parlement de Londres) commencèrent à s’unir dans une « Ligue agraire » (Parnell) et combattirent les propriétaires protestants dont un certain « Boycott ». Enfin Gladstone, en Angleterre, fit voter la réforme agraire qui permettait aux fermiers irlandais de racheter la terre (1885) mais pas le projet d’autonomie (Home Rule) qui rencontrait la forte opposition des protestants.
d) L’indépendance
Cependant le sens de l’histoire était en marche. L’accession à la propriété de nombreux fermiers, le vote à bulletin secret (1872), les irlandais redécouvrant la culture gaëlique (le poète Yeats) etc., les idées nationalistes irlandaises s’alliant avec des idées socialistes (contre l’impérialisme capitaliste britannique), tout cela fait que l’indépendance se profilait à l’horizon. Mais par contre coup, les protestants de l’Ulster se radicalisaient dans le mouvement « Unioniste ». On s’armait au sens figuré comme au sens propre des 2 côtés de l’Irlande. Finalement, l’insurrection nationaliste eût lieu pendant la Première guerre mondiale, le 24 avril 1916, lundi de Pâques, et fut réprimée dans le sang. Mais, le compte à rebours était lancé. A la fin de la Première guerre mondiale, l’IRA « Armé Républicaine Irlandaise » fut fondée par de Valera. Une guérilla s’ensuivit puis des négociations qui aboutiront à la partition de l’Irlande le 6 décembre 1921, le premier ministre du Royaume-Uni, David Lloyd George, et le chef de la délégation irlandaise, Arthur Grifith, signent le traité de Londres. Après deux ans de guerre civile entre l’Armée républicaine irlandaise et l’armée britannique qui fit plus de 2000 morts, l’accord donne naissance à l’Etat libre d’Irlande enfin reconnu par les Anglais. L’île est alors divisée car les provinces de l’Ulster, au nord, décident de rester anglaise.
Nous voici arrivés au terme provisoire de cette histoire. La vie politique de l’Etat libre d’Irlande qui s’appellera l’Eire sera longtemps dominée par l’électorat conservateur de petits propriétaires et par l’Eglise catholique (la constitution de 1937 est « au nom de la Très Sainte Trinité »). Une politique d’irlandisation fut menée. La République fut officiellement proclamée en 1948 entra à l’ONU en 1955 puis dans le Marché Commun le 1er janvier 1973. Reste le problème de l’Ulster. L’IRA n’avait pas accepté le partage de 1922. Jusqu’en 1969 la situation demeura en suspens. Commencèrent alors près de 30 années de troubles violents. Aujourd’hui la situation semble plus calme, pour autant l’unification de l’île n’est toujours pas réalisée.
Conclusion
L’Irlande et l’Angleterre c’est plus de 8 siècles d’histoire commune faite de conflits et d’alliances. Comme dans toute colonisation, et surtout sur une période aussi longue, des relations extraordinairement complexes et ambiguës se sont instaurées entre les communautés et même si l’Irlande ne fut jamais totalement intégrée au Royaume Uni, elle en fut considérablement marquée. L’histoire de la franc-maçonnerie en Irlande n’échappe pas à ce contexte d’influences et d’oppositions par rapport à la franc-maçonnerie anglaise.
Discussion
Les frères insistent sur le fait que la conquête et la colonisation anglaise furent extrêmement dures et féroces. Guerres, répressions sanglantes –et particulièrement celle de Cromwell - spoliations des terres, disettes ont causé un nombre incalculable de morts.
Sur un plan moins dramatique il est rappelé l’objet et la méthode propre à une loge de recherches comme William Preston. Il s’agit de replacer le fait maçonnique et l’histoire de la Franc-Maçonnerie dans le contexte plus large de l’histoire générale, politique, sociale, religieuse. La Franc-Maçonnerie est une institution qui ne vit pas en vase clos et pour espérer la comprendre, il est indispensable de l’étudier dans le milieu où elle se développe.
Dans le cas qui nous occupe ce soir, il est indispensable de se rappeler que l’histoire de l’Irlande est l’histoire d’une haine et d’un mépris absolu des anglais vis-à-vis des irlandais. Or ce sont bel et bien les anglais qui sont à l’origine de la Maçonnerie irlandaise qui est donc, en quelque sorte, un produit d’importation venu d’Angleterre. Mais dans quel milieu cette Maçonnerie s’est-elle établie ? Dans un milieu d’anglo-irlandais, sorte de pieds-noirs avant la lettre, bref une minorité plus anglaise qu’irlandaise. Cet aspect des choses éclaire aussi les conditions d’apparition, après celle de 1717, d’une nouvelle Grande Loge en Angleterre en 1751-3. Les historiens pensent que cette Grande Loge dite des « Ancients », quoique récente, est d’origine irlandaise. C’est dire qu’elle est arrivée dans un milieu anglais hostile ce qui permet de comprendre pourquoi il y eût conflit entre les deux grandes Loges rivales.
Aujourd’hui, en Irlande, si le siège de la Grande Loge est établi à Dublin, la majorité des frères est issue de la minorité protestante d’Irlande du Nord à Belfast.