Les Statuts Schaw (4) L'organisation du Métier

Gilbert Cédot

Décembre 2006

Mon dernier épisode portait effectivement sur la forme très particulière d’esprit divin soufflé - et imposé - par la « Kirk » à l’époque de William Schaw.

Je vous propose - pour ce 4e volet - de descendre des cieux en essayant d’examiner l’organisation du « Craft », du « Métier » à ces mêmes époques.

Un sujet, qui à priori, semblerait pouvoir être traité facilement.

Car à la question convenue : Y-a t-il une organisation de la maçonnerie pré-andersonienne, d’avant 1717, qu’elle soit opérative ou non ?... La réponse convenue est : En Angleterre, il n’y en a pas, hors les « Assemblées » mythiques, en tout cas sous les formes dans lesquelles elles sont décrites, figurant dans les « Old Charges » … Et en Ecosse, existent les loges crées, ou institutionnalisées, par William Schaw.

Cependant, si l’on y regarde de plus près, la réponse à cette question doit être considérablement nuancée.

En prologue de ce cycle centré sur les « Statuts Schaw », j’avais déjà souligné l’effervescence remarquable qui, en moins d’un demi-siècle, avait en Ecosse généré six textes : Deux « Statuts Schaw » (1598 et 1599), mais aussi deux « Chartes St Clair » (1600-01 et 1627-28), avec en amont la lettre-décret « Copland d’Udoch » (1590), et en aval les « Statuts Falkland » (1636).

En y revenant juste un court instant, que nous apprennent, pour l’essentiel, ces textes ?

En ce qui concerne les Statuts « Schaw », avant tout à connaître les règlements du « Métier », qu’ils fixent par écrit.

Mais dans le même temps, ces deux textes, et surtout les autres, décrivent les différentes entités chargées de faire appliquer ces règlements, dont bien sûr les « loges » de William Schaw, mais aussi des « Tribunaux », des « Compagnies »… ainsi que la façon dont ces entités sont, le cas échéant, organisées ou hiérarchisées.

Que sont, au juste, ces structures institutionnalisées qui entourent, voire qui conditionnent largement la vie d’un maçon de l’époque ? Quels en sont les buts, les points communs, les différences, les pouvoirs respectifs ?

Qui les dirige ? Des Surveillants Régionaux ou Généraux, des Patrons, des Juges, des Protecteurs, des Inspecteurs ? Qui légifère ?

C’est ce que je voudrais, comme d’habitude avec beaucoup d’innocente témérité, commencer à aborder ce soir.

Mon fil conducteur, ma référence, restera, au niveau des comparaisons à opérer, le système de loges mis en place par William Schaw.

Sa réalité, constante et indiscutable, fait qu’il occupe une place très importante dans tout le 17e siècle écossais.

Cependant, place très importante ne signifie pas place centrale !

Car la place centrale pour une très grande partie des maçons de l’époque, dans leur vie au quotidien, pour le meilleur comme pour le pire est - soit parce qu’elles existent localement, soit parce que paradoxalement elle ne sont pas constituées - la place centrale est occupée par les Corporations professionnelles, les Guildes de Métier, selon leur appellation courante dans le nord de l’Europe (avec également le terme de « Hanses »).

Et pourtant, ces « Incorporations » - là c’est le terme spécifiquement écossais qui désigne ces Guildes - ne sont jamais mentionnées dans les « Statuts Schaw », pas plus, on le verra, que dans les procès-verbaux des loges.

J’essaierai par la suite d’apporter des éléments d’explication à ce qui peut sembler une bizarrerie.

Le premier volet de ce travail - point de passage obligé - va donc être d’essayer de différencier les loges « Schaw » de ces « Incorporations », en comparant leurs fonctions respectives réelles, leurs compositions réciproques, et leurs organisations.

Mais tout d’abord, que sont donc ces Guildes de Métier ? Je vais tout d’abord simplement tenter d’en fixer le cadre global.

Déclinaisons professionnelles des confréries médiévales, ces « Incorporations », répertoriées en Ecosse du moins pour les maçons et les métiers du bâtiment depuis la fin du Moyen-Age, sont établies dans les villes et les bourgs qui constituent - et c’est important pour la suite - leur seul espace de juridiction.

De ces confréries, elles ont intégré la dimension religieuse :

  1. Avec le choix d’un Saint Patron du « Métier ».
  2. La concession obtenue, et l’entretien, dans une église de la cité, d’un autel qui lui est dédié.
  3. Des messes spéciales célébrées à son nom par un prêtre.
  4. L’organisation de processions.
  5. La participation es-qualité (souvent avec livrées et bannières) aux fêtes religieuses ou civiles, en compagnie des autres Guildes du Bourg.

Cette dimension religieuse - c’est également important - est caractérisée tout au long de l’année par des pompes et des rituels religieux conséquents, visibles et affirmés !

Tout cela bien entendu avant la Réforme.

Un excellent exemple en est donné par les « Wrights and Masons » d’Edimbourg, c’est à dire la Corporation des artisans « Charpentiers et Maçons ».

Le 15 octobre de l’an de grâce 1475, celle-ci obtient le sceau officiel de la ville (Seal of Cause).

« A tous ceux qui prendront connaissance de cette présente lettre, le Prévôt [le maire], les Baillis [conseillers municipaux], le Doyen de la Guilde et les Diacres des Corporations du Bourg d’Edimbourg, salut au nom du Fils et de la glorieuse Vierge.

Pour l’honneur et la gloire de Dieu tout puissant et de la glorieuse Vierge Marie et de notre patron Saint Gilles, et pour la plus grande aide et supplication du service divin de chaque jour célébré à l’autel de Saint Jean l’Evangéliste, fondé dans l’église collégiale de Saint Gilles d’Edimbourg, et en réparation de ce qui peut être fait en l’honneur du dit saint, de Saint Jean et du glorieux Saint Jean le Baptiste, nous avons concédé et assigné et nous concédons et assignons par cette présente lettre à nos chers voisins les [membres de la Guilde des] Maçons et des Charpentiers dudit Bourg, l’autel et la chapelle de Saint Jean… avec tous les privilèges, libertés et revenus y afférents…

En témoignage de quoi avons apposé le sceau officiel du dit, avec les sceaux d’Alexandre Turing, David Quhytehed, Bartillmo Carnis, Baillis du moment et celui d’Alexandre Richerdsons Doyen de la Guilde, comme marque d’approbation et de concession de ladite chapelle aux dits hommes du Métier…

A tous ceux qui prendront connaissance [même formule que le premier paragraphe], salut en Dieu l’Eternel.

Sachez que nos concitoyens et voisins les artisans de la maçonnerie et de la charpenterie de notre dit Bourg se sont présentés devant nous pour nous supplier de donner notre accord et consentement à certains statuts et règlements élaborés entre eux pour l’honneur et le culte de Saint Jean et le développement du service divin, et aussi pour gouverner et réglementer les dits deux métiers, et pour l’honneur et la réputation de la ville…

Ayant lus les dits statuts et règlements et après avoir délibéré, nous les avons trouvé bons et agréables à Dieu et aux hommes, conformes à la raison et par conséquent nous leur avons donné notre assentiment et leur avons accordé la chapelle Saint Jean dans l’église collégiale de Saint Gilles, pour qu’ils l’édifient et la meublent en l’honneur du dit Saint [Jean] et y fassent célébrer le service divin ».

Cette dimension religieuse est également présente au sein même desdits « Statuts et Règlements», « approuvés par le Prévôt, les Baillis, le Doyen de la Guilde et les Diacres des Corporations du Bourg d’Edimbourg » - y compris au niveau des différentes contributions citées :

  1. Si une ou plusieurs personnes des dits métiers vient, après l’entrée en vigueur de ce règlement, pour demander du travail dans cette ville, elle devra…si elle est admise [après examen professionnel] donner un marc pour l’entretien de l’autel.
  2. Un nouvel apprenti doit payer un droit d’entrée d’un demi-marc, pour l’autel. Quand il aura terminé son temps d’apprentissage [et après examen professionnel] pour être reconnu digne de devenir « compagnon du métier », il paiera un autre demi-marc à l’autel.
  3. Si un apprenti quitte son maître avant la fin de son terme sans l’autorisation de son maître, celui qui le recevra devra donner à l’autel une livre de cire et à la deuxième fois deux livres de cire…
  4. Enfin, deux hommes élus de chacun des deux métiers auront leur place marquée dans les processions générales, comme cela se pratique à Bruges et autres bonnes villes… [Bruges qui était, jusqu’en 1470, le principal comptoir du commerce écossais sur le continent].

Et puis ces Guildes ont également intégré des confréries une dimension sociale, financée d’ailleurs par toutes ces contributions à « l’autel » citées, et bien sûr par la charité :

  1. En aidant leurs membres en difficulté, avec en premier lieu les malades : Les comptes de la corporation d’Edimbourg montrent l’existence de pensionnés recevant des aides sporadiques ou régulières.
  2. Mais aussi en soutenant pécuniairement les veuves et les orphelins.
  3. Et bien sûr en assurant des funérailles décentes, comme l’indique un des articles du règlement de 1475 : « … et si un membre de la corporation décède sans avoir suffisamment de bien pour être enterré décemment, la corporation prendra en charge la dépense de ses funérailles comme cela doit être fait pour tout frère du métier ».
  4. Et après les funérailles, la Guilde va régulièrement - en individuel ou en collectif, suivant les legs financiers complémentaires - faire célébrer des prières pour le défunt.

Recoupant la dimension religieuse, elle s’occupe également, en cela, du Salut de ses membres.

Hors la fête du Saint Patron, des banquets organisés lors de réunions ou d’évènements importants apportent une touche supplémentaire à cette dimension de charité, de solidarité et de fraternité.

Ils apportent également une dimension conviviale, souvent décriée par les pouvoirs civils ou religieux à cause des beuveries inhérentes.

Mais la dimension majeure des Guildes est avant tout professionnelle, au sens de défense des intérêts de la profession.

Composées de bourgeois employeurs, petits et gros, ces structures se situent quelque part entre :

  1. Un syndicat patronal effectuant du lobbying auprès des autorités.
  2. Un groupement solidaire de producteurs visant à imposer une discipline collective, pour préserver les secrets de fabrication, limiter la concurrence, et influer sur les prix.
  3. Enfin une sorte de Chambre des Métiers, pour la formation et la recherche de qualité.

Au Moyen Age, dans toute l’Europe, certaines de ces Guildes,notamment celles composées de marchands et de négociants, avaient parfois bénéficié de pouvoirs considérables, ayant même obtenu, dans certains cas, autorité pour régir les salaires et l’embauche.

Mais depuis, et notamment dès le milieu du XVe siècle, les pouvoirs publics s’en méfient et ont tendance à considérer :

  1. Qu’elles développent des comportements corporatistes, au sens actuel du mot, avec des ententes et des collusions entre Maîtres Artisans d’une même branche.
  2. Qu’elles peuvent même devenir subversives, voire sources de déclenchements d’émeutes.

A titre d’exemple, un arrêt de 1500 du Parlement de Paris interdit la création de nouvelles confréries, et invite le Prévost à mieux contrôler celles qui sont déjà reconnues, car soupçonnées de « mettre prix à leurs denrées et marchandises au préjudice de la chose public ».

Quelques années plus tôt, en 1425, en Angleterre, sous Henri VI, un acte du Parlement interdit aux maçons de se réunir en « Chapitre ou Congrégation », car il semble qu’ils avaient pris le contrôle des chantiers, des constructions, et provoqué des grèves, avec à la clé de cette interdiction une possible accusation - très grave pour l’époque - de « félonie » en cas de manquement.

Anderson fait d’ailleurs grand cas de cet arrêt dans ses deux livres des Constitutions.

En 1427, un acte du parlement d’Ecosse - toujours par crainte de voir les Métiers s’organiser en Guildes pour essayer de développer des salaires exagérés, et revendiquer le contrôle de la main d’œuvre - cherche à mettre en place des Conseils dans les Bourgs et des Barons dans les zones rurales, comme « Surveillants » de tous les Métiers.

Parenthèse : Peut-être trouve-t-on là un des premiers emplois du mot « Warden », mentionné ensuite pour la direction de loges de chantier (comme à Dundee ou à Aberdeen) puis dans le décret au profit de Patrick Copland d’Udoch, ce petit laird (propriétaire) de « l’Aberdeenshire » confirmé par le Roi Jacques VI comme Surveillant Régional. On retrouvera bien sûr ce terme dans les loges « Schaw », au niveau de leur direction.

En 1475, à Edimbourg, les « Wrights and Masons » n’ont pas autorité sur les salaires, car (comme en Angleterre) les métiers de la construction n’ont pas bonne réputation et sont moins considérés que les autres corporations.

Ils sont là aussi, dans tout le pays - jusqu’au début du 18e siècle - considérés comme susceptibles de conclure « des combinaisons et pactes secrets pour leur propre profit », et comme pouvant donc constituer de réelles sources de tracas, évidemment pour le bien-être économique des édiles et des propriétaires.

En 1557, l’acte du Parlement de 1427 est invoqué par le Conseil Municipal d’Edimbourg afin d’autoriser des entrepreneurs et ouvriers étrangers à la ville à intervenir pour terminer des constructions commanditées par la Guilde des Boulangers, constructions commencées par les « Wrights and Masons » de Mary’s Chapel, mais que ceux-ci refusent de continuer… faute d’augmentations de salaires - si j’ose dire - conséquentes.

Par deux fois, en 1677 et en 1689, la municipalité est amenée à publier des décrets qui autorisent les commanditaires à faire appel à de la main-d’œuvre non membre de la Guilde, dépourvue du « droit de cité », en cas de « devis » déraisonnables.

Enfin, en 1691, la Guilde établit de son propre chef des tarifs minima acceptables par ses membres, au motif que ceux qui travaillent en dessous ces seuils vont se ruiner - et devenir un fardeau pour elle - parce qu’elle allait devoir leur procurer une aide financière !

Cette initiative fut immédiatement déclarée illégale par le Conseil Municipal.

Le droit à régir l’embauche reste toujours un sujet très sensible :

En 1675, un citoyen d’Edimbourg, Thomas Borlands décide de recruter quatre maçons dépourvus du droit de cité, « d’origine servile », en lieu et place de l’artisan maçon membre de la Guilde avec qui il avait passé un engagement.

Pourquoi ?

Parce qu’il constate simplement que celui-ci ne paye pas ses « Servands », ses aides.

Sur l’ordre de la corporation, les maçons étrangers nouvellement recrutés sont sur-le-champ emprisonnés.

Mais Borlands se plaint et fait valoir ses arguments auprès de la Municipalité.

Résultat : Les quatre maçons sont relâchés… et c’est le Diacre maçon de la corporation qui les remplace en prison ! Sa défense consiste à affirmer que depuis des années, voire des temps immémoriaux, la corporation a le droit de faire arrêter des maçons d’origine servile, surpris à travailler à Edimbourg !

C’est pour ces raisons que les « Statuts et Règlements » paraphés par les « Sceaux des Causes » - quand celui-ci est accordé - tendent, de fait, à borner les pouvoirs des corporations.

Mais ceux-ci restent en général tout de même conséquents :

En 1475, et à propos de l’autorisation de travailler dans la ville, les « Wrights and Masons » ont obtenu compétence sur l’embauche, mais ce droit est limité au strict niveau du contrôle de la qualification professionnelle :

  1. Si une ou plusieurs personnes des dits métiers vient, après l’entrée en vigueur de ce règlement, pour chercher de l’emploi dans cette ville, ou en prendre de son propre chef, elle devra d’abord se présenter devant les susdits quatre hommes qui l’examineront pour voir si elle est suffisante [suffisamment compétente].

Ils ont capacité à réguler le nombre d’ouvriers maçons, au niveau de la durée de leur apprentissage :

  1. Aucun maître d’un desdits métiers ne devra prendre un apprenti pour moins de sept ans…

Ou au niveau de leur examen de passage :

  1. Et quand un apprenti aura terminé son temps d’apprentissage, il sera examiné par les quatre hommes pour savoir s’il est digne ou non d’être admis comme compagnon du métier, et s’il est reconnu digne il… jouira du privilège du Métier…

Ils ont compétence pour vérifier le travail accompli :

  1. Premièrement il est jugé bon que chacun des deux métiers choisisse deux personnes de la plus grande valeur, deux maçons et deux charpentiers, qui prêteront serment et vérifieront tous les travaux des « hommes du métier », afin qu’ils soient légalement et véritablement effectués.

Et constituer une première instance de résolution des conflits internes :

  1. Si quelqu’un a à se plaindre du travail ou d’un travailleur de ces métiers, il s’adressera au Diacre et aux « Quatre Hommes », ou à deux d’entre eux, et ces personnes veilleront à ce que le dommage soit réparé, et si cela n’est pas possible le Prévôt et les Baillis le feront indemniser au mieux.
  2. Et si un desdits [apprentis] quitte son maître avant la fin de son terme sans l’autorisation de son maître, celui qui le recevra devra donner à l’autel une livre de cire, et à la deuxième fois deux livres de cire, et à la troisième fois il sera puni par le Prévôt et les Baillis de la ville comme ils le jugeront bon.
  3. Si un membre du métier désobéit ou crée du trouble parmi les autres membres ou qu’un autre membre a à se plaindre de lui, il sera traduit devant le Diacre et les dirigeants (Overmen) du métier pour faire amende honorable entre eux, et s’il refuse il sera traduit devant le Prévôt et les Baillis de la ville pour être puni en conséquence.

Ils ont enfin capacité à légiférer, mais sous contrôle des magistrats locaux :

  1. Et en outre, il sera permis aux dits deux métiers de Charpentiers et de Maçons de faire des règlements qu’ils jugeront bons et nécessaires pour eux-mêmes et pour le bien de la ville, avec l’accord de nos successeurs, afin qu’ils soient ratifiés et transcrits dans le registre municipal d’Edinburgh avec la même autorité que ce présent document.

Mais tous les hommes de métier, « que leur travail soit d’équerre, de fil à plomb, ou de compas sous l’Art de la Géométrie » comme ceux de Dundee … ne disposent pas du « Sceau des Causes », c'est-à-dire de « l’assentiment » des autorités municipales, « pour gouverner et réglementer les dits deux métiers, et pour l’honneur et la réputation de la ville… comme peuvent en jouir : Les « Charpentiers et Maçons » d’Edimbourg, les « Hommes d’équerre » d’Ayr et d’Irvine - ou ceux de Dumfries, les « Maçons, Charpentiers et Tonneliers » de Glasgow - d’Aberdeen (comprenant les Graveurs, les Couvreurs, les Peintres), les Charpentiers, Couvreurs de Canongate (incluant les maçons), l’Omnigatherum (omnium gatherum : omnigadrum) de Stirling groupant Teinturiers et Métiers de la construction…

Car le « Sceau des Causes » permet également à une corporation de bénéficier d’une reconnaissance officielle de la ville.

Par cette reconnaissance, celle-ci peut certes la contrôler, lui imposer ses décisions, mais dans le même temps, via ses propres représentants au sein du Conseil Municipal (« le doyen de la Guilde et les Diacres des Corporations du Bourg d’Edimbourg »), la Guilde participe d’une certaine façon à l’élaboration de la politique du Bourg, et quelque part peut influer sur les choix, et ainsi mieux faire valoir ses intérêts.

En ce sens, elle constitue, par là-même, une sorte de groupement économique semi-public.

Cette reconnaissance lui confère également un pouvoir de police, comme nous venons de le voir, parfois à ses risques et périls !

Enfin, chaque métier composant la Guilde élit un Diacre, soit en totale démocratie, soit le plus souvent avec le consentement de la municipalité.

L’un d’entre eux préside l’ensemble, avec parfois dans certains Bourgs l’existence d’un « Doyen Général », émanation des différentes corporations.

Ces Diacres sont assermentés, à l’instar des « deux maçons et deux charpentiers…de la plus grande valeur » évoqués, qui « chercheront à voir si le travail de tous les Hommes du métier est légalement et vraiment fait. », et devant qui devra se présenter toute personne « des dits métiers » en situation de «chercher de l’emploi dans cette ville, ou en prendre de son propre chef », afin d’être examinée « pour voir si elle est suffisante [suffisamment compétente]. »

Et puis, si le « Sceau des Causes » permet à une Guilde de se voir assigner un autel dans l’église, c’est aussi, comme à Edimbourg, « avec tous les privilèges, libertés et revenus y afférents » - « privilèges, libertés et revenus »… institutionnels et collectifs, certes, mais pas seulement !

A titre individuel, accéder au rang de « Maître » dans une Guilde, c’est la capacité d’obtenir un statut, de figurer sur la liste des « Electeurs » du Conseil Municipal, de devenir un « Freeman », un homme « libre » au sein de la Guilde, un homme « libre » au sein de la ville, non pas « libre » de s’affranchir des règles établies, mais en capacité juridique de participer à leur élaboration. Cette « liberté » permet par ailleurs de pouvoir jouir de certaines « franchises et privilèges » dans la pratique de son métier et même en dehors… comme par exemple, à Aberdeen, le privilège pour quelques maçons faits « bourgeois » de pouvoir brasser et vendre bières et eaux de vies…

C’est pourquoi, si la Guilde régit les conditions de formation, d’embauche, et de travail de l’ensemble des acteurs du « Métier » - hormis bien sûr les commanditaires - elle n’est, elle-même, composée que par une élite sociale sélectionnée, notamment par l’argent et la filiation, et très souvent auto-limitée en nombre :

A la fin du 17e siècle, Edimbourg compte environ 2200 électeurs, dont 57% sont des artisans. Avec leurs foyers, ces 2200 électeurs représentent moins du tiers de la population.

Le nombre de « Wrights and Masons » de « Mary’s Chapel » (maçons, charpentiers, vitriers, peintres, couvreurs, autres) varie en 40 ans, (entre1670 et 1709) de 96 et 130.

Quand au nombre de maçons membres de la Guilde, il ne bouge quasiment pas, diminuant même de 15 à 14 ! Ceux-ci représentent donc 0,65% des électeurs !

Une dernière chose à propos de ces « Freemen ».

Une des explications données sur l’origine du mot « Freemason », notamment par Marie-Cécile Révauger, est qu’il provient du terme « freestone », une pierre à grain fin, à base de grès ou de schiste, que taillaient et sculptaient les maçons qualifiés, en opposition à la « Roughstone », une pierre grossière utilisée par les manœuvres, les « Roughmasons » ou « Roughlayers », équivalent anglais des « Cowans ».

David Stevenson nous précise que le mot « Freemason » est inhabituel en Ecosse, mais qu’il apparaît - à l’occasion - dans des procès-verbaux de loges au 17e siècle… et que dans la loge d’Edimbourg - vers les années 1630 - le terme « Master Freemasons » était utilisé comme une variante mineure du terme « Master Freemen Masons ».

De là à appeler un maître-maçon de la Guilde un « Freeman Mason », ou un « Freemason », il n’y a qu’un pas...

Voilà pour une deuxième explication possible…