RITES ET STYLES DANS LA FRANC-MAÇONNERIE ANGLAISE

Pierre Petitjean. 2004

La franc-maçonnerie obédientielle naît à Londres en 1717. Cette grande loge de Londres va bientôt devenir la Grande Loge d’Angleterre. Les rituels des trois grades (Apprenti, Compagnon et Maître) des loges de cette GL nous sont connus par des divulgations imprimées et des manuscrits et ce sont les mêmes qui sont utilisés en France. Or en 1751-1753, apparaît une nouvelle GL, avec des rituels différents. Ces nouveaux rituels nous sont également connus par des divulgations. A partir du tournant du siècle, il y a donc, suivant les loges, deux rituels différents pour les grades d’Apprenti, Compagnon et Maître, ceux de la Grande loge des « Moderns » ou « Premier Grand Lodge » née en 1717, et ceux de la Grande Loge des « Ancients » de 1751. Si, pendant la 2e moitié du XVIIIe siècle, ces deux GGLL vont se concurrencer, les frères, quelque soit leur appartenance, vont néanmoins se fréquenter si bien qu’à la fin du siècle naît l’idée d’une réunion de ces deux GGLL rivales, union à laquelle des FF comme lord Blayney, Thomas Dunckerley et William Preston vont contribuer. De plus, alors qu’en 1799 le Parlement anglais s’apprête à voter une loi interdisant les sociétés qui exigent un serment de leurs membres, les deux GGMM des deux GGLL, le comte de Moira et le duc d’Atholl, interviennent ensemble pour défendre la Maçonnerie en général, et leur action commune sera efficace. Ainsi la maçonnerie ne sera pas concernée par cette loi même si chaque loge devra désormais se déclarer auprès des juges de paix des bourgs.

En 1809, le processus d’union entre les 2 GGLL rivales s’ouvre avec la création de la loge de promulgation qui est chargée de trouver (et trouve) un terrain d’entente entre les deux parties. La GL des Modernes accepte les usages de la GL des Anciens relativement à l’installation secrète et l’Arc Royal tandis que celle-ci accepte les statuts et règlements des Modernes. L’Union est proclamée en 1813 et le duc de Sussex devient le 1er Grand Maître de la Grande Loge Unie d’Angleterre.

Se pose alors la question du rituel. Une loge de réconciliation est créée rassemblant 9 Passés Maîtres experts dans ces questions et ceux-ci vont déterminer les nouveaux usages rituels. En 1816, ce nouveau rituel est mis au point et donné en démonstration par la loge de réconciliation. Si le rituel est approuvé par la GLUA, il ne sera jamais officialisé ni a fortiori imposé aux loges.

Toutefois, pour le propager parmi les loges, des loges d’instruction sont créées. Deux de ces loges s’imposent : la première, Stability Lodge en 1817, et la deuxième, Emulation Lodge of Improvement (la loge émulation de perfectionnement). Ces deux loges travaillent donc le même rituel issu de la loge de réconciliation mais, bien sûr, avec quelques différences. Par exemple, la loge « Stabilité » travaille sous l’autorité d’un précepteur et au 1er grade tandis que la loge « Emulation » a une méthode plus conviviale, aux 3 grades.

Vers 1850-1860, ce rituel n’est toujours pas imprimé et se pratique par cœur. Des variantes d’usage s’installent peu à peu et finiront par se cristalliser, vers la fin du siècle, dans la notion de « workings », ou manière particulière de travailler le rituel, ce que nous traduisons par « style ». C’est ainsi que l’on parle des workings « Emulation », « Stability », « Oxford », « Sussex » etc... Pour un œil français non exercé, les différences entre ces styles sont minimes et quasi indétectables mais pour un maçon anglais elles ont leur importance.

Au XXe siècle, on a commencé à imprimer ces workings. Bien entendu, aucun d’entre eux n’est officiel même si le style « Emulation » est de loin le plus pratiqué par les loges de la GLUA. Par ailleurs, le rite Anglais s’étant répandu dans le monde entier, comment imaginer qu’il soit pratiqué d’une manière uniforme de l’Ecosse à l’Australie, en passant par les Etats-Unis d’Amérique ?

La tradition française

En France, la situation est très différente.

Dès le début de la franc-maçonnerie, dans les années 1740, apparaissent ce que l’on appellera vite des « hauts grades », c’est-à-dire des grades qui suivent le grade de Maître. Au cours du siècle, ces grades vont être organisés en systèmes et ces systèmes commenceront à être fixés en rites à la fin du XVIIIe siècle. C’est ainsi que le Rite ou Régime Ecossais Rectifié est fixé en 1778-1782 et que le rite pratiqué par le Grand Orient de France est fixé en 1786-1801.

Au cours du XIXe siècle, un nouveau système de grades ou rite va apparaître dès 1804, le Rite Ecossais Ancien et Accepté, tandis que le rite de la Grande Loge Unie d’Angleterre s’établira dans notre pays au XXe siècle sous le nom de rite Anglais.

Si tous ces systèmes ou rites sont bien maçonniques, s’ils pratiquent tous les trois 1er grades dits grades « bleus » ou du « Métier » (Apprenti, Compagnon, Maître), les rituels employés sont différents d’un système à l’autre. Le mécanisme de cette différenciation est maintenant connu. Il réside dans l’influence, par une action en quelque sorte descendante, qu’ont eu les hauts grades sur les grades bleus, de sorte que si ces derniers ont tous des points communs, il n’est pas possible de les confondre entre eux. Cette situation n’a pas existé en Angleterre lorsque le rituel de l’Union fut fixé.