Les Statuts Schaw (5 et fin) Loges et Guildes

Gilbert Cédot

Mars 2007

Comment intervenir après une aussi brillante conférence, V.M.

Par ailleurs, je lis, sur la convocation, que, dans votre grande sagesse, vous m’avez assigné un nouveau thème.

Vous connaissez ma grande inconstance.

Je vais en conséquence, simplement, ce soir, me contenter d’essayer de poursuivre le chemin ouvert lors de notre dernière Tenue, lorsque j’ai esquissé une présentation de ce maillon central de l’organisation des « Métiers » dans l’Ecosse des 16e et 17e siècles - à savoir l’« Incorporation », la Guilde.

Il me semble en effet que, faute de passer par cette étape, il apparaît très difficile, voire impossible d’appréhender la création - ou l’institutionnalisation après remodelage - par William Schaw des loges de maçons, ainsi que sa tentative de les structurer, de les organiser… Et au final celle de leur obtenir une reconnaissance officielle.

J’ai essayé de décrire ces Guildes - comme vient de le rappeler notre frère Secrétaire - autour de quelques unes de leurs dimensions majeures : Leur aspect religieux, leur rôle solidaire et social -incluant la convivialité - et leur fonction revendiquée de réglementation du « Métier ».

J’ai également brièvement développé ce qu’était leur statut dans la cité, et celui qu’elles apportaient à leurs membres. Enfin j’ai évoqué leur mode de direction.

Il me faut donc maintenant tenter - globalement autour de ces même critères - de rechercher les différences entre les loges « Schaw » et ces « Incorporations », et surtout essayer - comme je l’ai témérairement annoncé - d’émettre des hypothèses sur les causes de la mise en place de ces nouvelles structures, et sur celles qui leur ont permis de se pérenniser.


LA DIMENSION RELIGIEUSE

Elle est de nature totalement différente.

Tout simplement parce que la Réforme protestante - instaurée dès 1560 - est passée par là et qu’elle s’est imposée aussi bien pour les Guildes que pour les loges « Schaw ».

Les « Statuts et Règlements » des « Wrights and Masons » d’Edimbourg de 1475 baignent dans les invocations à Dieu éternel et tout puissant, à la glorieuse Vierge Marie, à St Gilles - le Saint patron de la collégiale - à St Jean l’Evangéliste, et même au glorieux St Jean le Baptiste.

Au sein même des « Statuts et Règlements » figure une référence aux processions - qui bien entendu intègrent une dimension religieuse majeure : « Item, les susdits deux hommes [élus de chacun des deux métiers] auront leur place marquée dans les processions générales, comme cela se pratique à Bruges et autres bonnes villes ».

Aucune invocation religieuse ne figure dans les « Statuts Schaw ».

Mais la « Kirk », l’église calviniste y a introduit sa face grise, c’est à dire son souci de contrôle idéologique et social - avec en corollaire la répression y afférant.

Cette surveillance apparaît - plus d’ailleurs sous la forme d’un cadre menaçant - dans quatre des quatorze articles des seconds « Statuts Schaw », avec notamment:

  1. La responsabilité des Surveillants de chaque loge devant les « Presbytères » de leur lieu d’exercice pour toute offense commise.
  2. L’exclusion pour tout membre qui désobéit à l’église.

Essayons de poursuivre avec d’autres éléments de comparaison.


LA DIMENSION SOLIDAIRE ET SOCIALE

Si l’on reprend la dimension solidaire et sociale des Guildes, force est de constater que les loges « Schaw » présentent des actions souvent similaires :

Au niveau des textes régissant la corporation des « Wrights and Masons », textes approuvés par l’apposition du « Sceau des Causes » de la cité d’Edimbourg, si un de ses membres décède sans avoir suffisamment de bien pour être enterré décemment, la Guilde prend en charge la dépense des funérailles.

Le premier article des « Statuts Schaw » de 1598 précise que les « Maîtres maçons de ce royaume…vivront ensemble dans la charité comme étant devenus par serment frères et compagnons [du] métier ».

Dans les « Statuts » de 1599 un tiers des amendes doit être « employé aux usages pieux de la loge où l’offense aura été commise ». Dans ceux de 1598, le produit de la totalité des nombreuses amendes possibles doit être distribué « ad pios usus ».

Dans la pratique, un « gardien du drap mortuaire » est identifié en 1624 dans les procès-verbaux de la loge d’Aitchison’s Haven, qui en possède même deux en 1667… de tailles différentes !

La convivialité

En ce qui concerne la troisième dimension, la convivialité, des banquets sont mentionnés - deux fois - dans les Statuts de 1599, pour les admissions d’apprentis et de compagnons.

Mais on banquetait également le 27 décembre, à l’occasion de la Saint Jean.

Quatrième dimension : La réglementation du « Métier ».

Sept des dix articles des « Statuts et Règlements » des « Wrights and Masons » d’Edimbourg,

quinze articles - sur vingt deux - dans les « «Statuts » de 1598, et plus de la moitié des quatorze articles des « Statuts » de 1599 portent sur la réglementation du métier de maçon.

Avec un certain nombre de thématiques communes :

La compétence et le contrôle de la bonne exécution du travail.

Dans les règlements des « Wrights and Masons », « Quatre personnes de la plus grande valeur, deux maçons et deux charpentiers » assermentés vérifient « tous les travaux des Hommes du Métier, afin qu’ils soient légalement et véritablement convenablement effectués ».

Dans les « Statuts » de 1598, « personne ne doit entreprendre un ouvrage, grand ou petit, qu’il n’est pas capable d’exécuter avec compétence », sous peine d’une amende de 40 livres, ou du quart de la valeur dudit ouvrage... selon l’estimation et le jugement du Surveillant Général, ou en son absence selon l’estimation des Surveillants, Diacres et Maîtres du Comté (« Shrefdome ») où ledit ouvrage est en construction.

La bonne réalisation d’un ouvrage est assortie, dans le cadre de la Guilde d’un contrôle interne par deux membres très qualifiés et assermentés.

Dans le cadre de la Loge, la non-compétence est sanctionnée par une amende très lourde fixée par le Surveillant Général, ou par une instance intermédiaire - dont on apprend en même temps l’existence - composée de Surveillants, Diacres et Maîtres, instance ayant juridiction au niveau du Comté.

La réparation ou l’indemnisation des dommages et des torts éventuellement causés aux commanditaires.

Dans les règlements des « Wrights and Masons », « Si quelqu’un a à se plaindre du travail ou d’un travailleur de ces métiers, il s’adressera au Diacre et aux « Quatre hommes » ou à deux d’entre eux et ces personnes veilleront à ce que le dommage soit réparé, et si cela n’est pas possible le Prévôt et les Baillis le feront indemniser au mieux ».

Dans les « Statuts » de 1598, « …des dédommagements et compensations » sont « à payer aux propriétaires de l’ouvrage, selon l’estimation et le jugement du Surveillant Général, ou en son absence selon l’estimation des surveillants, diacres et maîtres du comté où ledit ouvrage est en construction ».

Dans le premier cas, le préjudice doit être réparé. Dans le deuxième, il doit être indemnisé.

Si, au niveau des « Statuts Schaw », c’est la même instance que précédemment qui fixe le montant du dol, il est intéressant de constater, au niveau des règlements des « Wrights and Masons », que le Diacre apparaît, en sus des quatre hommes, mais que même assermentés, ils ne constituent qu’une première instance. Ce sont les autorités municipales, qui, au final, arbitrent… et le cas échéant condamnent…

La juridiction de référence des conflits internes.

En cas de plainte contre quiconque, de discorde ou de désobéissance, les règlements des « Wrights and Masons » d’Edimbourg précisent que l’homme accusé est traduit devant le Diacre [concerné], et au moins deux des « Quatre hommes » du Métier - qui doivent régler le conflit - et s’ils n’en sont pas capables, il devra être traduit devant le Prévôt et les Baillis.

Dans les « Statuts », « si quelque contestation, querelle ou dissension éclate parmi des maîtres, des aides, ou des apprentis entrés », « les parties en présence » doivent faire «connaître la cause de leur querelle aux Surveillants et aux Diacres de leur loge dans un délai de 24 heures, sous peine d’une amende de 10 livres, afin qu’ils puissent être réconciliés et mis d’accord, et que leur différend puisse être aplani par lesdits Surveillants, Diacres et Maîtres ; et s’il advient que l’une des parties s’entête et s’obstine, ils seront exclus des privilèges de leur loge et il ne leur sera pas permis d’y travailler jusqu’à ce qu’ils viennent à résipiscence devant les Surveillants, Diacres et Maîtres, comme il a été dit ».

Hors problèmes de compétence et d’indemnisation liés aux ouvrages, les autres conflits sont réglés là aussi sur des modes différents :

  1. Dans les « Statuts », la procédure commence par l’obligation dans un délai très bref de poser les causes du conflit devant les instances d’arbitrage, en l’occurrence les dirigeants de la loge. C’est à ce niveau seul qu’une résolution doit être trouvée, et la sanction ultime est l’exclusion. Il s’agit donc bien de conflits internes.
  2. Dans les règlements des « Wrights and Masons », on retrouve la même juridiction que précédemment, avec au sommet, les autorités municipales, ce qui peut notamment signifier - outre des amendes - une interdiction possible de travailler, voire un emprisonnement.

Il est également intéressant déjà de noter que la juridiction contenue dans les règlements des « Wrights and Masons » s’étend à tout homme du « Métier », alors qu’au niveau des « Statuts », elle ne porte que sur les Maîtres, les Aides, ou les Apprentis-Entrés membres de la loge.

Ces premières comparaisons montrent des corpus réglementaires qui se chevauchent, qui s’entrecroisent, tout en présentant cependant des différences notables.


LES SANCTIONS.

Le même phénomène est présent au niveau des sanctions.

Dans les règlements des « Wrights and Masons » - à une exception près que j’évoquerai dans un instant - les sanctions ne sont jamais définies, car ce sont les autorités municipales qui les fixent… et les font exécuter.

Les « Statuts » prévoient des sanctions pour la plupart des manquements. Essentiellement pécuniaires, elles peuvent dans une circonstance précise déjà citée (contestation, querelle ou dissension) aller jusqu’à l’exclusion de la loge, et même, en cas de manquement à la sécurité, jusqu’à une condamnation - pour le maître entrepreneur d’ouvrage concerné - à travailler pendant le restant de ses jours sous les ordres d’un autre maître principal ayant charge d’œuvre.

Le cadre obligatoire de la formation.

Dans les règlements des « Wrights and Masons », si un apprenti quitte - sans y être autorisé - son maître avant la fin de son terme, celui qui le recevra devra donner à l’autel une livre de cire, et à la deuxième fois deux livres de cire, et à la troisième fois, il sera puni par le Prévôt et les Baillis de la ville comme ils le jugeront bon.

Dans les « Statuts » de 1598, aucun maître n’accueillera ni n’emploiera l’apprenti ou l’aide d’un autre maître, qui se sera enfui du service de ce maître, ou [s’il l’a accueilli par ignorance], il ne le gardera pas avec lui quand il sera informé de sa situation, sous peine d’une amende de 40 livres.

Il ne sera permis à aucun maître de vendre son apprenti à un autre maître, ni de se décharger à prix d’argent, vis-à vis de l’apprenti lui-même, des années d’apprentissage qu’il lui doit, sous peine d’une amende de 40 livres.

Enfin un point d’accord entre les deux textes : L’apprentissage, matérialisé par un contrat doit se dérouler dans son intégralité sous l’égide d’un même maître.

Comme nous venons de le voir, en ce qui concerne les règlements des « Wrights and Masons »,

La punition ultime en cas de manquement est délivrée par le Prévôt et les Baillis de la ville. On peut remarquer que c’est le seul cas dans lequel est précisée une sanction financière - par ailleurs graduée.

En ce qui concerne les « Statuts », l’amende est très lourde. Derrière la préoccupation du strict respect du cadre contractuel, apparaît nettement un souci de protection des « Maîtres entrepreneurs » contre le risque - en quelque sorte - de débauchage sauvage.

Mais cet article présente également un caractère « protecteur » pour les apprentis afin de leur permettre d’arriver au terme de leur formation.

L’examen de passage pour devenir « Homme Libre et Compagnon », dans la Guilde, ou « Frère et Compagnon du métier », dans la Loge.

Dans les règlements des « Wrights and Masons », quand un apprenti a terminé son temps d’apprentissage, il est examiné par les « Quatre hommes » pour savoir s’il est digne ou non d’être admis comme « Freeman and Fellow ». S’il n’est pas reconnu digne, il continuera à être employé jusqu’à ce qu’il soit reconnu apte à le devenir - à devenir un maître dans la Guilde.

Dans les « Statuts » de 1598, deux articles spécifient qu’un apprenti ne pourra devenir un « frère et compagnon du métier » [« brother and fallow in craft »] qu’après qu’on [les Surveillants, Diacres et Maîtres] ait suffisamment éprouvé sa valeur, qualification, et habileté… et cela sous peine d’une amende de 40 livres, à percevoir sur celui qui aura été fait compagnon du métier [« fallow in craft »] contrairement à cette ordonnance, sans préjudice des peines qui pourront lui être appliquées par la loge à laquelle il appartient.

Aussi bien au niveau de la Guilde qu’à celui de la Loge, la compétence professionnelle est majeure. Car c’est sur la qualification que s’appuie la demande de conservation du monopole exercé sur le « Métier ». Elle est validée par un jury ou l’on retrouve simplement les « Quatre hommes » dans le premier cas, et les « Surveillants, Diacres », auxquels se rajoutent les « Maîtres », dans le second cas.

Devenir « Maître et Homme Libre » dans la Guilde des « Wrights and Masons » implique non seulement d’en avoir terminé avec son contrat d’apprentissage, mais aussi de réussir l’examen, faute de quoi l’apprenti continuera à travailler sous un statut de salarié, de « Bound Servant ».

La réussite à un examen est aussi requise, mais pour devenir « Compagnon du Métier et Maître » dans la Loge. Cependant, les « Statuts » s’étendent surtout sur les amendes et peines sanctionnant le non respect des règles édictées.

Ces pénalités s’appliquent par ailleurs exclusivement à l’apprenti qui se fait recevoir illégalement.

La durée de l’apprentissage.

Dans les règlements des « Wrights and Masons », un « Maître ne peut prendre des apprentis pour moins de sept ans ».

Dans les « Statuts » de 1598, aucun Maître ne prendra ni ne s’attachera d’apprenti (Prenteis bund) également pour moins de sept ans, mais cet apprenti ne pourra pas devenir un « frère et compagnon du métier » avant « sept autres années après la fin de son apprentissage, sauf dispense spéciale accordée par les Surveillants, Diacres et Maîtres assemblés pour en juger… »

Les croisements et chevauchements des corpus réglementaires se poursuivent, et toujours encore avec des différences notables.

Passer à un statut supérieur semble impliquer des durées très différentes entre une Guilde du bâtiment, comme celle des « Wrights and Masons » d’Edimbourg et une Loge « Schaw ».

Les faits le confirment, mais absolument pas dans le sens indiqué.

Quel est donc le véritable parcours dans ces deux hiérarchies - qui à première vue, semblent parallèles ?

Devenir « Freeman an Fellow » dans la Guilde des « Wrights and Masons » implique tout d’abord - comme déjà évoqué - d’en avoir terminé avec son contrat d’apprentissage, au service d’un maître.

La durée de ces contrats - 82 répertoriés à Edimbourg entre 1584 et 1647 - varie entre cinq et onze ans, l’écrasante majorité se situant effectivement autour d’une période de sept ans. Une huitième année est parfois rajoutée « contre viande et rétribution », c’est à dire que l’apprenti n’est plus simplement nourri, mais également… payé.

En avoir terminé avec le temps d’apprentissage n’est cependant pas suffisant :

Avoir été examiné - même avec succès - par les « Quatre hommes », avoir éventuellement réalisé un chef-d’œuvre implique également, pour devenir « Freeman an Fellow », le paiement de frais coutumiers.

Déjà, dans les règlements de 1475 des « Wrights and Masons », il était précisé que chaque apprenti devait - au moment de l’enregistrement de son contrat d’apprentissage - verser un demi-marc pour ledit autel.

Reconnu digne de figurer parmi les « Freeman and Fellow », il lui fallait encore verser un autre demi-marc… ».

Mais en 1686, c’est 104 livres qu’il faut débourser pour obtenir ce statut, soit, pour un « Bound Servant », 6 mois de salaire à temps plein.

Le constat d’un nombre quasi immuable de « Maîtres maçons» dans la corporation d’Edimbourg - environ une quinzaine entre 1670 et 1709 - montre bien le souci des titulaires de restreindre l’accès à ce privilège - via des redevances exorbitantes - d’en préserver le monopole pour eux-mêmes, et le cas échéant pour leurs enfants, par ailleurs souvent dispensés de contrats d’apprentissage. Il en résulte que l’écrasante majorité des apprentis deviennent à la fin de leur formation des « Bound Servants », des employés salariés… et le restent toute leur vie.

Faire recevoir au bout de deux à trois ans maximum son « Apprenti-Enregistré » comme « Apprenti-Entré » dans une loge « Schaw », comme par exemple celle de « Mary’s Chapel », est souvent inscrit en toutes lettres dans les contrats signés, et figure comme une obligation du Maître employeur.

Entre sept et dix ans après avoir été « entré » - et non pas quinze, comme inscrit dans les « Statuts » - l’Apprenti est fortement incité à devenir « Frère et Compagnon du métier », en payant là aussi un droit (dix livres, et des gants d’une valeur de 10 shillings), mais évidemment cette fois à la Loge.

Ce changement d’état dans la loge est totalement indépendant de son statut social, largement conditionné, dans le Bourg, par l’appartenance - ou non - à la Guilde.

Certains « Frères et Compagnons du Métier » - en fonction de leur ressources, de leur filiation ou de leurs relations - deviendront « Freeman and Fellow », électeurs du Bourg, les autres demeurant donc à jamais « Bound Servants »…

Certains autres, en lien avec leur statut familial, social ou professionnel, seront même nommées « Freeman and Fellow », électeurs du Bourg, avant d’être admis dans la loge, où naturellement ils deviendront - sous un délai faible voire inexistant - « Frères et Compagnons du métier ».

Les deux entités organisées que sont la « Guilde » et la « Loge » - ont - où se sont données vocation à réglementer le « Métier ».

Mais la première est uniquement composée par les patrons, « hommes libres et électeurs du Bourg », seuls habilités à entreprendre des ouvrages et des travaux conséquents, ainsi qu’à pouvoir embaucher.

Ces mêmes employeurs se retrouvent également dans la seconde, où - sous la dénomination commune de « Frères et Compagnons du métier » - ils cohabitent en quelque sorte avec leurs ouvriers salariés… et même leurs Apprentis.

Dans ces sept exemples croisés, au niveau des textes de références, portant sur la réglementation du « Métier », au delà des différences notables, j’ai commencé à mettre en évidence des écarts avec les pratiques réelles.

Ces écarts sont conséquents sur l’ensemble du territoire écossais, et les situations varient considérablement.

Si je prends le simple cas d’Edimbourg, la loge - pourtant Première et Principale loge d’Ecosse d’après les seconds « Statuts Schaw » - et qui se réunit à « Mary’s Chapel », dans le même local que la corporation des « Wrights and Masons », s’occupe fort peu de la régulation du « Métier » :

  1. En 1599 un simple avertissement donné à un de ses membres pour l’emploi d’un « Cowan ».
  2. Quelques tentatives de contrôle du nombre d’apprentis pendant la première moitié du 17e siècle.
  3. Quelques conflits internes arbitrés…

La vérification de « la valeur, de la qualification et de l’habileté », n’est pas nécessaire pour devenir « Compagnon ou Maître » au sein de la loge.

Elle est par contre obligatoire pour accéder au rang de Maître de la Corporation.

La production d’un chef d’œuvre lié à l’architecture, dans la plupart des cas la maquette d’une construction - et non pas à la taille ou à la pose de pierres - intervient souvent après ce changement de statut, et n’est en aucun cas une condition sine qua non.

Toujours à Edimbourg, les contrats d’apprentissage sont enregistrés dans un registre municipal des apprentis - avec l’accord de la Corporation - qui prélève bien évidemment des droits d’inscription.

C’est la Corporation qui, une fois son apprentissage terminé, effectue l’enregistrement de chaque « Serviteur Salarié » (« Bound Servant »), à condition toutefois qu’il soit employé par un de ses membres, et uniquement pour la durée de son emploi.

C’est par contre la Loge qui gère et contrôle les Apprentis-Entrés (« Enterit Prenteissis ») ainsi que les Maîtres ou Compagnons du Métier (« Maister or Fallow of Craft »). Cela semble même, d’après ses registres, être l’essentiel de son activité - enfin en conformité avec les « Statuts Schaw ».

LE MODE DE DIRECTION

Pour en terminer avec toutes ces recherches comparatives, il me reste enfin à évoquer le mode direction des Guildes et des Loges

Six articles des « Statuts et Règlements » des « Wrights and Masons », six articles des statuts de 1598 et au moins la moitié de ceux de 1599 mentionnent ou définissent les instances dirigeantes des deux entités.

Les Guildes de Métier sont dirigées par des Diacres élus chaque année dans le cadre d’un système électoral mixte ou intervient très souvent la municipalité (le Diacre de Dunfermline est cependant également élu à partir d’une liste… fournie par la loge).

D’autre part, il peut y avoir plusieurs Diacres au sein d’une même Guilde, en fonction des métiers représentés. L’un de ces Diacres préside traditionnellement la Guilde, mais des alternances sont également possibles.

En termes de structuration interne, les loges Schaw sont théoriquement dirigées par un Surveillant élu chaque année, avec le consentement du Surveillant Général (ou qui doit obéir à ses directives). Mais un Diacre figure également dans cinq articles des « Statuts ».

Des Quartiers-Maîtres sont également cités pour la loge de Kilwinning, compte tenu de sa vaste territorialité.

Dans les faits, ce Diacre, quand il est identifiable, se trouve souvent - mais pas toujours - être le même que celui qui préside la Guilde.

Jusqu’à ce point de la comparaison, seules les fonctions de réglementation du « Métier » étaient croisées - hormis la présence active, dans les loges « Schaw », des « Maîtres » de la Guilde, mais figurant en tant que « Compagnons et Maîtres » de la Loge.

La présence es-qualité - dans certains cas - du Diacre de la Guilde, comme à Dumfries, représente cette fois un véritable chevauchement au sein d’une des deux entités.

Il y a encore cohabitation, mais cette fois-ci institutionnelle, et au niveau des instances de directions.

Pire, à Edimbourg - comme à Glasgow - la situation est fusionnelle, puisque il n’y a pas de « Warden » : C’est le Diacre « Maçon » de la Guilde qui préside la Loge

Donc, pendant tout ce 17e siècle, et même au delà, ces deux organisations - dont les taches majeures, dans toutes les dimensions évoquées, sont clairement proches voire identiques - existent en parallèle.

Elles semblent agir cependant avec des modalités et des implications différentes à la limite de la confusion, voire parfois au-delà !

Comment un tel schéma peut-il réellement fonctionner, et à priori sans trop de heurts ?

Qu’est-ce que les loges « Schaw » apportent de plus que les Guildes de Métier ?

Pourquoi les loges « Schaw » ont-elles pu survivre à la mort de leur fondateur ?

L’AMBITION DE SCHAW, CE QUE LES LOGES SONT CENSÉES AVOIR DE PLUS

LA CENTRATION SUR UN SEUL MÉTIER

C’est l’intérêt le plus évident.

Les Guildes - et notamment celles du bâtiment - regroupent plusieurs métiers, (charpentiers, maçons, couvreurs, vitriers)… et des conflits existent entre ceux-ci :

  1. Des conflits de préséance, avec en arrière plan des intérêts de représentation auprès de la municipalité : A Edimbourg, les maçons, malgré leur faible nombre, figurent - par tradition - en premier dans la liste des métiers des « Wrights and Masons ». Ce n’est qu’en 1690 que les charpentiers finissent par obtenir que leur Diacre préside en alternance les réunions, et il faut attendre 1721 pour que les autres métiers obtiennent - du tribunal - que leurs membres puissent être éligibles comme Diacres. Un vitrier est alors enfin désigné.
  2. Des conflits liés à la concurrence : Lorsque les professions sont clairement séparées - ce qui n’est pas toujours le cas dans des bourgs de petite importance - des litiges fréquents se produisent lorsque les membres d’un des « Métiers » de la corporation usurpent le travail des autres. Un comble est atteint lorsque en 1689, les « Wrights and Maçons » d’Edimbourg décident d’employer un artisan charpentier pour poncer les murs leur local de « Niddry’s Wynd ». Ce dernier, n’étant pas incapable d’exécuter le travail, reçoit au final l’ordre de recruter… un maçon.

Et puis, les Guildes ont comme juges et arbitres suprêmes les Baillis et Prévôts de la ville, alors que les loges ne possèdent aucun pouvoir officiel. A ce titre, elles n’ont donc - théoriquement - à rendre compte de leurs décisions ni la corporation ni à la ville.

Elles présentent en conséquence l’avantage particulier de pouvoir permettre aux maçons de régler leurs conflits entre eux, et plus largement de tenter de réguler le « Métier » - notamment en termes de concurrence, d’emploi et de condition salariale - à l’interne.

Dans les Constitutions de 1723, James Anderson mentionne ce particularisme écossais :

  1. « Leur tâche [au grand-maitre et au grand-surveillant] n’était pas seulement de régler les problèmes dans la confrérie, mais aussi d’écouter et juger toutes les controverses entre maçon et seigneur, de punir le maçon s’il le méritait, et d’imposer à tous des conditions équitables ».

Il le pointe à nouveau dans celles de 1738 :

  1. « Son office [au Grand-Maître, à son Député, ou au Grand Surveillant] lui donnait le pouvoir de régler à l’intérieur de la Fraternité ce qui ne devrait pas venir devant les cours de justice ; c’était à lui que devaient faire appel le Maçon et le Seigneur, le Bâtisseur et le Fondateur lorsqu’ils étaient en désaccord, afin d’éviter de plaider ».

Cependant, quand il y a proximité dans un Bourg avec une Guilde, règne en général - malgré les natures différentes - une entente tacite, ou parfois la loge constitue une sorte de commission spécialisée.

La proximité peut même devenir fusionnelle lorsque la Guilde ne comprend que des maçons, comme c’est le cas à Dundee, et pratiquement à Glasgow.

Dans ces contextes locaux, les loges sont certes autonomes en théorie, et secrètes - mais de fait malgré tout sous contrôle… au minimum de part la fréquente présence en leur sein d’un Diacre (maçon ou non) de la corporation.

Ce qui ne les empêche pas - paradoxalement - d’affirmer haut et fort leur autonomie par rapport aux autorités locales (guildes, villes) …

Le « Register House », premier « manuscrit » révélant le mot de maçon - et surtout la façon de le transmettre dans les cérémonies d’admission et de passage - indique qu’une loge n’est « véritable et parfaite » que si elle se réunit « à un jour de marche d’un Bourg, là où on n’entend ni un chien aboyer, ni un coq chanter », formule à succès toujours présente dans de nombreuses instructions... Quand aux archives d’Aberdeen (1670), elles précisent que la loge se tient « au milieu des champs ».

Un système permettant compromis et négociations

C’est le premier élément qui frappe, quand on compare les articles des « Statuts Schaw » portant sur la Réglementation du Métier avec ceux des Guildes du bâtiment (y compris en Angleterre à même époque), ou même avec les « Devoirs » ou « Obligations » contenues dans les « Old Charges » : Les « Statuts » ne sont pas exclusivement au service des intérêts des commanditaires ou des employeurs !

Bien sûr, on y trouve tous les compromis passés entre ces deux catégories sociales : Garanties de compétence, d’achèvement des ouvrages pour les uns - capacités de pouvoir contrôler l’offre, et de réguler la concurrence interne - et « étrangère », voire « sauvage » pour les autres… Respect par tous des accords engagés !

Ces compromis sont difficiles à mettre en place - et à tenir (j’ai, à notre dernière tenue, évoqué les conflits aux 16e et 17e siècles, entre les municipalités et les Guildes du Bâtiment, notamment pour la fixation des prix, des salaires et le contrôle de l’embauche…)

Il serait donc possible, à priori, de considérer les « Statuts Schaw» comme un dispositif supplémentaire de régulation des relations clients/fournisseurs, permettant à ces « partenaires » de compléter leur emprise sur le « Métier » - déjà développée au travers les Guildes reconnues.

Viennent simplement se rajouter à ce club les employeurs royaux, qui en quelque sorte rentrent dans le cercle pour chapeauter l’édifice.

Tout cela est probablement vrai, sauf qu’un nombre conséquent d’articles des « Statuts » - et là c’est inhabituel - porte sur des protections au bénéfice des « Bounds Servants » et des Apprentis.

Le souci de sécurité exprimé par l’article 18 en est un exemple type :

« Tous les maîtres, entrepreneurs d’ouvrages, veilleront bien à ce que les échafaudages et les passerelles soient solidement installés et disposés, afin qu’aucune personne employée audit ouvrage ne soit blessée par suite de leur négligence et de leur incurie, sous peine d’être privé du droit de travailler comme maîtres ayant la charge d’un ouvrage, et d’être condamnés pour le restant de leurs jours à travailler sous les ordres d’un autre maître principal ayant charge d’œuvre. »

Mais d’autres articles protecteurs pour ces catégories sont également présents, en particulier l’interdiction « de vendre son apprenti à un autre maître, ni de se décharger à prix d’argent, vis-à vis de l’apprenti lui-même, des années d’apprentissage qu’il lui doit, sous peine d’une amende de 40 livres », ou celle d’accueillir des Cowans pour travailler, ou d’envoyer les aides travailler avec eux, sous peine d’amende.

Les « Règlements » des loges résultent donc apparemment - derrière leur élaboration par William Schaw - peut-être, de compromis, de négociations qui ont rassemblé tous les protagonistes du « Métier ».

Car de fait, la création de William Schaw est un système qui est censé, à différents échelons les regrouper tous : Employeurs et salariés de territorialités variables, allant des simples limites géographiques d’une Guilde locale à des espaces très étendus - comme c’est le cas pour les loges de Kilwinning et Dunfermline.

Dans ces dispositifs figurent naturellement les membres de la Guilde - quand elle existe - ainsi qu’un lien, par l’intermédiaire de son Diacre, avec l’autorité municipale.

Mais figurent également des employeurs hors Bourg, ainsi que des salariés et des apprentis, même si leurs prérogatives sont souvent limitées.

L’ensemble du système est contrôlé par le Surveillant Général, Maître des Travaux du Roi, et donc principal commanditaire du pays.

Alors Schaw patron social ? Poursuivons…

Une caisse de solidarité pour toutes les catégories de Maçons reconnus

Les six livres versés par l’apprenti à son « entrée » (à moins qu’il ne choisisse d’offrir un banquet pour tous les membres de la loge) ainsi que « la somme de dix livres en monnaie avec des gants d’une valeur de dix shilling » payés pour devenir « Compagnon du métier », ajoutés aux amendes diverses alimentent cette caisse de solidarité, étendue à tous les salariés membres - et non pas, comme celle des Guildes, réservée au seul bénéfice des « Freemen » et de leurs ayants droits.

L’importance de ce dispositif élargi est révélée en filigrane lors d’une série d’évènements graves survenus dans la loge d’Edimbourg entre 1688 et 1715.

Car en 1688, c’est un schisme qui amène la création de la loge de « Canongate et Leith, Leith et Canongate ». Et celui-ci semble bien dû - outre des conflits salariaux - à une « mauvaise » gestion des fonds du Surveillant de la loge de « Mary’s Chapel », Hugh Liddell.

Entre parenthèses, il faut remarquer que la Guilde des « Wrights and Masons » n’intervient pas, car « Canongate et Leith » ne fait pas partie de sa juridiction.

Une deuxième crise grave - autour des années 1700 - amène la séparation entre les « Compagnons et Maîtres » membres de la Guilde, et ceux qui ne sont que « Servants », ces derniers décidant de constituer la loge des «Journeymen Masons».

Le conflit pour le contrôle et l’usage de la caisse est même porté devant la juridiction civile. La Guilde est alors amenée à se substituer à la loge, elle seule étant connue et reconnue par les pouvoirs municipaux.

C’est d’ailleurs à partir de cette période que la loge accepte pour la première fois en son sein les membres - non maçons - de la Guilde, ainsi que des dignitaires d’autres Guildes de « Métier », des dignitaires municipaux… et Jean Théophile Désaguliers en 1721.

En bref, la loge de « Mary’s Chapel » a bien failli mourir d’une gestion à sens trop unique de sa caisse de solidarité !

Ce qui montre l’importance de cet outil de secours mutuels dans le système « Schaw ».

Alors Schaw patron social ? Poursuivons…

Une réglementation pour toute l’Ecosse

C’est le quatrième point marquant.

Car l’organisation de William Schaw est censée concerner toute l’Ecosse : Les « Statuts et Ordonnances » doivent être observés par « tous les Maîtres Maçons de ce royaume », alors que les Guildes ne peuvent contrôler le travail que dans les villes où elles sont reconnues.

Les « Statuts et Ordonnances » sont donc théoriquement censés avoir autorité sur l’ensemble des maçons, y compris donc sur ceux des Guildes et des Bourgs.

Cette réglementation globale - et unique - présente alors évidemment l’avantage de pouvoir installer sur l’ensemble du territoire un outil de régulation des prix, des salaires, ainsi que de contrôle des embauches… inexistant hors bourgs, hors quelques privilèges accordés à des corporations par des suzerains locaux (Leith).

Et ceci peut être également un avantage très appréciable pour le responsable de la construction, des agrandissements et de l’entretien des châteaux et propriétés royales.

Schaw un patron social ? Et bien apparemment… pas seulement !

Une véritable organisation avec des échelons locaux, régionaux, nationaux dans un cadre hiérarchisé.

Les loges « Schaw » présentent une forme de hiérarchisation entre elles : D’après les seconds Statuts Schaw Edimbourg est la première et principale loge d’Ecosse, Kilwinning (qui le conteste) la seconde, et Stirling la troisième.

Des échelons régionaux existent - ou sont en cours de constitution - au niveau du Comté :

« Aucun maître ne prendra plus de trois apprentis dans toute sa vie, si ce n’est avec le consentement spécial de tous les surveillants, diacres et maîtres du comté ou habite l’apprenti qu’il veut prendre en plus ». (Article 8 des statuts de 1598)

« Toutes les personnes appartenant au métier de maçon se réuniront en un temps et en un lieu dûment annoncés, sous peine d’une amende de 10 livres » [en cas d’absence]. (Article 20 des statuts de 1598)

Kilwinning, seconde loge d’Ecosse, a déjà une dimension régionale : Elle est habilitée dans les seconds « Statuts » à avoir « son surveillant présent à l’élection des surveillants dans les limites des territoires du Nether Ward de Clydesdale, Glasgow, Ayr et Carrick, avec pouvoir pour les dits surveillant et diacre de Kilwinning, quand ils le désireront, de convoquer les surveillants et diacres des dits territoires en cas d’affaire d’importance et de les juger ».

Les archives de la loge d’Edimbourg indiquent également la tenue d’une réunion régionale en 1600, à St Andrews, groupant outre la loge locale, celles de Dunfermline, Dundee, et Perth.

James Anderson - mais uniquement dans les « Constitutions de 1738 » - précise à son tour qu’il y eut en Ecosse jusqu’en 1640, « un Grand Maître choisi en Grande Loge et approuvé par la couronne… ayant des députés dans les villes et les Comtés [selon la tradition des anciens Maçons Ecossais, et attestée par leurs archives] ». (Dans le texte des « Constitutions », il ne peut s’agir de « Sinclair », Anderson se comporte comme si les statuts « Schaw » avaient été ratifiés.)

Ce qui corrobore - en tenant compte de l’insistance récurrente d’Anderson à assimiler toute l’histoire du « Métier » au modèle de la Grande Loge d’Angleterre - l’idée d’un dispositif global, local et régional, contrôlé par le Surveillant Général, Maître des Travaux du Roi.

L’ÉCHEC DE SCHAW, CE QUE LES LOGES ONT EN MOINS, CE QU’ELLES N’ONT PAS RÉUSSI

UNE RÉGLEMENTATION DU « MÉTIER » IMPOSSIBLE À APPLIQUER

Le véritable échec de William Schaw, c’est que les objectifs premiers des « Statuts » - liés à la réglementation du « Métier » - n’ont pratiquement jamais été mis en application. On peut à la limite les qualifier de morts/nés.

Car tout l’édifice mis en place repose sur leur institutionnalisation par l’apposition du Sceau privé du roi Jacques VI.

William Schaw est d’ailleurs certain de cet accord royal. Il l’affirme quasiment dans les « Statuts » de 1599 : … dès que l’occasion se présentera, nous obtiendrons l’autorité de Sa Majesté pour la confirmation des privilèges des loges et pour les pénalités des personnes désobéissantes et perturbatrices du bon ordre. Dès maintenant j’ai jugé bon de signifier (ce statut) à tous les frères de la loge en attendant la prochaine occasion. En témoignage de quoi j’ai souscrit les présents de ma propre main, à Halyrudhous, le 28e jour de décembre de l’an de grâce 1599. « William Schaw, Maître des travaux, Surveillant des Maçons. »

Et pourtant, il est très probable qu’il y a eu refus du roi, car dès 1602, William Schaw accepte - ou peut-être même suscite - une alternative organisationnelle radicalement différente, mais visant aux mêmes buts de réglementation du « Métier » : Il signe la supplique « Sinclair ».

Pourquoi n’a-t-il pas obtenu ratification des « Statuts ?

Nulle explication à l’attitude négative de Jacques VI n’est connue. Mais :

  1. Il est probable que le roi n’a pas voulu se heurter à l’autorité des Bourgs, comme le prouvera par la suite la farouche opposition de la municipalité de Dundee (appuyée par la convention des Bourgs royaux) auprès de Charles 1er, à propos de la demande de reconnaissance royale de la Guilde locale des maçons et charpentiers.
  2. Il est également probable, que bon nombre de Guildes du bâtiment ne débordent pas forcément d’enthousiasme devant des créations officielles de loges de maçons… et encore moins à ce que des privilèges institutionnels leurs soient particulièrement accordés.
  3. Enfin, la reconnaissance officielle des loges n’aurait sûrement pas manqué, compte tenu de la personnalité de leur fondateur - et notamment de son catholicisme avéré - d’amener, malgré les assurances de circonstance apportées dans les « Statuts » de 1599, des réactions de la « Kirk », voire des interrogations religieuses (en particulier sur le concept « d’art de la mémoire »), comme il y en aura plus tard autour du « mot de Maçon ».

Et puis, le décès de Schaw en 1602, suivi du départ de Jacques VI en Angleterre pour succéder à Elisabeth 1ère, le désintérêt des ses successeurs pour les « Statuts et Ordonnances », vont évidemment en compliquer sérieusement toute mise en application.

Avec de faibles moyens de coercition et ne pouvant faire appel à l’autorité royale, les capacités de régulation du « Métier » des loges « Schaw » sont donc extrêmement faibles, voir inexistantes.

Elles ne peuvent en conséquence rivaliser avec les Guildes, qui, elles, disposent de l’autorité municipale.

Elles sont d’autant plus fragilisées qu’existe même un risque réel de condamnation - d’interdiction de toutes réunions - si les autorités civiles apprennent qu’existent des « loges » de maçons qui tentent d’exercer sur le « Métier » une juridiction dépourvue de tout droit légal.

Est-ce une conséquence directe si, dans les faits, non seulement les loges, dont le territoire d’influence correspond à peu près à ceux des Guildes, mais également celles dans le territoire desquelles n’existe aucune corporation du bâtiment reconnue - ont relativement peu tenté de réglementer le « Métier ».

Est-ce une conséquence liée à la précédente, si - pour le coup - le nombre de leurs réunions annuelles demeure relativement faible : Deux ou trois par an, si l’on consulte les registres de la loge d’Edimbourg. Même en réévaluant ce nombre à la hausse, pour tenir compte des pertes d’archives, il semble très difficile en si peu de réunions de vouloir réellement - et de pouvoir - réglementer le « Métier » de maçon …

Enfin, au niveau des les loges « hors Bourgs », arriver même à réunir un nombre conséquent de membres - parfois éparpillés sur des territoires importants - relève évidemment de la performance, et l’absentéisme atteint parfois des sommets, comme à Kilwinning, où, en 1693, neuf maçons présents mettent à l’amende cinquante absents !

Le système - original par rapport aux Guildes - susceptible de permettre compromis et négociations - probablement pour les mêmes raisons - ne fonctionne pas plus : Peu ou pas de concertations internes sur la réglementation, pas de traces de négociations « sociales ».

Pire, la gestion de la caisse de solidarité semble de plus en plus confisquée au profit des « Compagnons et Maîtres » employeurs.

Le summum est atteint, lorsqu’à Edimbourg, en 1681, à Aitchison’s Haven, Dunfermline, en 1700, des Apprentis refusent de passer « Compagnons et Maîtres », et que des mesures coercitives - menaces sur leur emploi, fortes amendes - sont prises pour tenter de les y forcer, un délai de deux ans ou trois ans maximum étant fixé pour qu’ils accomplissent leur changement de statut.

Pourquoi refusent-ils ?

Et bien :

  1. Parce qu’il faut pour cela payer un droit.
  2. Parce que ce changement de statut ne leur donne même pas la capacité de co-gérer la caisse de solidarité.
  3. Parce que l’ascenseur social ne fonctionne pas, et qu’ils ont parfaitement compris qu’ils n’ont qu’une chance infinitésimale - faute d’argent, de relations, et de par le verrouillage exercé par les titulaires - d’intégrer les Guildes locales comme « Freemen ».
  4. Parce qu’ils constatent l’embauche par les Maîtres-Employeurs de « Journeymen » non membres de la loge, qu’ils ont enfin le sentiment que le « contrat social » à priori porté par la loge est devenu caduque, et ne les protège plus !

Le système organisé et hiérarchisé.

Le système « Schaw » aboutit également à un échec dans le domaine de la mise en place d’une organisation nationale, par ailleurs difficile à imaginer et à mettre en œuvre au niveau des Guildes du bâtiment - de part leurs liens aux terroirs, ainsi que par la diversité des métiers représentés.

La « Première et Principale loge d’Ecosse », Edimbourg ne tente pratiquement jamais d’user de ses éventuelles prérogatives vis à vis des autres loges : Elle ne met en avant ses droits qu’à l’occasion des scissions qui se produisent au sein de son territoire (« Leith and Canongate » en 1688, « Journeymen Masons » en 1708/1715).

La loge de Kilwinning, bien que forte d’un indéniable prestige, antérieur aux « Statuts Schaw et en dépit de ses grandes prétentions à l’échelon national agit également très peu :

  1. Elle sert souvent de référence lorsque des loges essayent de faire valoir une ancienneté ou une légitimité, comme Dumfries, Kirkcudbright, ou même Perth (Scone).
  2. Elle répond favorablement en 1677 - après avoir été sollicitée - pour adouber la loge de « Canongate Kilwinning », qui cherche avant tout à se démarquer vis à vis de la loge de « Mary’s Chapel »… et de ses dirigeants.
  3. Elle tente apparemment une fois, en 1710, vis à vis de la loge d’Hamilton, de faire valoir - en terme de redevances à payer - ses prérogatives territoriales.

Mais en règle générale, les loges « Schaw » n’ont pas de relations entre elles.

Aucune trace d’activité de structure régionale n’est signalée après la mort de William Schaw.

Enfin, les Maîtres des Travaux qui lui succèdent - notamment les frères Alexander - ne manifestent que peu d’intérêt pour les loges, sauf quand ils essaient - entre autres moyens - de s’appuyer sur elles pour contrecarrer la deuxième supplique St Clair de 1624… Où quand ils tentent, en 1635, de les transformer en « Compagnies » régionales regroupant hors des Bourgs l’ensemble des métiers du bâtiment, dans le cadre d’une forme différente d’organisation - les « Statuts Falkland » - au sein desquels ils s’octroient d’ailleurs un statut dirigeant, assorti d’avantages pécuniaires certains.

Dans un tel contexte, face à tous ces conflits et déchirements qui auraient pu être mortels - notamment à propos du contrôle de la caisse de solidarité - contexte aggravé par une perte de substance réelle, les loges - ne serais-ce que par manque d’intérêt - auraient normalement du disparaître.

Tout cela aurait du aboutir à un naufrage !


LEUR « VRAI » SUCCÈS, AU FINAL

Et pourtant, si même leur fondateur a pu les croire morts nées, de nombreuses loges « Schaw » se sont pourtant crées, ont survécu, et se sont développées.

Elles ont même apporté, lors de la création - sur le modèle anglais - de la Grande Loge d’Ecosse, un authentique maillage territorial de loges se réunissant régulièrement - système inexistant en Angleterre avant le 18e siècle.

Dépassant le court terme, elles ont - en plus - apporté sur le moyen et le long terme des contenus qui ont servi de fondation à la maçonnerie moderne.

Grâce à la mise en place de quelques concepts fondamentaux :

La Caisse de secours mutuels

Il semble plus que probable que ce dispositif d’abord resserré sur les maçons - mais plus ouvert que celui des Guildes, quand à ses composantes bénéficiaires - a constitué dès l’origine un pilier essentiel dans l’intérêt présenté par les loges « Schaw », et qu’il a largement contribué à les empêcher de péricliter. Il a par la suite encore été élargi aux artisans non « tailleurs de pierres », qui ont intégré les loges.

A moyen et long terme, bien évidemment, ce dispositif mutualisé va être promis à un grand succès dans la franc-maçonnerie, bien après la disparition des Guildes de Métiers… et jusqu’à aujourd’hui, via la bienfaisance et les troncs hospitaliers.

Et puis, paradoxalement, la « crise » liée à la gestion de la caisse à Edimbourg a permis de fonder de nouvelles loges - par scission - phénomène maçonnique qui se reproduira largement par la suite…


LE « MOT DE MAÇON »

C’est probablement, à court terme, le deuxième pilier qui a permis aux loges « Schaw » de continuer à se développer.

Les premières traces du « Mot de maçon » apparaissent en 1630, peu de temps après leur création.

Mais ses traces commencent à se densifier après la non-ratification royale des « Statuts », après l’échec des suppliques « Sinclair », après l’échec des « Statuts » Falkland ».

Le « Mot de maçon », communiqué lors des réceptions au sein des loges, devient - de fait - le seul système, hors Bourgs - où tout le monde se connaît - qui permet de réguler la profession pour les employeurs, et d’obtenir de l’embauche pour les salariés.

L’engagement écrit de l’employeur d’Alexander Robeson à le faire entrer dans une loge au bout de trois ans - comme spécifié en 1685 dans son contrat - c’est avant tout pour ce dernier l’assurance de recevoir le « mot de maçon ».

A moyen et long terme, le « Mot de maçon », les « mots, signes, attouchements », déclinés dans tous les « cathéchisms », dans toutes les instructions à chaque grade, deviendront, au niveau des cérémonies, un socle majeur de la transmission traditionnelle maçonnique…


LES POMPES, LES CÉRÉMONIES SECRÈTES

Le « Mot de maçon » est communiqué lors d’une cérémonie secrète, qui, comme le dévoile le « Register House » (1696), comporte un certain nombre de phases solennelles et impressionnantes.

Hors, les pompes religieuses sont bannies par le calvinisme, y compris au niveau des corporations professionnelles. Dans les loges, les « hommes du métier » peuvent avoir le sentiment de retrouver des formes rituelles et cérémonielles, des dimensions spirituelles, qui leur manquent, et - qui plus est - peut-être jugées inoffensives par la « Kirk ».

Par la suite, l’histoire légendaire fouillée du « Métier » - issue des « Old Charges » anglaises - avec l’architecture comme summum des connaissances humaines, attire la « Gentry ».

Un certain nombre de ses membres, ainsi que quelques érudits, recherchent le côté « opératif » des humbles artisans censés posséder - même s’ils ne s’en rendent pas compte - un « savoir » inconnu.

Les loges peuvent donc également être pour ces derniers un moyen de poursuivre la recherche de la sagesse perdue (dont l’Hermétisme) sagesse peut-être cachée - par la vertu de l’obligation du secret - dans les cérémonies, l’histoire légendaire… ou « l’Art de la mémoire ».

La franc-maçonnerie saura, à long terme, faire un usage plutôt immodéré de ces ingrédients : Les pompes, les cérémonies se multiplieront, et les quêtes variées, via diverses formes d’ésotérisme, disposeront d’un très bel avenir devant elles.


LE SYSTÈME DES GRADES

A court terme, malgré les difficultés constatées à la fin du 17e siècle, le système à deux niveaux, « Apprenti-Entré » et « Compagnon et Maître », permet une mixité des statuts dans une même organisation, ainsi que la transmission lors de cérémonies séparées des mots et gestuelles liées au grade, ainsi qu’un véritable espoir d’intégration et de promotion sociale.

Le succès de ce système à deux grades - à moyen terme - c’est qu’il est repris au niveau de sa forme par la Grande Loge de Londres, au tout début de sa création.

Celle-ci va ensuite l’inverser dans les années 1730 (Réceptions du duc de Lorraine et du Prince de Galles comme « Apprenti et Compagnon », puis « Maître »), puis le faire encore évoluer en adoptant officiellement en 1738 le système moderne à trois grades distincts, qui avait d’ailleurs déjà fait son apparition en Ecosse vers 1700.

En conclusion, si les Guildes du bâtiment, et bien sûr notamment celles des maçons ont bien d’une certaine façon, servi d’oeuf philosophal pour les loges « Schaw », ces dernières, grâce à leur structuration particulière, à leurs contenus originaux, ont à leur tour servi de matériau premier à la fondation anglaise, puis continentale de la maçonnerie spéculative contemporaine.

Si l’héritage laissé par William Schaw - héritage qu’il n’avait probablement pas lui-même imaginé - s’est donc révélé d’une très grande richesse pour la maçonnerie, son nom et ses « Statuts » resteront longtemps dans l’obscurité, y compris pour les constitutionnalistes de 1723 et 1738. Suprême affront, dans les Constitutions de 1738, c’est un William Sinclair - ancêtre de ceux des « Chartes » - qui est mentionné, mais comme Grand-Maître de Jacques II Stuart : « Il bâtit la chapelle de Roslin près d’Edimbourg, chef d’œuvre du meilleur gothique en 1441 ».

Car il semble bien que James Anderson, dont le père était pourtant secrétaire de la loge d’Aberdeen et Jean Théophile Désaguliers, fait « bourgeois » en 1720 par la municipalité de Dunfermline, et reçu en 1721 membre de la loge d’Edimbourg, aient effectivement tout ignoré de William Schaw.