Conférence Prestonnienne de 1983

"The pre-Eminence of the great architect in freemasonry" de RICHARD H. S. rottenbury

Traduction Philippe Llonch. 2004 & 2005

LA SUPREMATIE DU GRAND ARCHITECTE EN FRANC MACONNERIE

Conférence Prestonienne pour 1983.

Richard H.S. Rottenburry, Master of Arts (Cantab.)

1 LES NOMS DU GRAND ARCHITECTE DANS LES GRADES BLEUS.

Un pauvre type d’allure triste et déconfite, négligé, hirsute, mal chaussé et aveugle, se tient de façon hésitante devant la porte verrouillée. Il espère d’être admis aux bienfaits de la convivialité et de l’amitié, ce que le froid monde profane ne procure pas. Pour obtenir ces privilèges, l’aide d’un simple mortel n’est d’aucune utilité. Seule, l’aide de Dieu peut faire ouvrir cette porte et faire que la Vérité suprême soit révélée. Il en va ainsi de l’introduction à la cérémonie de l’initiation. Ce n’est pas un hasard, si les premières paroles d’un candidat en loge, invoquent deux fois le nom du Grand Architecte. A la première question destinée à tester sa maturité comme homme adulte et responsable, il répond : « je suis », sans se douter que « Je Suis » est l’un des noms du Grand Architecte. Dans le livre de l’Exode, on relate l’histoire célèbre dans laquelle, au pied du mont Horeb, le patriarche Moïse fut confronté pour la première fois au Très Haut ayant pris l’apparence d’un buisson ardent, disant ces mots : « Ainsi donc, tu diras à tout le Peuple d’Israël : « Celui qui s’appelle je suis m’a envoyé vers vous. » » Ensuite, avant qu’on pose au candidat la deuxième question, on lui révèle une puissante invocation, de sorte que, toujours aveugle, sa concentration soit maximale. Le chapelain prononce alors les titres « Père Tout Puissant » et « Gouverneur Suprême de l’Univers » ; ce qui est la marque d’une grandeur suprême et de l’acceptation implicite et absolue de ce que cela implique, pour que la cérémonie puisse continuer. On révèle alors au candidat les beautés de la vraie piété, pas seulement pour sa propre instruction ou son propre intérêt, mais avant tout pour l’honneur et la gloire du Saint Nom. Ensuite, on lui pose la deuxième question : «En qui placez-vous votre confiance ?»; «En Dieu», répond-il.

Ainsi, dans les trois premières minutes de la réception d’un candidat, cinq noms du Grand Architecte sont prononcés :

JE SUIS

PERE TOUT PUISSANT

GOUVERNEUR SUPREME

LE SAINT NOM

ET DIEU

Le sixième n’est révélé qu’au moment de l’obligation, quand le candidat répète qu’il se trouve en présence du Grand Architecte. Finalement, au cours de l’exhortation qui suit l’initiation, le septième nom, CREATEUR, est invoqué, avec l’injonction formelle de « ne jamais mentionner Son nom autrement qu’avec la crainte et le respect que doit une créature envers son créateur ».

Dans le deuxième grade, on l’appelle SEIGNEUR, et dans l’obligation, GRAND GEOMETRE. Au troisième grade, il devient SOUVERAIN DE L’UNIVERS ; dans l’obligation, LE TRES HAUT ; et dans l’exhortation, LE SEIGNEUR DE LA VIE. Chacun des douze noms attribués à l’Etre Divin décrit une interprétation du nom de Dieu, mais nulle part la franc-maçonnerie ne propose une définition de la nature ou des attributs de Dieu, laissant à chacun le soin de se faire sa propre opinion.

2 LA VERACITE DU GRAND ARCHITECTE POUR UN FRANC-MACON.

La franc-maçonnerie se contente de demander à l’Homme de croire en l’existence de Dieu. C’était ce que tout candidat, dans les anciens temps de la maçonnerie opérative, devait affirmer. Les « Devoirs d’un franc-maçon », qui préfacent les Constitutions de la Grande Loge Unie, et qui ont une forte connotation médiévale, déclarent dans le premier paragraphe :

« Un maçon est obligé de par sa tenure, d’obéir à la loi morale et, s’il comprend bien l’art, il ne sera jamais un athée stupide, ni un libertin irréligieux. Il devrait comprendre mieux que quiconque que Dieu voit de façon différente qu’un homme, puisque l’homme ne voit que l’apparence extérieure, alors que Dieu sonde le cœur. En conséquence, un maçon sera particulièrement attaché à ne jamais agir contre ce que lui dicte sa conscience. Quelque soit la religion de l’homme et sa pratique, il ne sera pas exclu de l’Ordre, dès lors qu’il croit au glorieux Architecte du Ciel et de la Terre, et qu’il pratique les devoirs sacrés de la moralité. Les maçons sont unis, grâce aux vertus que chaque religion donne au fort et agréable lien de l’amour fraternel. On leur apprend la compassion envers les erreurs de l’espèce humaine et à s’efforcer, par la pureté de leur propre comportement, à démontrer la suprême excellence de la foi qu’ils peuvent professer. Ainsi, la maçonnerie est le centre de l’union entre les hommes bons et vrais, et le moyen heureux de favoriser une amitié parmi ceux qui autrement seraient restés perpétuellement éloignés. ».

Par suite de quoi, la franc-maçonnerie n’a plus la nécessité de prouver l’existence de Dieu. Elle présume que les candidats possèdent déjà cette croyance dans leurs cœurs. Ainsi, même si la franc-maçonnerie ne définit pas sa conception de Dieu, certains des attributs divins sont intégrés au système maçonnique et considérés comme acquis, tel le fait que Dieu soit considéré comme un « Père ». S’appuyant sur ces modèles divins, la maçonnerie se repose sur Dieu, vit en Dieu, et a pour but de conduire l’homme vers Dieu. Chaque chose en maçonnerie, chaque leçon, chaque lecture de la première étape jusqu’au dernier grade, suppose la Suprématie de Dieu. Sans Dieu, elle n’aurait aucun sens et aucune mission parmi les hommes.

3 LE TITRE DE GRAND ARCHITECTE DANS LA PREMIERE FRANC-MACONNERIE.

La maçonnerie utilise rarement le nom de Dieu. Elle emploie plutôt des formules comme « Le Grand Architecte De L’Univers ». Bien entendu, une telle expression est présente dans le symbolisme du métier, mais le concept de Créateur comme Grand Architecte est beaucoup plus ancien que la maçonnerie spéculative. La deuxième plus ancienne version du manuscrit des Constitutions de la Maçonnerie (le manuscrit Cooke de 1410) est précédée d’une prière qui commence ainsi :

« Dieu soit loué, notre Glorieux Père et fondateur et créateur du Paradis et de toutes les choses qui s’y trouve… »

Une autre référence ancienne au Grand Architecte se trouve dans un livre de J. V. Andreae en 1623 :

« Le meilleur logicien est notre Dieu

Dont la décision ne faillit jamais ;

Il parle – cela est ; Il désire – cela arrive ;

Il souffle – tout tombe ; Il insuffle – tout vit.

Ses paroles sont vraies – pas besoin de preuves,

Son conseil règne sans partage,

Ainsi personne ne peut prévoir sa fin

A moins qu’en Dieu il demeure,

Et si nous ici bas voulions apprendre

Par le Compas, l’Aiguille, l’Equerre et le fil à plomb,

Nous ne pourrions jamais surpasser la mesure

Avec laquelle notre Dieu nous a mesurés. »

Andreae a emprunté les symboles des outils opératifs aux Steinmetzen, les maçons allemands, et il les utilise dans le sens où ils seront employés dans les rituels du tout début du 18ème siècle.

On rencontre l’expression « Grand Architecte De l’Univers » dans les Constitutions d’Anderson de 1723. La Maçonnerie Disséquée de Prichard (1730) parle du Grand Architecte et du Concepteur de l’Univers. Il ne fait aucun doute que l’expression était courante en franc-maçonnerie dans la deuxième moitié du 18ème siècle, le plus souvent sous la forme de Grand Architecte que de « Great ». La charte de fondation du Grand Chapitre [de l’Arc Royal] de 1766 commence par « Au Nom du Grand Architecte de l’Univers ».

Le développement du concept du Tout Puissant en désignations séparées pour les trois grades du métier semble être une évolution plutôt tardive. Les termes « Grand Architecte », « Grand Géomètre de l’Univers » et « Très Haut » n’apparaissent pas dans les divulgations anglaises avant les « Trois Coups Distincts » en 1760 ou « Jachin et Boaz » publié en 1762. En 1802, John Browne publia « La Clé du Maître Maçon dans les trois grades ». Ce n’était pas une divulgation mais un rituel chiffré. Browne utilise l’expression « Au Nom du Grand Architecte de l’Univers » à l’ouverture et à la clôture de la loge. Au 1er grade, dans la prière pour le candidat, on trouve « Grand Architecte et Concepteur de l’Univers » ; et au troisième grade on dit qu’Hiram Abif est allé dans le Temple pour adorer le « Dieu très Haut, le Grand Architecte de l’Univers ».

Il apparaît plus probable que les trois mentions que nous connaissons maintenant furent adoptées vers 1810 lorsqu’on créa des ouvertures et clôtures officielles plus longues et spécifiques aux deuxième et troisième grades. Elles apparaissent dans les conférences de William Preston à peu près à ce moment-là et elles entrèrent dans les usages du Métier à la suite des travaux de la Loge de Réconciliation entre 1813 et 1816. C’était la loge qui fut fondée lorsque les deux Grandes Loges s’unirent en 1813 dans le but de codifier une même manière de travailler. Une des conséquences fut la suppression des références et éléments chrétiens du rituel, de telle sorte qu’il ne reste que des bases déistes.

Il faut toujours garder à l’esprit que l’utilisation de différentes appellations pour décrire le Créateur a toujours été associée à la notion de respect et de grand mystère qui trouve ses racines aux origines de l’Histoire. Dans les récits du Révérend C. J. Ball, un spécialiste de la littérature asiatique, on apprend que les noms mystérieux qu’il est interdit à un homme de prononcer ont un grand rôle dans la religion et on peut retrouver l’existence de tels noms aux époques les plus reculées. La Tradition dit que les Pères fondateurs des tribus hébraïques étaient des émigrants d’Ur Casdim ou Ur des Chaldéens. La plupart des idées religieuses et coutûmes des juifs trouvent leurs origines à Babylone. Après leur retour d’exil, la pratique qui consistait à éviter de prononcer le nom propre du Dieu d’Israël, Jaweh ou Jehowah, s’instaura progressivement. Parmi les derniers mots de substitution du Nom, on trouve « Adonaï » (Seigneur) et « Elohim » (Dieu). Dans la Septante (la traduction grecque de l’Ancien Testament, dont les plus anciens passages datent du 3ème siècle avant J.C.), le nom ineffable est toujours traduit par le terme grec : Seigneur.