Les Statuts Schaw (1) : Présentation des documents
Gilbert Cédot 2005
Gilbert Cédot 2005
Dans le cadre des grandes mais parfaitement légitimes - compte tenu de son glorieux passé - ambitions que notre V.M. a définies pour la R.L. William Preston, il m’a été assigné, outre la responsabilité et la fonction périlleuse de « Senior Warden » de la Loge - vous avez hélas déjà pu constater l’état déplorable de mon anglais - la tâche très difficile de vous entretenir des « Statuts Shaw » ainsi que des-dites « Chartes St Clair », et ce pendant la durée de ce « cycle écossais » que nous entamons aujourd’hui.
Alors en préalable, et autant vous le dire tout de suite - car de toute façon vous n’allez pas manquer de vous en apercevoir très vite - je ne suis absolument pas un spécialiste du sujet, et bon nombre de frères présents ici - ce soir - sont très certainement bien plus compétents que moi.
Mon rôle consistera donc modestement à introduire les éléments du débat, avec pour simple ambition - pour ceux qui comme moi auparavant n’avaient qu’une approche partielle ou limitée du fameux « siècle écossais » décrit par l’historien David Stevenson - c’est à dire globalement le XVIIe siècle - d’essayer de leur apporter quelques informations de base, si possible utiles ou en tout cas profitables à la discussion.
Mais tout d’abord, pourquoi s’intéresser - outre le fait que le V.M. en a exprimé le désir - aux deux « Statuts Schaw » (1598 et 1599), aux deux « Chartes St Clair » (1600-01 et 1627-28), auxquelles il est indispensable d’adjoindre en amont la lettre-décret « Copland d’Udoch » (1590), et en aval les « Statuts Falkland » (1636) ?
Et bien, en premier lieu, parce que ces six documents représentent, en Grande Bretagne, les premiers éléments identifiés - et incontestables - d’un modèle de structuration maçonnique normé, dépassant l’emprise habituelle de la simple loge de chantier, ou même dépassant le périmètre du bourg, car incluant des territoires, des régions, en fait l’ensemble du royaume d’Ecosse.
On peut, certes, en Angleterre, trouver trace de documents de « Métier » antérieurs - eux aussi parfaitement identifiés - notamment au milieu du XIVe siècle, du type, en 1370, des ordonnances de la cathédrale d’York. Mais il s’agit là d’embryons de codes - je n’ose pas dire du travail - d’ailleurs très limités.
On peut également trouver - et c’est nettement plus intéressant car l’épilogue en sera très probablement la création de la Compagnie des Maçons de Londres - des règlements beaucoup plus élaborés comme ceux édictés en dans cette ville par le Maire et les Echevins, en 1356, suite à un conflit entre les tailleurs de pierres [Hewers] et les poseurs de pierres [Layers, Setters].
Cependant tous ces écrits, malgré parfois leur ambition affichée se situent toujours dans des contextes localisés – des terroirs.
Et puis, il y a, vous le savez tous, les célèbrissimes « Ancients Devoirs », dont les premiers exemplaires connus, le « Régius », et le « Cooke », sont des manuscrits médiévaux qui datent du tout début du XVe siècle. D’autres « Ancients Devoirs », après révision suite à la Réforme protestante, comme le « Grand Lodge n°1 » de 1583, et une dizaine de manuscrits proches, sont également antérieurs ou contemporains aux écrits écossais.
Outre le fait qu’ils ne sont pas substantiellement de même nature - j’y reviendrai - ces textes, à deux exceptions près mais datant de la fin du XVIIe siècle (Antiquity et Alnwick), ne peuvent être rattachés à aucun lieu précis, et on ignore tout de leur pratique réelle.
La quasi totalité de ceux découverts à ce jour sont anglais, ou manifestement de source anglaise.
C’est le cas des premiers manuscrits écossais de ce type qui apparaissent à partir de la moitié - comme le m.s Kilwinning - ou du dernier quart du XVIIe siècle.
Mais un certain nombre d’éléments des textes que nous allons examiner peuvent permettre de penser que certaines copies de ces « Old Charges » étaient déjà connues en Ecosse à l’époque de notre étude.
Il m’arrivera de les utiliser.
Revenons donc à ces six documents élaborés en moins d’un demi-siècle, et essayons de distinguer en quoi ils sont - chacun à leur manière - remarquables, voire fondateurs.
Ils le sont à trois niveaux :
C’est sous la forme de ce plan à trois niveaux, et dans cet ordre que je vous propose de questionner ensemble cette partie du « cycle écossais » de « William Preston », en commençant donc par ouvrir une réflexion sur par les « Règlements du Métier ».
Nous allons donc, ce soir, essayer de nous immerger au cœur de la fraternité opérative… et le cas échéant, de ses éventuelles limites!
Tous les textes en lien avec cette partie sont contenus dans les « Statuts Schaw » de 1598.
En effet, les 14 paragraphes des deuxièmes Statuts, ceux de 1599, également élaborés par William Schaw - qui d’ailleurs à ma connaissance, n’ont jamais été traduits en français - ne portent pas sur les règlements liés au « Métier », et seront donc examinés dans la cadre du traitement des parties suivantes.
J’essaierai également par la suite - outre quelques tentatives de comparaisons avec les « Old Charges » et autres règlements - de les compléter ou de les illustrer au moyen des archives des loges qui les ont plus ou moins mis en pratique.
La première chose donc à faire est de distribuer à chacun un exemplaire des « Statuts Schaw » de 1598, traduits en français par Edmond Mazet….. - j’ai une version en vieil écossais du XVIIe siècle - il y a quelques années dans la revue « Villard de Honnecourt ».
Mon Frère Maître des Cérémonies, si vous voulez bien distribuer les copies des « Statuts Schaw ». [on les trouve aussi dans « les cahiers de l’Herne, mais…]
Le texte, daté du 28e jour de décembre 1598, s’intitule exactement « Statuts et Ordonnances que doivent observer tous les Maîtres Maçons de ce royaume, arrêtés par William Schaw, Maître des travaux [Maister of Wark] et Surveillant Général [Generall Wardene] dudit Métier.
Encore deux préalables qui vont probablement paraître frustrants à un certain nombre d’entre vous :
Quinze articles - sur un total de 22 - sont consacrés à la réglementation du Métier, cette segmentation entre articles étant opérée par Stevenson pour une meilleure commodité de compréhension.
Je vais les regrouper globalement de la façon suivante :
Les articles 3, 4, et 21, qui concernent la relation des «Maîtres Maçons» avec les commanditaires, les propriétaires [awnar].
Les articles 1 (partiellement), 5, 6, 14,17, 19, 21, qui traitent de la relation entre Maîtres Maçons.
Les articles 9 (partiellement), 10, 11, 12, 15, 16, 19, qui traitent de leur relation avec les apprentis, aides [servands], et « cowans ».
Les articles 4, 5, 6, 9, 10, 15, 16, 17, 18, 19, (20, 21), qui traitent notamment des sanctions disciplinaires, en cas de manquements.
L’article 22 qui traite de la destination des amendes.
L’article 18 qui traite de la sécurité.
Les articles 2 et 7 traitant de l’organisation ainsi que des pouvoirs de la loge - 20 et une partie du 21, traitant des rassemblements au delà des Loges - l’article 13, traitant de l’admission comme « Maître et Compagnon » - l’article 1 et une partie du 21, traitant des serments - seront évoqués dans les deux autres chapitres, en même temps que les Statuts Schaw de 1599, accompagnés d’autres textes, comme notamment les m.s. « Haughfoot ».
Quinze articles sont donc consacrés à la réglementation du « Métier » de maçon, et ceci peut paraître à la fois normal et surprenant.
Alors pourquoi les « Statuts Schaw » de 1598 intègrent-ils ces articles ?
Outre le souci politique de William Schaw de placer les nouvelles loges hors la juridiction de toutes ces autorités (le bourg, la guilde, les autres métiers) - sur lequel je reviendrai la prochaine fois - ce condensé de règles que vous lisez dans les « Statuts », si ceux-ci avaient été approuvés par le roi Jacques VI, aurait pu avoir force de loi dans toute l’Ecosse ! C’est peut-être une des raisons qui ont fait qu’ils n’ont jamais été revêtus du « sceau privé » !
Ces règles ont donc été arrêtées, fixées [sett doun] par William Schaw, avec le consentement [consent] d’un certain nombre de Maîtres, de toute évidence ceux de la loge d’Edimbourg, dont une partie étaient naturellement membres « maçons » de la Guilde des « Wrights and Masons », et à ce titre « Electeurs » de la Municipalité.
Les articles 3, 4, et 21 concernent justement d’ailleurs la relation de ces entrepreneurs d’ouvrages, comme indiqué à l’article 18 [Inte Priseris of Warkis], ces «Maîtres Maçons», avec les commanditaires, les propriétaires [awnaris].
Ils doivent être honnêtes vis à vis de ceux-ci, mais aussi fidèles et diligents à leur tâche. Ils doivent en outre se conduire avec droiture quelque soient leurs modes de rémunération - c’est à dire juste logés-nourris, payés à la tâche ou à la semaine.
Ensuite, et c’est très important, il y a une obligation de compétence, quand un ouvrage [wark] est entrepris.
Enfin, lors d’assemblées, ils doivent prêter le serment solennel de ne rien cacher ni dissimuler des fautes ou manquements que tel homme [du Métier] aura pu commettre, à leur connaissance, envers les propriétaires des ouvrages dont il a la charge. En clair, un engagement de dénonciation !
Si les articles 3 et 4 visent la sauvegarde des intérêts des propriétaires, les articles 5 et 6, et toujours 21 tentent de protéger ceux des maçons-employeurs… vis à vis d’eux-mêmes :
Tout ceci en dit évidemment long sur l’attitude des propriétaires de l’époque, mais à l’inverse, aussi sur la volonté des entrepreneurs d’établir certains monopoles territoriaux… et en tout état de cause tout ceci en dit long sur la concurrence régnante.
Cette concurrence, on peut également la mesurer au niveau de l’article 19 leur interdisant de garder à travailler auprès d’eux un apprenti ou un servant « enfui », ce qui outre le préjudice lié aux sept ans de services dus, devait probablement permettre de contrer des pratiques visant à économiser l’enregistrement - payant - et la formation - longue par rapport aux autres métiers - d’ouvriers qualifiés.
Mais cette recherche de protection contre la concurrence, on la trouve également au niveau des maçons-employés vis à vis des maçons-employeur, car il ne faut pas oublier que si les maçons-employeurs, membres de la Guilde, sont partie intégrante des loges, la grande majorité des membres est composée d’aides, de servants - ayant comme ces derniers le niveau, le grade de « Compagnons et Maîtres » - ou d’apprentis, pour ceux qui, du moins ont été « Entrés ».
Elle est particulièrement visible dans les articles traitant de l’encadrement de l’apprentissage, et de l’attitude vis-à-vis des « Cowans ».
L’article 8 précise qu’un Maître ne pourra pas - sauf dérogation spéciale - prendre plus de trois apprentis pendant toute sa vie, ce qui permet en conséquence - sur un territoire - de fixer le nombre de maçons et d’éviter en cas de pénurie de travail une main-d’œuvre trop abondante, susceptible de casser les prix, ou dans le cas inverse - la concurrence étant restreinte et surtout auto-régulée - de pouvoir les augmenter (…boulangers en 1557, salaire minima fixé par la Guilde en 1691… p45 1ers FM).
L’article 14 précise qu’aucun Maître - il s’agit toujours là d’un maçon-employeur - ne pourra travailler sous l’autorité ou la direction d’un autre homme du Métier [Craftisman], par conséquent de s’employer comme Compagnon ou Servant, donc au détriment de cette catégorie d’ouvriers.
Dans le même sens, et vis à vis de la catégorie inférieure, l’article 16 précise qu’un Apprenti-Entré - pas un apprenti-enregistré, qui lui n’a pas ce type de droit - ne peut entreprendre pour un propriétaire une tâche ou un ouvrage d’une valeur supérieure à dix Livres - et qu’il ne peut le faire qu’une seule fois, sauf à obtenir par la suite autorisation expresse de la Loge du lieu.
Enfin, tous s’accordent contre la concurrence des « Cowans » - appelés aussi « Roughlayers » - ouvriers non qualifiés censés ne construire qu’en pierres sèches, sans mortier à chaux, et ne possédant pas ce que j’évoquerai plus tard, à savoir le « Mot de Maçon ». L’article 15 est très clair : Aucun Maître ou Compagnon du Métier n’accueillera de Cowan pour travailler avec lui, ni n’enverra aucun de ses aides travailler avec des « Cowans ».
L’article 9 indique qu’aucun Maître ne prendra ni se s’attachera un Apprenti pour moins de sept ans. Il est d’ailleurs fréquent qu’un contrat d’apprentissage soit signé.
Certes l’Apprenti ne pourra pas être « servand » avant sept ans, c’est à dire mieux payé avant cette période, mais en contrepartie, il dispose de réels avantages, et d’une forme de sécurité :
Enfin les apprentis enregistrés, les apprentis « Entrés », les servants, les « Compagnons et Maîtres » disposent, avec l’article 18, d’un véritable engagement de sécurité corporel de la part des maîtres, entrepreneurs d’ouvrages, qui devront bien veiller à ce que les échafaudages et les passerelles soient solidement installés et disposés, afin qu’aucune personne employée audit ouvrage ne soit blessée par suite de leur négligence et de leur incurie… sous peine de sanctions extrêmes.
Pour couronner l’édifice, et arbitrer les conflits inhérents à tout ce qui précède, l’article 17 indique que si quelque contestation, querelle ou dissension éclate parmi des maîtres, des aides [servands] ou des apprentis entrés – les commanditaires ne figurent évidemment pas dans la liste – que les parties en présence fassent connaître la cause de leur querelle aux Surveillant(s) et aux Diacre(s) de leur Loge dans un délai de 24 heures, sous peine d’amende, afin qu’ils puissent être réconciliés et mis d’accord, et que leur différend puisse être aplani par les dits Surveillants, Diacres, et Maîtres.
Là aussi, une sanction très sévère est prévue s’il advient que l’une des parties s’entête et s’obstine.
Les sanctions !
Elles sont omniprésentes ! Dans pas moins de 10 articles sur les 15 concernés !
Elles peuvent d’abord, de part l’article qui précède, conduire pour tous, à une exclusion temporaire de la Loge, avec tous les désagréments qui peuvent en résulter – à savoir en premier lieu la capacité à trouver du travail.
Elles peuvent être très sévères pour certains, comme les « Compagnons et Maîtres » par ailleurs entrepreneurs.
Ils peuvent :
De nombreuses amendes fixes peuvent également leur être imposées :
Ne sont pas non plus épargnés :
Pour avoir une idée de la valeur de la Livre, sachez qu’un mois de salaire d’un « journeymen », d’un aide, d’un Compagnon, représente à peine plus de 17 Livres.
A titre d’autre exemple, les frais d’adhésion à la corporation de Mary’s Chapel, permettant par ailleurs de devenir Electeur sont de 104 Livres, soit 6 mois de salaire - et à temps plein, ce qui est rarement le cas !
Comment conclure - provisoirement - sinon naturellement en citant l’article 1 : « Ils seront sincères les uns envers les autres et vivront ensemble dans la charité comme étant devenus par serment Frères et Compagnons du Métier ».
Et si ces intentions louables n’étaient pas forcément toujours suivies d’effets, nos frères avaient au moins la consolation minima de voir qu’au moins, toutes les amendes déplorablement infligées et perçues (article 22) étaient quand même distribuées « ad pios usus » - dans des buts charitables - selon la conscience et les avis des Surveillants, Diacres, et Maîtres des Loges…
Enfin pour le moment !
Mais j’y reviendrai la prochaine fois !