Les Statuts Schaw (3) La Place de Dieu dans les Statuts

Gilbert Cédot

Juin 2006

Ah ! Vénérable Maître ! Déjà l’épisode III.

Je n’étais avant de vous connaître qu’un écrivaillon maçonnique débutant, certes passionné par l’histoire fabuleuse du « métier », mais néanmoins à peine un apprenti-cherchant.

Et voilà que vous me faites en quelques mois devenir feuilletoniste, avec tout ce que cela implique en terme de contraintes, et forcément en corollaire d’approximations, ce qui - vous vous en doutez - ne risque pas d’arranger mon cas eu égard aux historiens authentiques !

Et puis voilà également, qu’aujourd’hui, vous prenez à bras le corps le dossier - les énigmes - de « Roslyn Chapel » !

Que faire pour suivre vos pas quand on est censé simplement traiter des « Statuts Schaw », moi qui avais, ce soir, juste prévu d’apporter quelques modestes illustrations aux « Règlements du Métier » : Et bien je me suis dit que, tant qu’à faire, autant y aller carrément et aborder une énigme - en terme d’ampleur - au moins à la mesure de « Roslyn Chapel», à savoir celle des rapports entre les « Statuts Schaw» et Dieu !

Tel que !

Et pourtant, l’épisode d’aujourd’hui sera paradoxalement composé d’une série de brèves, non pas à cause du faible temps - d’ailleurs en diminution constante - qui m’est à chaque tenue, par vous dans votre grande sagesse imparti, mais parce que justement, la question étant complexe et à ce jour non résolue, je n’essaierai d’exposer que les pièces du dossier. Ou plutôt des différentes énigmes !

Quand on lit et relit les « Statuts Schaw », on constate que dès les trois premiers articles, sont définies tout un ensemble d’obligations morales qui sont censées s’imposer à « tous les maîtres maçons » du « royaume », telles que la sincérité, l’obéissance, l’honnêteté, la fidélité, la diligence, la droiture… assorties en plus, à la fin, au 21e article, d’une septième qualité - si j’ose dire - à savoir la non dissimulation - en fait la délation.

  1. Ils observeront et garderont toutes les ordonnances précédemment arrêtées, concernant les privilèges de leur métier, par leurs prédécesseurs de bonne mémoire, et en particulier ils seront sincères les uns envers les autres et vivront ensemble dans la charité comme étant devenus par serment frères et compagnons [du] métier. (Schaw/1)
  2. Ils obéiront à leurs surveillants, diacres et maîtres en tout ce qui concerne leur métier. (Schaw/2)
  3. Ils seront honnêtes, fidèles et diligents à leur tâche, et ils se conduiront avec droiture envers les maîtres [des ouvrages] ou propriétaires des ouvrages qu’ils entreprendront, qu’ils soient payés à la tâche, ou logés et nourris, ou payés à la semaine. (Shaw/3)

Que des obligations morales figurent en début de ce type de document n’est pas en soi une nouveauté !

Mais cependant, même si la charité est mentionnée, et si référence est faite aux «ordonnances précédemment arrêtées par les prédécesseurs de bonne mémoire», d’emblée pour un texte constitutif de cette importance, saute aux yeux un manque évident, en terme de loyauté, de fidélité, d’obéissance : Dieu n’est pas cité !

Etonnant !

Car même dans des textes strictement réglementaires, déjà évoqués en référence, comme par exemple le « Seal of Cause to the Wrights and Masons» d’Edimbourg de 1475 - donc antérieur à la réforme protestante - le préambule de la dizaine d’articles indique à propos des « dits statuts et règlements et après avoir délibéré, nous les avons trouvé bons et agréables à Dieu et aux hommes », « lovable both to God and man ».

Encore un siècle auparavant, les ordonnances de 1370 de la cathédrale d’York évoquaient Dieu, même si c’était sur un mode punitif et sous forme d’anathème : « Et quiconque contreviendra à cette ordonnance et la violera, contre la volonté du chapitre, subira la malédiction de Dieu et de Saint Pierre. »

Dans les premiers « Old Charges » connus, le Regius et le Cooke, textes majeurs à dimension plus qu’équivalente aux « Statuts », les fidélités à Dieu figurent en tout premier point dans la partie dite « complémentaire » des règlements du « Métier » :

  1. « …celui qui veut connaître ce métier et en embrasser l’état doit aimer sans cesse Dieu et la Sainte Eglise… » (Regius. Comp.1)
  2. « …qui désire embrasser l’état de l’art en question doit principalement aimer Dieu et la Sainte Eglise et tous les Saints… » (Cooke. Comp.1)

Les textes anglais ou d’inspiration anglaise « Old Charges » postérieurs à la Réforme les inscrivent immédiatement en tout début des règlements, assortis des commentaires appropriés de l’époque :

  1. «… vous devez être des hommes fidèles à Dieu et à la Sainte Eglise ; et que vous n’usiez ni d’erreur ni d’hérésie en votre entendement et jugement» (Grand Lodge/1)
  2. « …que Dieu vous soit en aide, et [le souci de] votre salut éternel, et par ce livre qui est dans votre main, en votre pouvoir. Amen, ainsi soit-il » (Grand Lodge Devoirs Particuliers/20)
  3. « …vous servirez le vrai Dieu et vous observerez ses préceptes en général, et particulièrement les dix commandements remis à Moïse sur le mont Sinaï ainsi que vous les trouverez exposés en entier sur le pavé du temple. » (Dumfries/1)
  4. « Vous serez fidèle et constant envers la sainte église catholique [il s’agit de l’église anglicane qui s’affirme « catholique »] et vous fuirez, à votre connaissance, toute hérésie, schisme ou erreur. » (Dumfries/2)

Même si l’esprit des « Statuts Schaw » de 1598 se rattache beaucoup plus à des ordonnances de Guildes - s’attachant comme elles à définir des règlements de métier propres aux maçons, avec naturellement en plus une dimension organisationnelle novatrice - qu’aux textes des « Ancients Devoirs » même remaniés par le protestantisme, comment ceux-ci ont-ils pu ne pas évoquer la dimension divine, voire invoquer la protection divine ?

C’est une première énigme…

En 1599 paraissent les seconds « Statuts », très probablement liés (suite aux premiers Statuts) en partie à des plaintes et revendications de la loge de Kilwinning.

A cette occasion, William Schaw inscrit ce qui paraît être un certain nombre de manques ou d’oublis au niveau des statuts de 1598, avec en premier lieu, l’intégration - en comparaison massive - non pas curieusement de références à Dieu ou à la religion mais… aux autorités religieuses !

Les Surveillants de toutes les Loges vont devoir rendre compte aux « Presbyteryes » de leurs comtés des offenses commises par les maçons de leur loge (point 4). Le Surveillant et le Diacre de la loge de « Kilwynning » vont être tenus de faire respecter l’obéissance à l’église (kirk craft counsall) et au métier (point 7). Le zèle ira même jusqu’à préciser que les élections (point1), les admissions (point 9), les banquets (9) sont censés se tenir à l’intérieur de l’église de « Kilwynning » !

C’est une deuxième énigme…

Pourquoi tout d’abord une absence totale - qui ne peut être involontaire - de références religieuses, suivie un an après d’une acceptation aussi brusque… d’un contrôle de l’église ?

Ce qui pose en bonne logique la question suivante : Comment celle-ci a-t-elle considéré les loges « Schaw » au moment de leur création ? Etait-elle informée de leur existence, comme semblent le suggérer les « Statuts » de 1599 ? Est-ce elle qui en a exigé ce type de « contrôle » ?

Aucun document d’origine religieuse ne vient répondre à cette question.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là …

Pendant les cinquante années qui suivent, l’église va continuer à être muette sur les loges « Schaw ». Et passé ce délai, elle ne va toujours pas s’intéresser aux loges, mais… au « Mot de Maçon » !

Déjà, dans les années 1630, un prédicateur de Perth, c’est à dire un assistant au ministre de sa paroisse, Henry Adamson (par ailleurs maître de l’école de chant) à propos de sa certitude que le pont de la rivière Tay (11 arches, construit par le maçon John Mylne) emporté par une inondation sera reconstruit - évoquait le « Mot de Maçon », le mêlant avec le phénomène « Rose-Croix et la prédication ».

En 1649, la question du « Mot de Maçon » est soulevée à l’assemblée générale de l’église d’Ecosse, qui n’arrive pas à se faire une opinion sur sa compatibilité avec « la vraie religion », et demande l’avis des « presbytères », c’est à dire des assemblées d’Anciens.

La réponse n’est malheureusement pas connue.

En 1652, l’étude du problème posé par James Ainslie, candidat au « Ministère » de la paroisse de Minto, qui connaît le Mot de Maçon, prend une année pleine, passe de presbytère en presbytère, et remonte jusqu’au Synode.

Et ce qui est intéressant, c’est ce que répond à cette demande le presbytère de Kelso :

« Que d’après leur jugement, il n’y avait ni péché ni scandale dans ce mot parce que dans les temps les plus purs de cette église [a priori donc avant 1600, et l’établissement de l’épiscopat par Jacques VI], des maçons possédant le mot avaient été ministres, que des maçons et des hommes possédant ce mot ont été et sont de nos jours des anciens de nos assemblées, et de nombreux professeurs possédant ce mot sont journellement admis aux sacrements ».

James Ainslie - homme possédant donc le Mot de Maçon - finit au bout du compte par être accepté comme Pasteur de Minto.

En 1663, dans un sermon, William Guthrie, pasteur presbytérien de la paroisse de Fenwick, évoquant la façon dont le Christ fût [ou sera] reconnu par son peuple, la compare avec le « Mot de Maçon ».

En 1691, Robert Kirk, pasteur d’Aberfoyle, dans le Perthshire, publie un traité sur le surnaturel « The secret common wealth » où il explique tout ce qu’il en sait.

En 1696, Alexander Telfair, ministre d’une paroisse d’Edimbourg, écrit dans une brochure intitulée : « Relation véridique d’une apparition, des manifestations et des actes d’un esprit qui hantait la maison d’Andrew Mackie (…) dans la paroisse de Rerrick, intendance (stewardry) de Kirkendbright, en Ecosse, en 1695 » : « Ledit Andrew Mackie étant maçon de métier, on avance que, lorsqu’il a reçu le mot du maçon, il a voué son premier enfant au diable. Mais je sais de source sûre qu’il n’a jamais reçu ce mot, et qu’il ne sait pas ce que c’est. »

L’église ne se préoccupe donc toujours pas des loges « Schaw » mais du « Mot de Maçon ».

Et même à ce propos, il est possible de constater, que d’une certaine façon, elle semble le considérer jusqu’à la fin du siècle - et au-delà - du moins en Ecosse… avec une certaine neutralité, avec des interrogations certes, mais à conclusions plutôt positives… voire même avec une certaine sympathie, puisqu’il qu’il est dédouané de tout rapprochement avec le diable et la sorcellerie, et qu’il est même considéré comme possible… d’être admis pasteur en le possédant.

C’est la troisième énigme…

Pour tenter de mieux cerner ces énigmes, et essayer d’avancer dans le dossier, il est maintenant nécessaire de décrire - sommairement - la nature et les agissements de l’église écossaise durant cette période.

L’Ecosse est devenue protestante depuis le milieu du 17e siècle. Cette conversion s’est opérée dans la douleur.

En 1543, des hommes sont pendus pour avoir blasphémés pendant la messe. En 1546 un prédicateur ami de Calvin est arrêté et brûlé vif.

Circule surtout le récit de l’exécution d’une pauvre femme condamnée à mort, car ayant refusé d’invoquer la vierge Marie pendant son accouchement, et donnant une dernière fois le sein à son bébé avant d’être noyée par le bourreau.

Marie de Guise, la régente du royaume, est honnie, le rite catholique voué aux gémonies ! Voici à titre d’exemple ce qu’en écrit John Knox, principal initiateur de la Réforme écossaise, à l’occasion, en 1558, de la procession de la fête de St Giles, à Edimbourg : « Prêtres, frères, chanoines et papistes corrompus, avec tambourins et trompettes, bannières et cornemuses, et qui était là pour mener la bande : La reine régente en personne, avec ses tonsurés ».

En1560, après dix siècles de catholicisme, le parlement écossais proclame une « Confession de foi » calviniste, avec interdiction de célébrer la messe, bannissement des rituels dans le culte, abandon des « superstitions » au sein de l’église - plus tard adoption d’un « livre de discipline » liturgique - et bien sûr rupture avec le Pape !

Il ne s’agit pas de n’importe quel protestantisme ! C’est un « presbytérianisme » à tendance exaltée. La « Kirk » se considère comme « messagère de Dieu ». En 1581, elle n’hésite pas à excommunier l’archevêque de Glasgow, et à le faire chasser sous les huées de sa cathédrale par une pluie d’œufs pourris…

Cette « Kirk » intransigeante sera en permanence combattue par les souverains écossais y compris protestants comme Jacques VI, Charles 1er, Charles II… et même par Cromwell… qui lutteront contre elle pour affermir l’établissement d’un système épiscopalien.

Jacques VI tentera de mettre en place des pratiques « anglicanes », comme celles maintenues par Elisabeth I en Angleterre. Par exemple, il interdira aux « Presbytères » de se réunir sans autorisation royale, et affirmera notamment l’autorité des évêques « successeurs des apôtres ». Dans la mémoire presbytérienne, ces mesures seront appelées les « Black Acts » !

La « Kirk », en 1592, sous l’influence d’un digne successeur de John Knox, Andrew Melville, ripostera en obtenant du Parlement une « loi pour la liberté du Christ » abolissant ces « lois noires », supprimant la dignité épiscopalienne et autorisant à nouveau les presbytères à s’organiser librement sans nécessité d’autorisation royale !

Mais en 1597, Jacques VI arrivera à rétablir les évêques ainsi que leur droit de vote au Parlement.

Le conflit perdure quand il devient roi Angleterre : En 1606, il fait bannir des pasteurs pour délit d’assemblée générale non autorisée, dont Andrew Melville, et John Welsh (gendre de Knox) qui n’hésite d’ailleurs pas à le traiter de « possédé du démon ».

Lors de sa visite en Ecosse, en 1617… Jacques VI doit se plier à des compromis : Il doit enlever de la chapelle royale les statues des prophètes qu’il avait fait remettre … mais arrive à maintenir - à la façon anglaise - l’agenouillement pour la communion.

Plus tard, il fait rétablir les doyens et les chapitres cathédraux.

Enfin, en 1619/1621, après - dans un contexte plus favorable - acceptation (par 86 voix contre 41) par l’assemblée des « Presbytères », il fait adopter par le Parlement les « cinq articles de Perth », dont l’agenouillement obligatoire pour la communion et l’observance des fêtes du calendrier liturgique. Le baptême et la communion en privé deviennent également licites en cas d’urgence…

Les relations ne vont pas s’arranger avec ses successeurs !

Jusqu’en 1690, la « Kirk » va en permanence, de combat en combat, se comporter en véritable contre-pouvoir vis-à-vis des autorités.

Elle sera notamment un acteur essentiel - suite à l’imposition en Ecosse par Charles 1er, en 1636, du « Livre de Prière en commun » (Book of Common Prayer) de l’église anglicane - de la constitution du « National Covenant » qui aboutira en Angleterre à la « Grande Rébellion » et, en 1649, à l’exécution du roi Charles 1er.

Elle disposera pratiquement de tous les pouvoirs entre 1645 et 1650, au moment ou le Parlement, sous l’autorité du Comte d’Argyll (le roi Charles II étant de fait sous tutelle), dirigera le pays. C’est la période dite du « Règne des Saints », où le puritanisme des mœurs presbytériennes amène une multiplication de procès pour adultère, fornication, impiété, ivrognerie, blasphème, sorcellerie… C’est la dictature de l’austérité, les mœurs sont normalisées, les confessions publiques ordonnées aux pêcheurs, et c’est quasiment l’interdiction de tous les divertissements…

Mais en 1651, Cromwell gouverne l’Ecosse (avec Monck), et la « Kirk » est mise au pas : Assemblées générales interdites, réunions des presbytères autorisées uniquement sur des problématiques internes… une époque que les pasteurs qualifient d’ailleurs de : « Captivité de Babylone ».

Pire, en 1662, le roi Charles II, revenu sur le trône, rétablit l’épiscopat, les presbytères et synodes ne pouvant désormais se réunir qu’avec l’autorisation des évêques, qui vont par ailleurs pouvoir nommer les pasteurs, comme pourront le faire également les seigneurs dans les paroisses leur appartenant (droit supprimé en 1647).

Un serment de fidélité aux nouvelles institutions est exigé : Un tiers des pasteurs refuseront et seront remplacés.

L’offensive presbytérienne reprend alors immédiatement : Des « Conventicules » (réunions sauvages de fidèles encadrées par les pasteurs démis de leur fonction) se multiplient, et sont suivies par des insurrections armées, qui entraînent elles-mêmes des répressions… C’est, en 1679 et 1680, la guerre des « Cameroniens », avec la « Proclamation et témoignage du véritable parti presbytérien d’Ecosse »… suivie évidemment de la répression ad hoc.

Après un dernier combat contre le catholique Jacques VII-II et sa tentative de faire voter une loi de tolérance envers les « papistes », - enfin en 1690, sous le règne de Guillaume II - un règlement du Parlement (the Settlement), accepté par l’ensemble des protagonistes met fin au conflit religieux de plus d’un siècle entre presbytériens et épiscopaliens !

Après ce bref rappel du contexte religieux et politique - pour une grande partie du siècle un contexte d’intolérance et de guerres civiles - pouvons-nous maintenant trouver des éléments d’explication à nos énigmes ?

Il est temps de convoquer pour cela - comme éminent expert - le professeur Stevenson.

Quelle est son hypothèse ?

Pour lui, l’instauration du protestantisme a entraîné la perte de parties démonstratives profondément ancrées dans la dimension religieuse (qui était basée sur la doctrine - désormais interdite - du purgatoire) des « Guildes-Confréries » : Suppression des messes pour le salut du disparu, de la fête du Saint, des processions en livrées, avec bannières… Tout juste reste toléré un emplacement commun à l’intérieur de l’église !

Au cours des deux générations qui suivent cette instauration, se crée dans un métier particulier - celui de maçon - une organisation qui justement développe des rituels et des cérémonies.

La « Kirk » aurait accepté cette nouvelle forme d’organisation comme, en quelque sorte, une compensation, un exutoire à ce désormais « manque spirituel » au niveau des Guildes.

Mais elle aurait en contrepartie exigé pour tolérer ce qu’elle considère comme des résidus de superstition :

  1. Un système clairement situé au sein de l’église presbytérienne (Statuts de 1599), mais vidé de tout élément apparent de religion.
  2. Une connaissance des rituels et des secrets des maçons.

William Schaw aurait pu consulter quelques ministres presbytériens influents, les initiant même au « Mot de Maçon ». Il en résulterait que l’église n’avait donc pas besoin de persécuter les loges, car elle savait qu’elles ne représentaient pas une menace pour elle, celles-ci pouvant en quelque sorte être considérées comme des « fraternités religieuses sans religion ».

Enfin, 50 ans plus tard, une nouvelle génération de presbytériens zélés du « Kirk Party », dans le contexte politique et religieux du milieu du 17e siècle, a eu quelques doutes au sujet du « Mot de Maçon », mais les « Anciens » leur ont tout expliqué, et ont eu gain de cause.

Essayons maintenant d’examiner les arguments pouvant étayer cette hypothèse, que l’on pourrait qualifier de « compromis historique », même tacite :

  1. Le premier, c’est que la « Kirk » pendant toute cette époque a d’autres combats à mener que de s’occuper des loges : Sa lutte contre Jacques VI et l’épiscopat, les procès en sorcellerie à mener, la pureté des mœurs à établir, puis la guerre civile contre Charles 1er, les conventicules sous Charles II … D’ailleurs, pour en revenir aux seconds « Statuts Schaw », aucune application des articles 1,4,7,9 n’a jamais été constatée, y compris au niveau des procès-verbaux de la loge de Kilwinning (tenus depuis 1642) : Jamais aucune élection, admission, et à fortiori aucun banquet n’ont été tenus à l’intérieur de l’église !
  2. Le deuxième, c’est que la « Kirk » ne supprime pas tout. Des formes de rituels civils survivent à la Réforme… car ne comportant pas d’éléments religieux : Le « Riding of Parliament », par exemple, avec parlementaires en robes de cérémonies pour les ouvertures solennelles des sessions…
  3. Un troisième argument, c’est que la « Kirk » aurait pu considérer les loges essentiellement comme des entités professionnelles, succursales ou substitut des guildes (là où elles n’existaient pas), des instances - particulières aux maçons - visant à réguler la demande par l’offre pour de meilleurs profits, entités professionnelles - de plus - à peu près bien « tenues » par les Maîtres « Freemen » des bourgs - eux-mêmes devenus membres éminents et probablement financeurs des presbytères.
  4. Or la « Kirk » n’a pas la puissance économique de l’ancienne église catholique, même si, en 1562, Marie Stuart a du lui attribuer un tiers des anciens revenus ecclésiastiques [les deux autres tiers étant pour le trésor royal, et pour les nouveaux évêques, ce qui fit dire à John Knox : « 1/3 à Dieu et 2/3 à Satan !»].

D’où le compromis…

  1. A propos du « Mot de Maçon », on pourrait rajouter que, vers le milieu du 17e siècle, certaines franges de l’église ont pu y trouver un véritable intérêt, de part ses références bibliques… voir son ésotérisme potentiel, au moment même où se développe le mouvement « Rose-Croix »… dont, ne l’oublions pas, les sources sont d’inspiration luthérienne !
  2. Enfin, en 1652, au moment de l’affaire « James Ainslie », il est possible d’imaginer que les éléments les plus extrémistes de la « Kirk » - à ce moment, comme pour tout le royaume d’Ecosse sous la coupe et le contrôle de Cromwell - n’étaient pas en mesure d’imposer leurs vues.

Essayons maintenant d’examiner les arguments contraires à cette hypothèse du « compromis historique » :

Le premier, qui ne peut être évacué, c’est justement qu’il n’y en a jamais eu… tout simplement parce que les loges « Schaw » sont inconnues de l’église !

Jamais, en effet, celle-ci ne va les mentionner. D’ailleurs, jusqu’au début du 18e siècle, aucune référence aux loges ne figurera dans des sources extra-maçonniques ! D’une part, dans beaucoup de bourgs, celles-ci se réunissent très peu, et d’autre part, il est malgré tout possible que leurs efforts pour garder le secret de leur existence aient pu avoir été payants.

Le deuxième argument, c’est qu’il semble vraiment très difficile d’imaginer un compromis entre la « Kirk » et William Schaw :

  1. William Schaw est catholique. En 1588, lorsque une assemblée « d’Anciens » de l’église d’Ecosse se réunit pour sommer de se présenter devant elle tous ceux - « papistes et apostats » - qui se « cachent » à la cour du roi, William Schaw figure dans la liste. Il est de plus, selon un agent anglais infiltré, « suspecté d’être jésuite », d’autant plus qu’à priori, il n’est pas marié !
  2. William Schaw est un proche du roi Jacques VI. Voici comment ce dernier est considéré en 1596 par la « Kirk », et son inspirateur de l’époque, Andrew Melville : « Dans le royaume du Christ, le roi terrestre n’est qu’un simple membre, le vassal insignifiant de Dieu » (God’s silly vassal). Toujours la même année, à Edimbourg, le pasteur David Black qualifie Jacques VI « d’enfant du démon »…en référence également sans doute à sa mère Marie Stuart… accusation grave, suite aux années 1591/1592 occupées par l’affaire du « diable de North Berwick » et l’énorme chasse aux sorcières qui s’ensuivit.
  3. Le troisième argument, c’est que, dans ce contexte, le « contrôle » doctrinal et religieux évoqué dans les seconds « Statuts Schaw » paraît au demeurant étonnamment faible et limité.
  4. Le quatrième argument, c’est qu’à la même époque, la « Kirk » suspecte en permanence comme dangereux les arts tels que la musique, la sculpture, la peinture, ainsi que toute forme de représentation, ce qui l’amène en particulier à faire supprimer le théâtre !
  5. On peut rajouter que les loges « Schaw » possèdent une dimension d’organisation secrète - fleurant peut-être même un parfum d’hermétisme catholique - avec en plus l’existence de serments et de secrets qui seront clairement - au milieu du 18e siècle - condamnés par les ultra-puritains anglais.
  6. Enfin, même après le début des années 1590, la « Kirk » - et les évêques épiscopaliens - multiplient les procès en sorcellerie, envoûtements, maléfices : 74 dans les années 1610/1620… et les font même exploser en nombre dans la décennie qui suit : 358.

Il peut alors sembler tout à fait impensable qu’entre leur apparition et la fin du 17e siècle, la « Kirk », avec son niveau de tolérance zéro, n’ait pas dénoncé les loges « Schaw » comme subversives, et le « Mot de Maçon » comme étant une abomination !

Et bien sûr encore plus étonnant qu’en 1649, à l’époque du règne des « Saints », s’interrogeant justement sur ce même « Mot », aucune condamnation n’ait été proférée …

C’est pourtant c’est le cas !

Alors maintenant, à vous d’en juger !