Au service du Roi et du Métier : Thomas DUNCKERLEY (1724-1795), L 'une des plus grandes figures de la Franc-Maçonnerie anglaise
Marc Mirabel. 2010
INTRODUCTION
Dans le cadre du cycle consacré au siècle anglais de la Maçonnerie, c'est à dire la période qui va de la création de la Grande Loge de Londres en 1717 jusqu'à l'union de 1813, il nous a semblé primordial de présenter un des acteurs principaux de cette époque.
Le premier problème qui s'est posé à nous est tout naturellement celui du choix du personnage dont nous allons retracer ce soir, dans le temps qui nous est imparti, à la fois le rôle au sein de l'Ordre ainsi que l'esquisse des grands traits de sa vie profane, les deux étant, en ce qui concerne notre frère liés de façon indissoluble... tant il est vrai que certains événements marquent à jamais le caractère et peuvent expliquer le comportement et les actions ultérieures d'une vie.
Alors oui, il nous a été nécéssaire d'opérer un choix qui est forcément arbitraire, car nous avions plusieurs possibilités.
Ce ne sont pas les figures importantes qui font défaut durant le cours de ce dix- huitième siècle et qui ont laissé une empreinte durable dans la Maçonnerie anglaise. Nous avons préféré écarter ceux dont les noms nous sont bien connus et qui ont fait l'objet de multiples études : Jean Théophile Désaguliers, James Anderson ou encore Laurence Dermott ou William Preston...
Nous avons aussi volontairement laissé de côté, sans que cette expression comporte la moindre nuance péjorative, d'autres Frères éminents mais moins connus comme James Heseltine, William White ou Samuel Hemming qui comptèrent alors dans le développement et la structuration de l'organisation maçonnique.
De même, nous avons renoncé à présenter des Frères encore moins connus mais pas inintéressants comme Peter Lambert de Lintot, Ebenezer Sibley ou Charles Rainsford à cause d'un aspect un peu marginal de leur activité ("fringe masonry" avant la lettre ?) mais qui ne furent pas sans postérité, surtout en ce qui concerne les deux premiers et dont nous aurons à reparler au cours de cet exposé, ayant influencé d'une manière ou d'une autre celui dont nous n'avons pas encore prononcé le nom.
Enfin, il nous a paru bon de retenir comme critère essentiel de notre choix et du travail qui en découle la pérennité des initiatives, des actes et des créations multiples et incessantes de notre personnage, au sens de personne illustre, au sein du monde maçonnique d'alors qui en porte toujours la marque aujourd'hui.
Ce sont toutes ces raisons qui nous ont amené à vouloir exposer autant que faire se peut la vie et l'oeuvre de Thomas Dunckerley sans qui la Maçonnerie britannique existerait, certes, mais serait certainement différente de ce que nous connaissons.
Sans Dunckerley, nous serions là ce soir, mais sans lui, pratiquerions nous l'Arc Royal, la Marque, le Royal Ark Mariner ou le grade de Knight Templar de la même façon ?
La question mérite d'être posée car la volonté d'un seul homme suffit parfois à modifier le cours des événements surtout s'il s'agit dans le cas qui nous occupe, d'un homme d'action qui mis tout son talent, son énergie et son courage au service de notre Ordre comme il n'avait cessé de le faire toute sa vie durant au service de sa patrie...
Dans des circonstances difficiles pour la Grande Loge des Modernes, confrontée au développement et à la concurrence de la Grande Loge des Anciens, Dunckerley fit preuve d'une activité hors du commun et d'un dévouement exceptionnel dans le cadre des responsabilités qu'il occupa à différents niveaux du Métier dont il se faisait - lui aussi – une très haute idée.
Ajoutons à tout cela que Dunckerley, bien que fidèle à la Grande Loge des Modernes, regardait les maçons "anciens" avec une attention non dépourvue de sympathie et de compréhension, état d'esprit qui devait encourager un courant favorable à la réunion des deux obédiences en 1813.
Comme l'écrivait le Docteur Oliver : "Il avait des vues larges sur la Maçonnerie et méprisait les controverses sectaires. Il visitait fréquemment les loges des "Anciens", dans le but de vérifier les différences réelles entre les deux systèmes...il en cueillit soigneusement les fleurs...et les transplanta dans la Maçonnerie Constitutionnelle; car il trouva réellement chez les "Anciens" à son étonnement non feint, plusieurs innovations importantes dans le système maçonnique, y compris quelques altérations des anciens landmarks et une nouvelle utilisation du mot de Maître."
C'était l'opinion d' un presque contemporain et il n'y a aucune raison de ne pas penser qu'elle était le reflet de l'avis d'un grand nombre de Frères appartenant aux deux obédiences et qui, eux aussi, aspiraient à une nécessaire réconciliation.
Une vie agitée...
Avant tout, commençons par planter le décor et essayons de voir en quoi la vie de Dunckerley a été, même sur le plan profane, exceptionnelle.
Comme il ne s'agit pas pour nous de nous livrer à de longs développements sur le caractère particulier de sa naissance, il nous suffit de dire que Thomas Dunckerley naquit le 23 octobre 1724 à Somerset House à Londres qui faisait partie des résidences royales... Pourquoi donc ?
Nous connaissons la réponse : la mère de notre héros était au service de Lady Walpole épouse de Robert Walpole alors Premier Ministre, comme dame de compagnie. La famille Walpole avait l'honneur de recevoir assez souvent la visite du Prince de Galles qui remarqua la beauté et le charme de la jeune Mary... ce qui devait arriver arriva et la jeune femme devint sa maitresse... connaissant le Prince de Galles et désireuse d'éviter à Mary d'avoir sa vie gachée, Lady Walpole prit les choses à coeur et fit tout son possible pour aider son employée à se sortir de ce mauvais pas.
Elle s'accorda avec le Duc de Devonshire, autre familier de la maison pour trouver un parti à sa protégée, ce fut en la personne d'un certain Dunckerley qui était intéressé dans les affaires du Duc. Un mariage de circonstance fut promptement arrangé... bien lui en a pris car quelques mois plus tard, la jeune Mary tomba enceinte (précisons que le Prince de Galles avait continué à la voir). Elle ne fut oubliée par Lady Walpole, ni par d'autres grande dames qui s'étaient penchées sur son cas, ni par le Prince qui lui fit remettre la somme de 50 £, un montant considérable pour l'époque. Seule ombre à ce tableau, Monsieur Dunckerley, lorsqu'il apprit les circonstances de la naissance de son fils en fut fort mécontent. Mais il quitta le domicile conjugal sans trop de regrets, son silence ayant été sans doutes le résultat d'un arrangement avec la famille royale.
Que sait on de l'enfance de Thomas Dunckerley, qui précisons le, même si ça semble évident, ignorait tout de son ascendance ? Et d'abord, eut-il vraiment une enfance ? Il est difficile de le dire. On suppose qu'il fut envoyé dans une école ou un pensionnat, loin de sa mère où il retrouva d'autres enfants qui comme lui, n'avaient pas été spécialement désirés.
Son premier biographe, Thomas White (Second Grand Surveillant Provincial de l'Essex) affirme qu'il s'engagea dans la marine à l'age de dix ans ! Cela semble peu vraisemblable même à l'époque... disons plutôt qu'il caressa l'espoir dès cet age de pouvoir un jour entrer dans la Royal Navy.
On doit donc supposer qu'il ya un trou de quelques années dans sa vie mais cela n'a pas grande importance et par la suite il n' y fit jamais allusion.
Nous allons maintenant aborder, sans jeu de mots, la carrière militaire de Thomas Dunckerley, car il finira par s'engager dans la marine de guerre puisque c'était son voeu le plus cher et ce, en 1742 à bord du HMS Namur à moins que ce ne soit en 1744 car nous devons avouer que les archives de l'Amirauté sont un peu vagues...bref il était alors simple matelot. Il est bon d'avoir un aperçu rapide mais néanmoins complet de ses différentes affectations pour se faire une idée de sa progression au sein de la marine :
- HMS Edinburgh de 1744 à 1746 comme "schoolmaster".
- HMS Fortune de 1746 à 1747 comme "gunner".
- HMS Crown de 1747 à 1753 comme "gunner".
- HMS Nonsuch durant deux mois en 1753 comme "gunner".
- HMS Tyger de 1753 à 1754 comme "gunner".
- HMS Vanguard durant quatre mois de 1754 comme "gunner".
- HMS Eagle de 1754 à 1755 comme "gunner".
- HMS Vanguard de 1755 à 1761 comme "teacher and gunner".
- HMS Prince de 1761 à 1763 comme "teacher and gunner".
Alors sans vouloir consacrer une trop grande partie de ce travail à l'aspect militaire de sa vie, ni à la structure de la Royal Navy, nous nous devons de préciser ce que ces appelations signifiaient par delà la simplicité de certains termes.
Un "gunner", un cannonier, pour nous , ça semble évident, c'est l'homme du rang qui sert une pièce d'artillerie et ce ce que fit Dunckerley à ses débuts mais pas longtemps et ce n'était pas que cela, loin de là !
Durant les années obscures que nous avons brièvement évoqué; Dunckerley a très certainement occupé son temps de manière intelligente car être nommé "schoolmaster " à l' âge de 22 ans n'était pas chose courante et l' Amirauté n'avait pas pour habitude de recruter des ignares pour ce genre de poste puisqu'il enseignait les mathématiques à ses camarades de combat...et leur application au domaine de la guerre navale.
Un canonnier à cette époque était un "warrant officer" que l'on pourrait traduire par "officier technique" ou encore par "officier marinier" si nous devions établir une comparaison avec les us et coutumes de notre marine.
Le rôle de Dunckerley était considérable.On était nommé à ce poste après un examen très poussé portant outre sur son éducation, sur les connaissances du candidat concernant la navigation, l'art de l'artillerie, tout ce qui touchait aux munitions, à l'armement en général, aux entrepôts militaires et à l'entretien de ce type de matériel.
Comme le dit notre F. Sadler, il était responsable de tout objet requis pour les opérations offensives et défensives et devait s'assurer que tout était en ordre et prêt à l'emploi. En ce temps là, où la guerre était la règle et la paix l'exception, l'attention du "master gunner" que deviendra Dunckerley était sollicité en permanence à toute heure du jour et de la nuit... Avoir obtenu ce poste à 22 ans était la preuve non seulement de la confiance de ses supérieurs mais surtout des qualités extraordinaires et des mérites hors du commun manifestés par notre Frère.
Pour ceux qui voudraient "visualiser" cette partie de notre exposé, qu'ils se reportent à l'excellent film de Ridley Scott "Master and Commander, the far side of the world" avec le non moins excellent acteur Russel Crowe. Ce film, bien documenté nous fait revivre ce que pouvait être le quotidien de ces hommes à bord de leurs vaisseaux, sillonnant les océans afin de se battre pour leur pays.
La dernière partie de la période où Dunckerley se trouvait sous les drapeaux correspond à la guerre de sept ans qui de 1756 à 1763 vit s'opposer la France, la Russie et l'Autriche d'une part à l'Angleterre et la Prusse d'autre part. Elle coûta à notre pays la perte de quelques unes de ses plus florissantes colonies dont l' Inde et le Canada. C'est donc au sommet de sa carrière de "master gunner" à bord du HMS Vanguard que Dunckerley prit part aux combats (au cours desquels moururent deux chefs courageux, notre Gouverneur, le marquis de Montcalm et son adversaire, le général anglais Wolfe) qui aboutirent à la chute de Québec le 18 septembre 1759 assurant la domination britannique sur l'ensemble du territoire canadien...
C'est, on le voit, pendant des moments troublés, agités et dangereux que se construisit la personnalité de Dunckerley.
On doit se rappeler que la vie militaire et la vie maçonnique de Dunckerley furent étroitement mêlées du fait bien évidemment de sa situation, tantôt à terre, tantôt en mer, le plus souvent en mer et de ses différentes affectations successives...
C'est pour ces raisons qu'il était utile de donner quelques précisions sur l'aspect strictement militaire de la vie de notre Frère si l'on veut comprendre le déroulement et le pourquoi de son cursus maçonnique qui prendra de plus en plus d'importance au cours de son existence.
Nous allons maintenant, enfin, nous pencher sur l'aspect maçonnique de sa vie, ce qui constitue, on s'en doute, le principal objet de cet exposé.
Entrons dans le domaine qui nous réunit ce soir et voyons qui était le maçon Thomas Dunckerley.
VIE MACONNIQUE
Thomas Dunckerley fut reçu maçon le 10 janvier 1754 à Portsmouth dans la loge qui se réunissait alors à la taverne des Trois Tonneaux dans High Street d'où son nom "The Three Tuns" (G.L des Modernes). Il fut selon une coutume bien établie, initié, passé et élevé le même soir.
Cette loge, on s'en doute dans une ville portuaire, était fréquentée aussi bien par des négociants que par des hommes de mer, marins civils ou appartenant à la Royal Navy avec une forte proportion d'officiers et de sous-officiers expérimentés. Peu de temps aprés sa réception, la loge changea de nom pour devenir la "Lodge of Antiquity" n° 31 sans que l'on sache si le nouvel initié y était déjà pour quelque chose.
Plein d'enthousiasme pour la Maçonnerie, Dunckerley rejoignit alors la "Masons Arms Tavern Lodge" n° 129 et la "Pope's Head Tavern Lodge" n° 203 peuplées elles aussi par des gens de mer... il se trouvait dans son élément .
Assez vite, Dunckerley s'imposa par son zèle et par son charisme, en décembre 1756, il fut installé dans la chaire du roi Salomon dans les deux loges après en avoir été surveillant. Elu pour six mois selon l'usage, il fut réélu trois fois de suite dans ses deux loges.
Nous l'avons dit, toutes ces loges dépendaient de la G.L des Modernes, ce qui n'empêche pas que nous connaissons un texte écrit de sa main où il dit explicitement qu' il fut exalté à l'Arc Royal dans sa première loge durant l'année 1754 ,quelque temps aprés son initiation, ce qui prouve d'abord que certaines loges Modernes pratiquaient d'autres grades que ceux du métier et qu'ensuite la frontière était assez poreuse entre la maçonnerie des "Anciens" et celle des "Modernes"...
Sur ce, en septembre 1758, le HMS Vanguard faisait route vers le Canada avec à son bord Dunckerley en tant que "Master Gunner", nous l'avons vu plus haut. La Royal Navy venait appuyer l'offensive menée par le général Wolfe contre les troupes françaises et qui allait se révéler victorieuse... hélas pour nous!
Il y avait sur place plusieurs régiments anglais, écossais et irlandais, ce qui signifie qu'il y avait forcément de nombreux maçons.
On comptait cinq loges irlandaises, une anglaise sous la dépendance des "Anciens" et une autre sous celle de la Grande Loge Provinciale de Boston, d'obédience "Moderne".
Le 8 novembre 1759, toutes ces loges (loges militaires) tinrent une tenue commune et se constituèrent en Grande Loge Provinciale. Elles voulurent se donner un Grand Maître Provincial pour les diriger et s'adressèrent à la G.L des Modernes.
Qui mieux que Dunckerley dont la réputation de maçon instruit et dévoué commençait à croître au sein de la marine pouvait se charger de cette mission ? Il profita donc du retour du HMS Vanguard en Angleterre pour ramener cette demande à la G.L à Londres à la fin de l'année 1759.
Il se rendit à Londres au tout début de l'année 1760, mais ce fut pour assister aux obsèques de sa mère, décédée alors qu'il se trouvait en mer... et ce fut lors de cette triste occasion qu'il apprit ses véritables origines à savoir qu'il était le fils naturel du roi d' Angleterre, S.M. Georges II.
Qui le lui révéla ? Les biographes de Dunckerley ne sont pas d'accord sur la question et dans une courte notice autobiographique rédigée de sa main, il donne lui même sa version des faits. Ce serait une vieille amie de sa mère, Mrs Pinkney qui aurait recueilli ses confidences sur son lit de mort...
On imagine aisément la stupéfaction et le sentiment de malaise qui s'emparèrent de son esprit. Il en parla immédiatement à son supérieur hiérarchique, Robert Swanton, capitaine du HMS Vanguard sous les ordres duquel il servait depuis trois ans. Ce dernier connaissait et appréciait Dunckerley, aprés un moment de stupeur bien compréhensible, il le crut tout en lui disant que (Dunckerley dixit) "ceux qui ne me connaîtraient pas considéreraient toute cette histoire comme de purs ragots". Mais encore une fois , il le crut et lui promit que dès que possible, il ferait tout pour qu'il puisse approcher l'entourage du souverain, voire le Roi lui même.
Nous verrons que cela prit plus de temps que prévu mais que sa reconnaissance fut effective quelques années plus tard.
Nous allons laisser de côté notre "chronique mondaine" afin de revenir au véritable objet de notre étude : Dunckerley Franc-Maçon.
Avant de repartir pour le Canada à la fin janvier 1760 et c'est une preuve de la renommée croissante de Dunckerley, la Première Grande Loge remit à ce dernier une patente afin de régler toutes les affaires maçonniques dans les nouvelles provinces canadiennes ou dans toute partie du globe qu'il visiterait où aucun Grand Maître Provincial n'avait encore été nommé !
De plus, Dunckerley recevait la patente n° 254 pour tenir loge et créer des maçons à bord du HMS Vanguard, la première loge maritime dans l'histoire des forces armées britanniques.
On ne sait pas si le Capitaine Swanton était maçon (son fils le sera plus tard) mais de toute évidence, il fallait absolument son autorisation pour se réunir sur son navire... on imagine les conditions des tenues dans les profondeurs d'un bâtiment bourré d'hommes et encombré de munitions et de provisions diverses !
Enfin, le HMS Vanguard toucha terre le 15 mai 1760 et le 24 juin suivant, Dunckerley installa le colonel Simon Fraser du 78ème d'infanterie (écossais) en tant que premier Grand Maître Provincial du Canada.
Le retour du HMS Vanguard en Angleterre ne s'effectua qu'en décembre de la même année.
Sur ces entrefaits, il faut encore revenir sur l'aspect familial de notre Frère car alors qu'il voguait sur les océans, le Roi Georges II était mort...et cela provoquait plus qu'un trouble chez Dunckerley, il ne pouvait, et pour cause, se faire reconnaître par son auguste père et de plus, le témoin des derniers instants de sa mère, Mrs. Pinkney, était elle aussi décédée depuis peu...que faire ?
Son service dans la marine dura jusqu'à la fin de la guerre et le 18 juin 1764, il fut rayé des cadres et admis à faire valoir ses droits à la retraite. La période qui va suivre sera très difficile pour lui à cause de graves soucis d'argent qui lui vaudront le risque bien réel d'être incarcéré pour dettes... il dut quitter le royaume pendant quelques mois et reprendre du service dans la marine en Méditerranée aidé à plusieurs reprises par des Frères comme à Gibraltar.
Si 1765 ne fut pas une bonne année, il semble que l'horizon commença à s'éclaircir vers la fin de l'année suivante, après encore des mois de détresse matérielle et morale, ne voyant rien venir des contacts qui lui avaient promis de se pencher sur son cas.
Ecrivant au Vicomte Townshend qui avait le même age que lui et qui, comme lui, avait servi au Canada et avec qui il avait sympathisé autrefois, il lui exposa sa situation qu'il jugeait très grave, mettant en danger l'existence même de sa famille. Ce courrier eut il un résultat ?
Toujours est il qu'en avril 1767 les nuages se dissipèrent comme dans les bons romans et que sa perséverance fut enfin récompensée....
Que l'on nous permette de citer ce qu'il écrivit par la suite dans son journal :
"En avril 1767, le Général Oughton, qui était en relation avec moi depuis plusieurs années, informa Lord Harcourt de mon état, et ce gentilhomme avec l'aide de Monsieur Worsley présenta la déclaration de ma mère devant le Roi. Sa Majesté la lut attentivement et sembla très touchée, et ordonna qu'une enquête soit diligentée sur ma personne par Lord Chesterfield et Sir Edward Walpole qui me connaissait depuis l'enfance. Le résultat en fut positif aux yeux du Roi et celui ci eut la bonté de faire en sorte qu'une pension annuelle de 100 £ me soit versée à compter du mois de mai 1767".
Cet épisode marqua la fin des difficultés matérielles de Dunckerley car à cette rente, s'ajoutait l'octroi d'un appartement dans la résidence royale de Somerset House. C'était aussi, et cela à son importance, la reconnaissance de son statut social : il était désormais aux yeux de tous, de sang royal.. Il reçut aussitôt plusieurs lettres de félicitations émanant de ceux qui l'avaient soutenu pendant ces épreuves : le Général Oughton, Lord Harcourt, le Duc de Beaufort ou encore Lord Townshend.
Happy end !
Enfin soulagé, Dunckerley put se consacrer presque exclusivement à ses activités maçonniques, activités qui n'avaient jamais cessé, on s'en doute. La preuve en est que lors de la tenue de Grande Loge du 15 avril 1767, il est cité comme Grand Maître Provincial du Hampshire, sa patente lui ayant été délivrée le 28 février précédent, c'est à dire avant l'heureux épilogue de son affaire (on ne peut pas dire que sa nomination était la conséquence de son nouvel état, il devait cette distinction uniquement à sa valeuret à son zèle déjà bien connu pour le Métier).
S'il n'était pas le premier à occuper cette fonction crée en 1726, on doit constater que l'office de Grand Maître Provincial était plus ou moins tombé en désuétude et les titulaires de cette charge ne faisaient pas montre d' un grand empressement à la prendre au sérieux.
Avec Thomas Dunckerley, tout cela allait changer radicalement car, nous l'avons dit, il se faisait une haute idée de la Maçonnerie. En tant que Grand Maître Provincial, visitant sans cesse les loges, ne ménageant jamais ses efforts, il encourageait ses frères à maintenir leurs traditions, à conserver soigneusement leurs archives ou à se préoccuper de la Charité sans oublier de contribuer ensemble au financement de nouveaux locaux maçonniques.
Devant une telle débauche d'énergie, la Grande Loge comprit vite qu'un Grand Maître Provincial tel que lui pouvait rendre de grands services à l'Ordre et contribuer non seulement à sa consolidation mais surtout à son extension sur l'ensemble du territoire national.
De plus, son établissement à Somerset House le rapprochait de Londres et allait lui permettre de rencontrer des Frères d'un niveau social très élevé, en fait d'étendre ses relations.
Bien entendu, il créa une loge sur place qui prit la succession d'une des quatre "vieilles loges "étant presque en sommeil, et par une union rapide avec celle ci devint la "Royal Somerset House and Inverness "n°4 (elle existe encore).
Il nous faut voir maintenant un peu plus en détails le différentes responsabilités qu'occupa Dunckerley au cours de sa vie maçonnique. Nous ne pouvons pas, en une soirée, faire le tour de la question et sommes obligés de survoler sa carrière maçonnique qui se déroule à plusieurs niveaux, simultanément et qui nous oblige à de fréquents rappels puisqu'elle touche d'abord le Métier, l'Arc Royal et les Knights Templar.
Il nous faut donc les aborder ensmble et successivement à la fois afin d'obtenir une vision d'ensemble de son activité débordante, ce qui, encore une fois, n'est pas aisé, ne serait ce que par le nombre de loges qu'il créa ou auxquelle il appartenu.
Considérons tout de suite les charges qu'il occupa en tant que Grand Maître Provincial :
- 1767 Hampshire
- 1772 Isle of Wight
- 1776 Essex
- 1777 Dorset
- 1777 Wiltshire
- 1784 Gloucestershire
- 1784 Somerset
- 1786 City and County of Bristol
- 1790 Herefordshire
Cette liste est impressionnante si l'on réalise que certaines de ces charges furent occupée simultanément par Thomas Dunckerley qui par exemple resta pendant plus de quinze ans Grand Maître Provincial de l' Essex...!
Nous pourrions retracer l'historique des activités de Dunckerley province par province mais ce serait terriblement long et répétitif puisque son inépuisable énergie se manifesta partout où il passait en ayant toujours le même objectif : le développement de la Maçonnerie dans tout le pays.
Et puisque c'est l'individualité de notre Frère qui justifie notre étude, c'est justement son dévouement sans limites pour notre Ordre qui ne peut que forcer le respect et l'admiration.
Par exemple, durant l'hiver 1785, il se rendit à Bath pour assister à une tenue alors qu'il faisait un temps affreux et que ce déplacement dépassait les cent vingt miles... Dans un courrier adressé à William White, le Grand Secrétaire, il l'informait que pendant l'été 1786, il avait fait plus de cinq cent miles afin de visiter des loges du Dorset, de l'Essex, du Gloucestershire et du Somerset. Inutile de dire que tous ces déplacements s'effectuaient dans de pénibles conditions en diligence ou par la malle-poste...
Mais Dunckerley s'estimait pay é en retour par la fidèlité que lui manifestait ses frères et par le respect des règles et usages dans les loges placées sous sa juridiction. En maçon expérimenté, il écrivait que "les promotions d'une part et la discipline d'autre part avaient porté leurs fruits".
Il avait aussi réussi, dans toutes ses provinces, à faire en sorte que l'ensemble des loges se mobilisent sur le plan financier pour contribuer à l'achat des terrains et bâtiments situés dans Londres dans le but que la Grande Loge ait enfin des locaux digne d'elle.Doit on préciser que cet emplacement se trouvait et se trouve toujours à Great Queen Street ?
Dunckerley s'il avait compris que c'était un excellent moyen de canaliser les différentes volontés et de faire comprendre aux maçons qu'ils appartenaient tous à la même obédience, ne transigeait pas sur l'application de ses directives.
Il écrivait au Grand Secrétaire à propos de la loge de Malden en juillet 1784 : "si cette loge ne contribue pas à l'effort financier en faveur du futur siège et du fonds de charité le plus tôt possible, je désire qu'elle soit rayée de la matricule de la Grande Loge".
Son caractère déterminé pouvait aller jusqu'à un certain autoritarisme... Demandant fin 1785 si la loge de Bridgewater avait versé sa quote part, il ajoutait qu'il souhaitait voir l'ensemble de la loge le mois suivant à Bath... sans plus de précisions ! Le résultat ne se fit pas attendre : le 31 janvier 1786, Dunckerley envoya à la Grande Loge comme don pour la construction du Freemason's Hall la somme de 25 £ de la part de la loge de Bridgewater !
Les loges qui contribuèrent ainsi à l'édification de du bâtiment que nous connaissons furent distingués par l'attribution d'une médaille. La "Royal Cumberland Lodge" à Bath eut l'honneur de se voir remettre cette décoration par Thomas Dunckerley en personne, c'était une loge qu'il aimait souvent visiter et dont il était fier comme Grand Maître Provincial.
Il est émouvant de savoir que deux cent ans plus tard, cette médaille est toujours encore portée par le Vénérable Maître de cette vieille loge qui se réunit encore à présent à Bath et qui porte le numéro 41 (458 avant l'union de 1813).
La notoriété et la popularité de Dunckerley étaient telles que certains Frères n'hésitaient pas à lui écrire directement pour lui exposer leurs doléances si minimes soient elles... Ces lettre ne restaient jamais sans réponse et l'ancien officier de marine ne se gênait pas pour les transmettre au Grand Maître Provincial concerné sans oublier d'en envoyer un double au Comité de Charité à Londres !
Thomas Dunckerley ne laissait rien passer, et s'il avait une très haute idée de ses fonctions, il entendait qu'elles soient respectées... Il menaça de démissionner en 1791 car lors d'un banquet provincial, le Maître des Cérémonies avait eu le malheur de l'installer à la mauvaise place...Il porta l'affaire auprès de William White, Grand Secrétaire, qui voyant que les chose allaient mal tourner lui répondit par retour de courrier afin de calmer le jeu. Dunckerley, se laissant amadouer, obtint du Comité de Charité que désormais à chaque banquet d'une Grande Loge Provinciale, un frère soit spécialement désigné pour veiller au placement exact de chaque participant, respectant strictement l'ordre de préséance des Grands Officiers Provinciaux, en exercice ou honoraires...
On le voit, c'était écrit avec courtoisie mais de manière très ferme et William White, son interlocuteur, n'avait pas perdu de temps pour prendre en considération ses observations.
Mais si cette anecdote nous éclaire sur le caractère de Dunckerley et nous permet d'affiner le personnage, ce qui finalement est l'objet de cet exposé, c'est encore et toujours Dunckerley Franc- Maçon.
Nous avons vu, brièvement dans le temps qui nous est imparti, quel fut son rôle et son action à la tête de plusieurs provinces notamment par la création de très nombreuses loges auxquelles il se faisait un devoir de rendre visite assez régulièrement.
Il en découle que sa réputation s'étendait maintenant à toute l'Angleterre et lui donnait l'occasion d'apparaître comme le porte-drapeau de la Grande Loge, c'est à dire, non pas "l'oracle de la Grande Loge", comme l'écrirait plus tard le Docteur Oliver dans ses "Revelations of a Square", ouvrage bien documenté mais qui a tendance à enjoliver la réalité.
Mais il est utile de citer un autre passage de ce livre pour appuyer l'idée que Dunckerley n'était pas simplement un "activiste" de la Maçonnerie uniquement préoccupé de développer à tour de bras son organisation sans trop se pencher sur le contenu de ses réalisations... non !
On doit bien comprendre, comme nous l'avons dit au début que notre Frère, bien que "Moderne "ne négligeait pas ce qu'il pouvait apprendre de ses nombreux contacts avec les "Anciens "et somme toute, sa loge mère "Moderne "à Portsmouth était fidèle au rite "Ancien "(C'est lui qui le dit).
En bref, Thomas Dunckerkey avait quelques idées en tête, ce que nous prouve le Docteur Oliver : "Comme on dit que John Wesley remarquait, quand il adaptait quelque chanson populaire pour son recueil d'hymnes," Quel dommage que le diable monopolise tous les plus beaux airs", de même notre Frère Dunckerley, aussi fort que les soi-disant Anciens aient joué de la trompette sécessionniste proclamant l'excellence exclusive de leur schisme, décida qu'ils ne pouvaient s'approprier une seule perle de valeur tendant à une meilleure explication de la Maçonnerie".
Alors que veut dire tout ça ? Tout simplement que Thomas Dunckerley ne pouvait ni ne voulait négliger l'Arc Royal... auquel il avait été reçu dans sa loge mère à Portsmouth en 1754. Sans vouloir entrer dans les détails concernant l'apparition et la pratique de ce grade, ni se pencher sur les plus anciennes traces d'une cérémonie d'exaltation, que ce soit le 4 mars 1752 comme le dit Laurence Dermott sans préciser dans quelles circonstances ou le 22 décembre 1753 à Frederickburg en Virginie, alors colonie britannique, nous savons maintenant qu'"Anciens " et "Modernes "pratiquaient ce grade.
Le premier Grand Chapitre de l'Arc Royal fut crée en juillet 1766 par Lord Blayney, Grand Maître de la Grande Loge des Modernes suite à un document fondateur connu sous le nom de "Charter of Compact "comportant vingt huit signatures dont celle de Thomas Dunckerley. Les "Modernes" avaient pris les "Anciens" de vitesse !
On ne sera pas surpris d'apprendre, de source sure, que c'est Dunckerley qui poussa Lord Blayney dans cette voie. Il devait se révéler un avocat aussi efficace pour l'Arc Royal qu'il l' était pour le Métier et sa carrière allait prendre un nouveau tournant. Le nouveau Grand Chapitre avait trouvé un propagateur acharné dont les responsabilités dépassaient l'entendement... Qu'on en juge, Dunckerley fur le Grand Superintendant de dix huit provinces, successivement ou simultanément !
- 1780-1795 Devonshire
- 1793-1795 Cornwall
- 1782-1795 Bristol
- 1788-1795 Durham
- 1782-1795 Gloucester
- 1793-1795 Herefordshire
- 1785-1795 Kent
- 1782-1795 Somerset
- 1789-1795 Surrey
- 1793-1795 Warwickshire
- 1780-1795 Dorsetshire
- 1776-1795 Essex
- 1778-1795 Hampshire
- 1778-1795 Isle of Wight
- 1793-1795 Nottinghamshire
- 1787-1795 Suffolk
- 1787-1795 Sussex
- 1780-1790 Wiltshire
Quand on considère cette liste impressionnante et que l'on sait que Dunckerley se dépensa sans compter, on comprend qu'il ait été nommé Premier Grand Principal du Grand Chapitre Royal en 1791.
On sait que jusqu'à sa mort, Dunckerley resta un Excellent Compagnon et que le Grand Chapitre Royal le considéra toujours avec un immense respect pour tous les services qu'il avait rendu à la Maçonnerie de l'Arc Royal.
Mais l'aventure maçonnique de notre Frère ne s'arrêtait pas à l'Arc Royal, loin de là et c'est aussi ce qui en fait un maçon sans pareil.
Le fait de sillonner le Royaume en tous sens et ce pendant de longues année, lui avait permis de rencontrer une foule de frères impressionnés par sa personnalité et de plus, en esprit curieux de tout ce qui concernait la Maçonnerie – on le serait à moins – il était de l'avis même de ses contemporains un collectionneur de grades. Sa politique maçonnique était, si possible, de glaner chez les "Anciens" ce qu'il considérait comme bénéfique au Métier considéré dans son ensemble et de les transposer dans le cadre de la mouvance "Moderne" pour poursuivre le développement de celle ci mais pas seulement; un nouveau grade lui apparaissait comme une avancée dans le domaine de la connaissance maçonnique s'il le jugeait digne.
C'est exactement ce qu'il avait fait pour l'Arc Royal car c'est quand même lui qui avait présidé à l'exaltation de Lord Blayney, Grand Maître des "Modernes" ce qui avait eu les conséquences que nous avons vu.
Il ne pouvait pas en rester là et son nom, une fois de plus, est associé à un autre grade, celui de la Marque, comme si Dunckerley se trouvait toujours au bon endroit et au bon moment...
Il est quand même tout à fait extraordinaire de voir que le plus ancien procès-verbal relatant la pratique du grade de Maître Maçon de la Marque en Angleterre dans une organisation "spéculative" se trouve au sein du "Royal Arch Chapter of Friendship" à Portsmouth le 1er septembre 1769, ville que connaissait parfaitement, et pour cause, Thomas Dunckerley.
Fait remarquable, le procès-verbal de cette tenue est rédigé sous la forme d'un texte codé qui fut déchiffré plus d'un siècle aprés !
Que dit ce texte ?
Ceci : "Lors d'une tenue du Chapitre de l' Arc Royal à la "George tavern" à Portsmouth le premier septembre 1769, étant présents Thomas Dunckerley, Esq., William Cook, "Z", Samuel Palmer, "H", Thomas Scanvill, "J", Henry Dean, Philipp Joyes et Thomas Webb//// Le Grand Maître Provincial, Thomas Dunckerley apporta la Charte au Chapitre (constitué le 11 août dernier) et ayant reçu dernièrement "la Marque", il fit les frères "Maçons de Marque "et "Maîtres de Marque". Et chacun choisit sa "Marque"... Il nous expliqua aussi la façon d'écrire à utiliser lorsque nous transmettrions ce grade à d'autres (frères) pourvu qu'ils soient Compagnon du Métier pour "Maçons de Marque" et Maîtres Maçons pour "Maîtres de Marque".
Nous n'allons pas dans le cours de cet exposé, nous lancer dans des recherches concernant les origines du grade de la Marque, ce n'est pas l'objet de cette soirée et nous entrainerait bien trop loin.
Par contre, il y a une question qui nous vient immédiatement à l'esprit et qui en fait, est double : où Dunckerley fut il lui même fait "Maçon de Marque" et pourquoi l'importa t il dans un chapitre de l'Arc Royal ?
On ne peut affirmer avec certitude où Dunckerley fut reçu à ce grade. Dans une vie aussi agitée et mouvementée que la sienne, ce ne sont pas les occasions qui ont manqué
L'hypothèse la plus probable est qu'il ait reçu la Marque dans une loge militaire (ce qui ne nous surprendra pas) mais pas n'importe quelle loge militaire, sans doute d'une loge d'Anciens ayant des liens avec la Grande Loge de toute l'Angleterre à York.
Le fait qu'il soit "Moderne" n'était pas un obstacle pour lui car comme officier de marine, connu et estimé, il avait ses entrées partout y compris et surtout dans les loges de toutes les constitutions.
Il aurait pu aussi être reçu dans une loge du Nouveau Monde mais nous suivrons l'avis de notre frère le Révérend Neville Barker Cryer dont nous saluerons une fois de plus l'immense érudition et qui s'est livré à une véritable enquête à ce sujet.
Une seule loge a le profil recherché: la loge du 6ème Dragons d'Inniskilling, composée en majorité d' Irlandais, ayant eu une charte des "Anciens", une charte de la Grande Loge d' York et pour finir une charte des "Modernes" et dont on sait qu'elle pratiquait ce grade en deux parties, "Homme de Marque" et "Maître de Marque".
De plus, ce régiment était stationné dans le Sussex en 1769 dont Dunckerley était sur le point de devenir le prochain Grand Maître Provincial.
Tout cela fait beaucoup de coïncidences qui peuvent être considérés comme des indices concordant et qui expliqueraient les propos de Dunckerley sur son admission récente.
Pourquoi introduire la Marque dans un chapitre ? Et pourquoi pas ?
La création du Grand Chapitre était récente et le chapitre de Portsmouth venait juste de voir le jour...
Nous pensons qu'il s'agit là d'une volonté politique de Dunckerley que de vouloir implanter un nouveau grade dans une structure "Moderne", fidèle à sa manière d'agir, c'est à dire, prendre des grades où qu'ils se trouvent afin de ne pas les laisser entre les mains des "Anciens".
Nous n'avions pas l'intention de faire l'historique de la Marque mais simplement de montrer l'engagement de Dunckerley dans ce qui lui semblait être un grade très intéressant et qu'il associait à l' Arc Royal, d'ailleurs, jusqu'en 1844, au sein de ce chapitre, aucun frère n'était exalté sans être en même temps avancé à la Marque.
Continuant à suivre Dunckerley dans ses pérégrinations maçonniques, nous devons mentionner son implication dans ce que l'on nomme le "Royal Ark Mariner" et que nous traduisons par Marinier de l'Arche Royale.
Ce grade aux origines assez floues semble s'être manifesté dans les années 1780 dans la ville de Portsmouth, comme par hasard, ville où fut initié le Docteur Ebenezer Sibly qui, curieux personnage, passe pour avoir été l'inventeur ou plutôt le propagateur de ce grade...mais quels étaient ses liens avec Thomas Dunckerley ?
N'oublions pas que durant cette période, Thomas Dunckerley était Grand Maître Provincial du Hampshire et également Grand Superintendant de cette Province pour l' Arc Royal... une initiative maçonnique aurait elle pu passer inaperçu de la part d'un homme aussi actif et curieux, dans le bon sens du terme, qu'il l'était ?
Cela semble peu probable.
Et précisons que dans tous les cas, on voit mal ce qui aurait pu échapper à la sagacité de notre Frère, vu que si ce grade avait été pratiqué à Ipswich ou à Bath, Thomas Dunckerley était aussi Grand Superintendant Provincial du Suffolk et Grand Maître Provincial du Somerset et de l'Essex !
Nous ne retracerons pas ici la biographie du Docteur Sibly, écrivain prolifique, astrologue convaincu et aussi vendeur de billets de loterie, pratique répandue en ce temps. En bref, il est certain que les deux hommes se connaissaient en raison de leur qualité maçonnique.
On pense (avec les précautions d'usage) que Sibly, causeur habile, réussit à éveiller la curiosité de Dunckerley peut être par l'aspect "maritime" de ce grade et que par la suite, ils collaborèrent à la "mise en forme" et à l'élaboration des rituels de Marinier de l'Arche Royale.
Voilà ce que l'on pouvait lire dans le "Freemason's Magazine" d'aout 1794 :
"Le 16 aout, étant le jour de l'anniversaire de son Altesse Royale, le Duc d'York, fut célébré avec tous les honneurs de la Maçonnerie par l'Ordre des Chevaliers Templiers de Londres en union avec la Société des Anciens Maçons de l'Ordre Diluvien de l'Arche Royale et des Maçons de Marque, réunis à la "Surrey Tavern "dans le Strand à l' invitation de Thomas Dunckerley esq., Grand Maître et Grand Commandeur de ces Ordres Unis".
Cette citation nous permet d'abord d'en terminer avec le Royal Ark Mariner brièvement évoqué, nous en sommes conscients, mais qui, ce soir, ne nous intéresse que parce qu'il figure à un moment de la vie de Thomas Dunckerley.
Mais le passage du "Freemason's Magazine" nous permet d'aborder maintenant un autre aspect de celui que les historiens anglais nomment souvent "the ubiquitous" Dunckerley, l'omniprésent Dunckerley : le rôle essentiel qu'il joua à la tête des Knights Templar.
C'est ce dernier aspect de sa vie maçonnique que nous devons aborder car c'est certainement un de ceux où il laissa son empreinte la plus forte et la plus durable.
Pas plus que nous n'avons fait l'historique de la Marque ou du Royal Ark Mariner, nous ne ferons celui du grade de Knight Templar dont les origines restent obscures et peuvent se trouver dans diverses sources comme les loges militaires anglaises, écossaises, irlandaises, sans oublier les contacts établis en Europe ou dans le Nouveau Monde avec des frères qui pratiquaient eux aussi un grand nombre de grades.
A titre d'exemple, encore une fois, la plus ancienne mention de la pratique de ce grade, c'est à dire un procès verbal d'une cérémonie de réception, nous vient des colonies britanniques de la Couronne : le Chapitre de l'Arc Royal "Saint André" situé à Boston, Massachussets, le vingt huit aout 1769 !
Pour faire court, nous savons que ce grade était pratiqué dans de nombreuses loges et chapitres en Angleterre au cours des années 1770 (Nous laissons de côté volontairement l'Ecosse et l'Irlande) avec ou sans autorisation d'une autorité supérieure...
Il est encore extraordinaire de noter qu'il existe dans les archives du "Royal Arch Chapter of Friendship" à Portsmouth, que nous commençons à connaître maintenant assez bien, une lettre de Thomas Dunckerley écrite dans le courant de l'année 1778 dans laquelle il autorise le dit chapitre "à faire des Chevaliers Templiers s'ils le désiraient".
C'est pourtant du côté de Bristol que nous devons tourner nos regards.
En effet, Dunckerley était Grand Superintendant Provincial depuis 1782 et Grand Maître Provincial depuis 1786 pour cette ville et son comté.
La bonne ville de Bristol était depuis longtemps un lieu où se pratiquaient de nombreux grades additionnels, réunis dans ce que l'on nomme encore le "Baldwyn Rite" ou le Rite en Sept Grades au sein du "Camp of Baldwyn", Time Immemorial...
Des historiens éminents comme Handfield-Jones ou Eric Ward ne sont pas d'accord sur le fait de savoir si Dunckerley prit la direction de cet organisme afin de le transformer ou si ce sont DES frères de Bristol qui firent appel à lui afin d'étendre la pratique de ce rite.
De toute les façons, ça n'entre pas dans le cadre de cet exposé et n'a pas non plus une grande importance pour mieux apréhender la vie de Dunckerley.
Ce que nous savons, c'est que, et c'est Dunckerley qui le dit, en mars 1791, il accepta de devenir, à la demande de nombreux frères et pas seulement de Bristol, mais aussi d'York , entre autres le Grand Maître des Chevaliers Templiers.
Le vingt quatre juin 1791 se tint donc à Londres la première réunion du Grand Conclave qui vit l' installation de Thomas Dunckerley comme son Grand Maître.
Acceptaient de passer sous la juridiction de cet organisme suprême des assemblées de Knights Templar à l'ancienneté prestigieuse comme the "Ancient York Conclave of Redemption" à York, the "Observance of the Seven Degrees" à Londres, the "Baldwyn Encampment "bien sûr à Bristol ou encore the "Union or Rougemont Conclave" à Exeter...
On doit souligner que là aussi, Dunckerley se dépensa sans compter, écrivant probablement des centaines de lettres aux Conclaves ou aux frères répandus à travers tout le royaume. De plus, comme il en avait l'habitude, il continua à visiter personnellement le plus grand nombre possible d'établissements, par tous les temps, été comme hiver, ce qui ne pouvait que forcer le respect et l'admiration de tous les frères qui le rencontraient...
A ce rythme-là, on ne sera pas surpris d'apprendre qu'en 1794, on comptait déjà plus de 24 nouveaux conclaves...
Mais Dunckerley prenait très au sérieux sa charge de Grand Maître des Knights Templar, pour un homme comme lui, ce que l'on enseignait au sein de ces assemblée ne pouvaient demeurer de simples paroles
Le 11 mars 1794, alors que la situation politique et militaire était plus qu'instable -c'est un euphémisme- en Europe et que la menace révolutionnaire se rapprochait dangereusement de la vieille Angleterre, il écrivit à l'ensemble des frères placés sous sa juridiction, de se préparer, dès à présent, à rejoindre au plus vite leurs régiments d'affectation pour défendre leur patrie.
Il n'était pas homme à demander aux autres ce qu'il ne ferait pas lui même, aussi ,bien qu'approchant les soixante dix ans, il ajoutait que le moment venu, il offrirait ses service à la marine ou à l'armée. Cet appel fut largement relayé au sein du monde maçonnique anglais et lui valut une plus grande notoriété, si cela était encore possible !
Mais les années passant et surtout ayant vécu une grande partie de son existence dans des conditions physiques très dures sur les navires de Sa Majesté, les premières atteintes de l'âge se manifestèrent.
Lui et son épouse quittèrent Hampton Court pour leur résidence de Portsmouth en avril 1795 où sa santé déclina rapidement.
Malgré son état, il se préoccupait toujours des affaires concernant le Métier, l'Arc Royal et les Knights Templar.
Thomas Dunckerley quitta cette terre le 17 novembre 1795.
Il fut enterré dans le cimetière de la paroisse de Sainte Marie à Kingston. A la fin du dix neuvième siècle, l'église fut reconstruite et le cimetière déplacé, certaines tombes disparurent. Celle de Dunckerley ne fut jamais retrouvée.
Arrivée au terme de cette esquisse biographique, quel est le bilan que nous pouvons en tirer de la façon la plus objective qui soit ? Qu'est ce qui fait que le nom de Thomas Dunckerley soit toujours vénéré parmis les maçons de la Grande Loge Unie d'Angleterre ?
Il y a plusieurs raisons.
Avant lui, la charge de Grand Maître Provincial était négligée ou confiée à des frères en fonction de leur rang social et non de leurs activités maçonniques. Il fut le premier à s'investir d'une façon quasi acharnée et quotidienne dans tous les postes qu'il occupa simultanément.
On peut dire que grâce à lui, la Maçonnerie se développa et s'organisa dans toutes les provinces du pays, il lui donna un cadre administratif, il la dota d'une véritable organisation nationale. Ce qu'il fit pour le Métier, ile le fit pour l'Arc Royal et pour les Knights Templar, s'occupant personnellement de tous les aspects de la vie d'une association maçonnique. Il se préoccupait des décors portés (il en conçut plusieurs pour les K.T.), du déroulement des tenues, du respect des règles, de la rectitude des candidats, des conditions à remplir pour être reçu à tel ou tel grade, de l'assiduité de chacun, des affaires intérieures de chaque loge, de chaque chapitre, de chaque conclave, de chaque Province...Il était partout à la fois.
Et c'est ce qui marqua les esprits, Dunckerley était malgré ou à cause de ses responsabilités un homme accessible à tous. Comme l'écrivait un de ses biographes, un frère dans le besoin ne faisait jamais appel en vain à sa compassion. Et le temps nous a manqué pour évoquer son action dans la fondation de la "Royal Cumberland Freemasons School" en 1788 dont il fut un des membres du conseil d'administration.
Sans sombrer dans l'hagiographie, on doit admirer un frère qui rendit autant de services à l' Ordre sans ménager sa peine.
Très peu d'historiens maçonniques lui sont hostiles, tout au plus réservé sur certains aspects d' un caractère jugé ombrageux.
Même William Preston, pourtant avare de compliments, écrivait dans ses "Illustrations of Masonry" en 1781 : "Suite aux efforts inlassables de cette sommité maçonnique, Thomas Dunckerley, Esq., en faveur de qui fut crée le poste du Hampshire, la Maçonnerie fit de grands progrés, non seulement dans sa Province mais aussi dans tous les autres Comtés d'Angleterre."
Et enfin, un de ses premiers biographes et amis, Thomas White, que nous avons déjà cité, écrivait dans le "Freemason's Magazine" en octobre 1793, de son vivant ces quelques lignes que nous ferons nôtres :
"Qu'il puisse longtemps, très longtemps bénéficier des bénédictions du Seigneur et continuer à être l'ornement d'une Société qui a reçu les témoignages d'éloges pour son action, est le voeu le plus fervent de son humble biographe et de celui de milliers d'autres qui estiment que ce n'est pas la moindre des prérogatives de la Franc-Maçonnerie que de pouvoir donner à cet excellent homme le plus amical de tous les titres : UN FRERE".
Notes de Thierry Boudignon
Homme très actif et d’un grand dévouement à l’Ordre, Thomas Dunckerley pratiqua aussi bien la Maçonnerie des « Modernes » que celle des « Anciens » et les « hauts grades ». Il favorisa ainsi la future réconciliation entre les grandes loges rivales.
Il est né à Londres le 23 octobre 1724 et fut le fils adultérin et secret du prince de Galles, futur roi d’Angleterre (George II). Entré dans la marine royale en 1742, il y gravit de nombreux échelons avant de prendre sa retraite en 1764.
Sa vie maçonnique commence le 10 janvier 1754 lorsqu’il est reçu, passé et élevé dans une loge de Portsmouth (« Modernes »). Bientôt, il rejoint de nombreuses loges. Il reçoit l’Arc Royal à Portsmouth cette même année 1754. Il est Maître de Loge en 1756. En 1758, il part pour le Canada où il prendra part à la prise de Québec et y fonde une Grande Loge provinciale. Revenu à Londres en 1760 pour y obtenir une patente de la Grande Loge des « Modernes », il y apprend la véritable origine de sa naissance. Il lui faudra cependant attendre 1767 pour que le roi le reconnaisse et lui octroie une pension et un logement qui le mettront définitivement à l’abri du besoin.
Il peut alors se consacrer entièrement à son activité maçonnique. Il est un Grand Maître Provincial très actif et donnera à cette fonction jusque là essentiellement honorifique sa véritable dimension. Il se déplace beaucoup, visite et suit l’activité des loges, en fonde d’autres dont une prestigieuse à Londres.
En tant que Grand Maître Provincial de diverses provinces de 1767 à 1786, très actif et parfois autoritaire, il développe le Métier (the Craft) notamment dans son patrimoine immobilier. Il sera une des chevilles ouvrières du siège de la Grande Loge à Great Queen Street.
Bien que « Moderne », il est en contact avec les « Anciens ». Peut-être peut-on y voir une volonté de ne pas laisser tout un pan de la tradition maçonnique aux seules mains des « Anciens » ? On a vu qu’il est reçu à l’Arc Royal dès 1754 (le grade est attesté peu de temps avant 1752-1753) et jouera un grand rôle dans la fondation du premier Grand Chapitre de l’Arc Royal (« Moderne ») en 1766. En 1791, il sera 1er Grand Principal.
Collectionneur de grades, il s’intéresse à la Marque. Y fut-il reçu dans un chapitre de l’Arc Royal ? Dans une loge militaire ? Toujours est-il qu’il est présent à la première attestation de la pratique de ce gade en Angleterre à Portsmouth en 1769. Ce grade y sera d’ailleurs pratiqué jusqu’en 1844.
Il pratique aussi le grade de Marinier de l’Arche Royale (Royal Ark Mariner), peut-être en contact avec Silby et intéressé par le caractère maritime du grade.
Enfin, il pratiqua aussi le grade de Knight Templar dont la plus ancienne mention se trouve dans un chapitre de l’Arc Royal à Boston en 1769, peut-être via des loges militaires. Dans une lettre de 1778, Dunckerley autorise un chapitre de l’Arc Royal à délivrer le grade de KT, grade qui sera aussi pratiqué à Bristol. En 1791, il est Grand Maître des KT et il existera 24 conclaves en 1794.
Thomas Dunckerley meurt le 24 novembre 1795.
Cet homme consacra donc une grande partie de sa vie à la Maçonnerie sous tous ces aspects : vie de loges, décors, action de charité, hauts grades, etc. William Preston lui rendra hommage dans l’édition de 1781 de ses Illustrations of Masonry mais si Dunckerley eût une carrière d’organisateur et de propagateur, il ne semble pas qu’il ait laissé des écrits doctrinaux.
Bibliographie : il existe de nombreuses biographies de Thomas Dunckerley. Signalons celle de Thomas Waite, rédigée de son vivant, et celle du Dr Oliver (XIXe siècle).