Les conférences de Gérard Gefen
2003
- Nos prédécesseurs, les maçons écossais des années 1660, d’après un article du brigadier Jackson paru dans les Ars Quatuor Coronati (13 janvier 1981)
- Quelques mauvais usages maçonniques, d’après Explications sur le rite Emulation du F :. Inman (15 juin, 8 septembre et 8 décembre 1982, 9 mars et 3 mai 1983)
- Un chansonnier maçonnique américain de 1815-1816 (6 décembre 1983, 9 janvier et 13 février 1984)
- Le compositeur F.-S. Geminiani et la Philomusicae & Architecturae Societas Apollini, (Queen’s Head Lodge, 1725-1727) (14 mai 1984)
- Du dix-huitième au dix-neuvième siècle : la révolution de la société anglaise et son influence sur la réconciliation maçonnique de 1813 (8 octobre, 12 novembre, 10 décembre 1984, 14 janvier et 11 février 1985)
- Les ouvrages de Stephen Knight et l’anti-maçonnique contemporain en Angleterre (11 mars 1985)
- Le chansonnier primitif de la Grande Loge de Londres (10 juin 1985)
- L’affaire Crucefix (1840) et l’autorité de la Grande Loge Unie d’Angleterre (22 octobre 1985)
- La déchristianisation de la Maçonnerie, d’après un article de N. Barker Cryer paru dans les Ars Quatuor Coronati, 1984 (26 novembre 1985)
- Une curieuse institution pseudo-maçonnique : l’ordre d’Orange (25 février 1986)
- Joseph Haydn, musicien franc-maçon (22 avril 1986)
Les conférences suivantes sont sur ce site à leur date respective:
- Examen de la conférence Prestonienne de 1988, sur la musique et la maçonnerie, par Andrew Permain (1992)
- Biographie de William Preston (1993)
- Les premiers chants maçonniques anglais (1994)
- Ancient and Accepted, par John Mandelberg (1995)
- Histoire de la Maçonnerie de Prince Hall par elle-même (1996)
- Les assassins sont parmi nous… (1995)
- Chroniques maçonniques d’Internet (1996)
Nos prédécesseurs, les maçons écossais des années 1660, d’après un article du brigadier Jackson paru dans les Ars Quatuor Coronati
L’histoire de l’Ecosse au XVIIe siècle est mouvementée et s’inscrit dans un passé turbulent. [Dès le XIVe siècle, avec Robert Bruce, l’Ecosse avait opposé une vive résistance aux tentatives annexionnistes de l’Angleterre. A partir du XVIe siècle, les évènements prirent une dimension religieuse. En effet, après que John Knox eût largement répandu les idées calvinistes, la reine d’Ecosse Marie Stuart (+ 1587) essaya de restaurer le catholicisme. L’affrontement qui en résulta avec la nouvelle église presbytérienne fut terrible. Même si Jacques VI, fils de Marie Stuart, réussit à rétablir l’épiscopat (catholique) et devint, en 1603, roi d’Angleterre, sous le nom de Jacques Ier, les deux pays restaient néanmoins séparés et les prétentions absolutistes du roi ainsi que ses projets d’union intégrale entre l’Angleterre et l’Ecosse échouèrent. Son fils Charles Ier (roi de 1625 à 1649) fut encore plus impopulaire que lui. En 1638-9, les presbytériens se soulevèrent (Covenant) et une guerre civile éclata. Elle aboutit à l’exécution de Charles Ier en 1649 et à l’établissement de la dictature de Cromwell de 1653 à 1658. Si, à la mort de ce dernier, les Stuart furent restaurés en la personne de Charles II (roi de 1660 à 1685), la lutte entre catholiques et presbytériens continua. Jacques II (roi de 1685 à 1688), ayant voulu une dernière fois imposer le catholicisme, fut détrôné par son gendre Guillaume d’Orange (roi de 1689 à 1701).]
Au milieu du XVIIe siècle donc, l’Ecosse regroupe environ 1 million d’habitants. Le pays est tenu par quelques centaines de chefs de clan, des seigneurs locaux.
Sur le plan religieux, l’Ecosse est principalement divisée entre catholiques, anglicans et presbytériens.
Sur le plan maçonnique, il existe une vingtaine de loges au début du siècle. Les loges regroupent des maçons opératifs et spéculatifs. Le parcours du maçon est le suivant. Il entre généralement vers l’âge de 12 ans. Il est « obligé » puis devient « obligé inscrit ». Ensuite il est « apprenti entré » (on dirait aujourd’hui initié) et il reçoit une marque. Enfin, il peut devenir « fellow craft or Master », compagnon ou maître. Le maître commande le « senior warden » (premier surveillant) et le « junior warden » (deuxième surveillant). Pour être maître, il y a plusieurs moyens : être fils de maître, épouser une fille de maître, ou bien recevoir ce titre des mains des échevins. Ce qui montre le patronage des bourgeois sur les loges.
Pour qu’une loge soit « parfaite », elle doit regrouper 4 ou 5 maîtres et 4 ou 5 apprentis, mais dans une loge d’Aberdeen, il faut 6 maîtres et 2 compagnons pour « faire » un compagnon. Lors de la réception d’un maître, tout le monde est présent quelque soit son grade. La loge est organisée de la façon suivante : les apprentis sont d’un côté et les compagnons de l’autre mais on ne sait pas grand chose d’autre. Portaient-ils un tablier, des gants ? Y-avait-il des agapes ?
Quelques mauvais usages maçonniques, d’après Explications sur le rite Emulation du F :. Inman
Voici ces Masonic Don’t ou « Inconvenances maçonniques ».
- Si vous être Maître d’une loge, ne portez pas votre collier et votre bijou de vénérable lorsque vous visitez une autre loge. Une telle pratique est contraire aux Constitutions.
- Vos signes ne doivent pas être faits de manière négligente. Rappelez-vous que les équerres, niveaux et perpendiculaires sont des signes auxquels se reconnaît un maçon. Rappelez-vous également que tous les signes doivent être faits silencieusement. Commentaire : Les signes doivent être faits avec rigueur et silencieusement alors que les saluts sont sonores. Il faut combattre la tendance à effectuer les signes sous forme d’arabesque. Les signes doivent être d’équerre.
- Lorsque vous faîtes le signe d’apprenti entré, ne pointez pas la main devant vous avant de la porter à la gorge. La main droite doit être placée directement en position, avec le pouce formant équerre et touchant la gauche de la trachée artère.
- N’oubliez pas la différence entre le signe de respect et le signe de fidélité. Pour le signe de fidélité, le pouce est mis en équerre et le signe est tracé. Pour le signe de respect, le pouce n’est pas mis en équerre et on laisse simplement retomber la main.
- N’oubliez pas qu’à tous les grades, la main doit rester ouverte lorsqu’on fait le signe.
- N’oubliez pas de faire le rappel du signe pénal du troisième grade. Il n’y a qu’une exception à cette règle, à l’ouverture du 3e grade.
- N’oubliez pas de faire le pas avant de faire le signe, à quelque grade que ce soit. La seule exception est celle du signe de respect qui, en fait, n’est pas un signe maçonnique. A ce propos, il serait plus exact de parler d’ « attitude » de respect.
- Ne proposez pas un candidat à l’initiation si vous n’êtes pas absolument certain qu’il est l’homme qu’il faut, non seulement pour la franc-maçonnerie mais aussi pour votre loge en particulier. Il est sage de s’imposer comme règle inflexible de ne jamais proposer un candidat s’il ne s’agit pas d’un ami intime dont vous connaissez parfaitement le caractère.
- Si vous être Maître de la loge, ne tolérez aucun déplacement dans une autre salle au cours de la cérémonie d’installation dans le but de permettre aux maîtres installés de partager des rafraîchissements. Cette pratique a été condamnée en mars 1926 par le Board of General Purposes (Bureau des Affaires Générales) comme irrégulière et comme contrevenant à la promesse faite en 1902 par le Grand Secrétaire au ministre de l’Intérieur, selon laquelle les autorités maçonniques condamneraient la pratique de consommer des boissons alcoolisées en loge ou dans des locaux directement associés à la loge au cours de la cérémonie d’installation. Il est regrettable que des loges qui se conduisent correctement dans l’ensemble continuent à violer cette règle de manière flagrante.
- Ne permettez pas à votre comité de loge de s’intituler « bureau des affaires générales », si vous avez quelque influence à ce sujet. Le livre des Constitutions limite l’usage du titre « Bureau » à certains organismes limitativement énumérés. « Commission » ou « Comité de loge » sont les termes par lesquels les organismes consultatifs des loges particulières doivent être désignés.
- N’encadrez pas votre diplôme de la Grande Loge et ne l’exposez pas publiquement dans vos locaux professionnels ni même dans votre bureau privé. Une telle pratique ne peut être interprétée que comme une tentative pour utiliser la franc-maçonnerie à des buts commerciaux et elle est solennellement condamnée par les autorités maçonniques.
- Ne parlez pas à vos voisins pendant qu’une cérémonie se déroule dans la loge. Le plus petit chuchotement porte parfois beaucoup plus loin que ne l’imagine celui qui chuchote. Rappelez-vous que le vénérable maître est tout à son office et qu’il peut être un peu nerveux ; la plus petite interruption risque de le faire dévier.
- Ne riez jamais et ne souriez même pas si une anicroche amusante se produit au cours de la cérémonie. Certes, il nous arrive de voir et d’entendre des petits incidents amusants mais le moindre début d’hilarité peut totalement détruire l’impression de solennité qui doit être créée dans l’esprit du candidat.
- Ne vous vautrez pas et ne vous affalez pas sur votre siège en loge, même s’il vous arrive d’éprouver quelque lassitude ou même, qui sait, quelqu’ennui. Vous avez peut-être entendu tout cela cent fois mais, pour le candidat, c’est la première fois et si les frères montrent de l’intérêt, l’intérêt du candidat en sera sûrement stimulé.
- Ne vous pressez pas trop de vous faire affilier à de nombreuses loges ou de vous faire admettre aux Side Degrees. Ayez la patience d’en appréciez les aspects financiers. Rappelez-vous que les dépenses faites à propos de la franc-maçonnerie ne doivent jamais être « au détriment », etc.
- N’hésitez pas à entrer dans l’ordre de l’Arche Royale (Holy Royal Arch). Il ne s’agit pas d’un side degree mais d’une partie intégrante de la « Maçonnerie pure et ancienne » (pure Antient Masonry).
- N’appelez pas les Grands Officiers (Officers of London Rank) les « London Rankers ». C’est discourtois et agressif (« Ranker » veut dire « troufion » ou officier sorti du rang).
- N’oubliez pas de porter vos décors de cérémonie si vous êtes un Grand Officier National, Provincial ou de District et si vous participez à une cérémonie d’installation.
- Ne compliquez pas le travail du trésorier ou du secrétaire en négligeant de répondre promptement à leurs communications.
- N’oubliez pas que le tuileur est un frère. Votre poignée de main et un mot chaleureux peuvent avoir beaucoup d’importance pour lui.
- N’abusez pas de votre appartenance maçonnique commune avec ceux dont la position sociale est plus élevée que la vôtre.
- Ne soyez pas réservé sur votre appartenance maçonnique commune avec ceux dont la position sociale est moins élevée que la vôtre. Nous nous réunissons sur l’équerre et nous nous séparons sur le niveau.
- Ne portez pas de breloques maçonniques à votre chaîne de montre ou sur toute autre partie de votre vêtement. Tout simplement, « cela ne se fait pas ».
- Ne vous laissez pas aller à un comportement bruyant lors des agapes ; dans un dîner privé, vous n’auriez pas l’idée de crier vers l’autre bout de la pièce. Pourquoi le faire lors des agapes maçonniques ?
- Ne parlez pas et ne vous déplacez pas tandis qu’un artiste se produit sur la scène ; le programme musical peut parfois être d’une qualité médiocre et beaucoup d’entre nous peuvent souhaiter en être dispensés mais, lorsqu’un programme de ce genre est établi, la courtoisie élémentaire exige que l’on accorde aux artistes le silence et une entière attention de l’auditoire.
- N’appelez pas le vénérable maître de la loge « Vénérable Monsieur ». Que ce soit pendant les travaux ou pendant la suspension, on doit toujours appeler le vénérable : « Vénérable Maître ».
- Et ne commettez jamais la faute de l’appeler « WM ». Les abréviations peuvent être écrites sur un document mais on ne doit jamais s’adresser à un officier en utilisant un titre en abrégé.
- Ne racontez jamais et n’encouragez jamais quelqu’un à raconter des histoires d’un goût douteux dans une ambiance maçonnique.
- En date du 12 juin 1933, le Très Vénérable Grand Maître, en réponse à une suggestion que lui avait faite le Vénérable Grand Maître adjoint, a autorisé le port de la veste blanche de soirée sur décision des Grands Maîtres Provinciaux ainsi que des Maîtres de loges. La veste noire n’est plus obligatoire.
- N’oubliez pas que « tenue de ville » ne signifie pas « tenue décontractée ». Les FF :. qui devraient faire preuve de plus de jugement se trompent parfois à cet égard.
- Ne devenez pas un maçon de la fourchette, il vaut mieux laisser tomber complètement.
- Ne critiquez pas votre précepteur de loge d’instruction même si vous trouvez qu’il est autocratique, voire peut-être incompétent, rappelez-vous qu’il fait de son mieux, qu’il donne de son temps et qu’il essaye d’aider ses FF :.
- Ne condamnez pas une pratique comme erronée parce qu’elle se trouve être contraire à la coutume de votre propre loge ou parce qu’elle diffère de ce qu’on vous a appris en loge d’instruction. Pensez que c’est votre coutume qui peut être la mauvaise !
- N’imaginez pas que la perfection, le « mot à mot » du rituel est « l’Alpha et l’Omega » de la maçonnerie. C’est important mais il y a d’autres choses beaucoup plus importantes.
- Ne pensez pas que vous avez fait quelque chose d’extraordinaire si vous avez gagné la boîte d’allumettes en argent de l’Emulation Lodge of Improvement. Cela veut dire simplement que vous avez une bonne mémoire et aussi une certaine chance.
- N’oubliez pas le premier des 3 grands principes sur lesquels notre Ordre est fondé. Gardez présent à l’esprit ces principes et vous en tirerez toujours avantage et plaisir (Brotherly love, Relief and Truth).
Un Chansonnier maçonnique américain de 1815-1816
Voici un livre passionnant pour plusieurs raisons : On y retrouve la convivialité, les croyances et l’atmosphère des Etats-Unis de cette époque. C’est aussi un almanach dans lequel il y a une histoire de la franc-maçonnerie aussi belle que celle d’Anderson... avec des affirmations d’une naïveté merveilleuse. Enfin, on y apprend que l’on chantait beaucoup dans les réunions maçonniques, chansons moralisantes et évocatrices de la vie de ces pionniers américains.
En voici une sélection :
- Une chanson intitulée Fidelity. Un jour la fidélité eut envie d’aller se promener sur la terre mais son voyage fut si long que Jupiter crut qu’elle avait décidé de ne plus revenir. Aussi il dépêcha Mercure pour la retrouver. Arrivé à Paris, Mercure apprit que la Fidélité n’était jamais passée en France. Il prit alors la route du Portugal où on lui dit que la Fidélité avait évité la superstition et la grande Inquisition. Désappointé, le dieu se dirigea vers la Hollande mais la Fidélité n’avait jamais été aimée par les Hollandais. Arrivé à Londres, les « petits grands hommes de la Cour » lui jurèrent qu’ils n’avaient jamais entendu ce nom. Alors Mercure orienta sa course vers le jardin de Chypre où le jeune dieu de l’Amour lui dit que lui et sa mère ne s’en étaient jamais beaucoup occupé (de la Fidélité) mais, et c’est la fin de la chanson, « il y a un endroit où vous trouverez la Fidélité sur terre, c’est au siège de la véritable amitié, de l’amour et de la joie, c’est-à-dire une loge de francs-maçons. Dirigez-vous vers elle et, sans aucun doute, vous trouverez la Fidélité ».
- Une blague, un catch à 4 voix.
- Une plaisanterie, Aliborrhon.
- Un chant sérieux. Il s’agit de la correspondance entre le roi Salomon et le roi Hiram, relative à la construction du Temple de Jérusalem. Cette correspondance est fournie par un érudit. Son authenticité est tout à fait prouvée...
- Histoire de la franc-maçonnerie. Ce livre ayant été publié en 1816, il en résulte qu’il a été écrit, pour une partie, avant la « Réconciliation » anglaise de 1813 et, pour une autre partie, après. On y trouve donc des perspectives différentes. Dans la première partie, on explique que la filiation américaine vient d’Ecosse et de la G.L. des Ancients. Les Moderns sont considérés comme des gens abominables et la description de la création de la G.L. de Londres est donnée dans un style très pittoresque. Les Américains ont un engouement pour tout ce qui est anti-anglais. Mais dans la deuxième partie, il est question de la « Réconciliation », et les FF des deux camps sont mieux considérés. Ceci est exprimé dans les deux pièces qui suivent :
- Une petite pièce intitulée : « Union, Force, Sagesse ».
- Une série de Tunes dont :
- Que nous puissions apprendre à être frugaux avant que d’être obligé de l’être;
- A la femme que nous aimons et aux amis à qui nous osons faire confiance;
- Puissent les célibataires être mariés et les mariés heureux !
- Un prologue à jouer avant une pièce. Ce prologue est à 3 personnages : le père, la mère et la fille de 10 ans. Le thème est la franc-maçonnerie. On y apprend, par exemple, pourquoi il n’y a pas de femmes en loges. Ainsi à une question de la mère : « Mais les femmes ? », le père répond : « Bien que nous excluons les femmes de notre Ordre, ne concluez pas que nous n’aimons pas le beau sexe. Ne croyez pas non plus qu’elles pourraient révéler les secrets que nous pourrions leur confier..., mais nous avons peur que, si toutes ces belles dames venaient dans nos loges, apparaissent avec elles l’amour et la jalousie. »
- Ailleurs dans le livre, une autre raison est invoquée : l’infériorité des hommes : « Nous autres hommes apprenons en franc-maçonnerie à aimer Dieu, à être tendre avec les autres, à pratiquer la vertu alors que tout cela est naturellement donné aux femmes. »
- Une romance, « La fille du maçon ».
- Un texte très violemment anti-français. Ceci nous permet de mieux comprendre l’atmosphère des relations franco-américaine de l’époque, sur un plan général et sur le plan maçonnique. L’accent est mis sur l’influence du livre de l’abbé Barruel.
- Une chanson qui a la particularité d’avoir deux versions : l’une maçonnique et l’autre grivoise.
1ère version :
Toi qui jettes un défi à la discorde
L’harmonie seule règne ici (bis)
Allons, chantons pour celui qui nous a élevé
Depuis les chemins raboteux où nous nous égarions
Pour la lumière que nous révérons
Glorieuse science !
Salut mystérieuse, glorieuse science
Toi qui jettes un défi à la discorde
L’harmonie seule règne ici ! (bis)
2e version :
Buvons à la santé de toutes les bonnes filles
Buvons joyeusement, remplissez votre verre
Une bonne rasade à plein bord
Qu’elles vivent une vie de plaisir
Sans mélange, sans mesure,
Car avec elles, on trouve les véritables joies.
A toutes les bonnes filles, une grande rasade !
Buvons à la santé de toutes les bonnes filles
Buvons joyeusement, remplissez votre verre.
Une bonne rasade, à plein bord !
Le compositeur F.-S. Geminiani et la Philomusicae & Architecturae Societas Apollini, (Queen’s Head Lodge, 1725-1727)
Cette histoire extraordinaire se situe au carrefour de plusieurs événements :
- La vie d’un grand compositeur : Francesco Geminiani ;
- L’histoire des sociétés de concerts qui ont transformé la vie des musiciens ; la position et l’indépendance des loges de Londres 8 ans après 1717.
- L’apparition du grade de maître.
Francesco « Xavier » Geminiani
Violoniste exceptionnel né à Lucques (Italie) vers 1667, Geminiani a d’abord été l’élève de son père, puis de Corelli et enfin de Scarlatti à Rome. Il sera un des premiers musiciens à s’installer à Londres à partir de 1712 où il vivra presque constamment à l’exception d’un séjour à Paris, de 1749 à 1755. Il est protégé par le comte d’Essex qui sera aussi son élève. Il joue à la Cour de Georges Ier et obtint un grand succès. Mais, amateur de peinture, sa passion immodérée l’enverra plusieurs fois en prison pour dettes. En 1754, il compose son chef d’œuvre La Forêt Enchantée dans lequel on peut trouver un certain nombre d’allusion ésotérique. Il meurt à Dublin en 1762.
La Philomusicae et Architecturae Societas Apollini
La Queen’s Head Lodge se réunissait un jeudi sur deux près de Temple bar. Selon Harry Carr, elle regroupait probablement 14 membres, triés sur le volet. En 1724, 7 frères de la Loge, dont Geminiani, et un frère de la Horn Lodge fondent la Philomusicae et Architecturae Societas Apollini. C’est une société qui s’insère dans le grand mouvement musical qui traverse l’Europe. A Londres, on trouve les concerts de Thomas Brittain et la Société Philharmonique. A Paris, la première grande société des concerts spirituels est fondée en 1725. A partir de cette époque, les musiciens commencent à devenir un peu plus indépendants par rapports à leurs mécènes et cela va transformer profondément l’histoire de la musique et des formes musicales. Or il se trouve que ce sont des francs-maçons, d’abord individuellement puis collectivement, qui vont se trouver au centre de cette transformation. Par exemple, plus tard dans le siècle, le Concert des Amateurs sera repris par la loge « Olympique de la Parfaite Estime » sous le nom de concerts de la loge Olympique dont les musiciens sont maçons.
Dans la déclaration d’intention de la Philomusicae et Architecturae Societas Apollini, écrite dans une très belle calligraphie, on lit que la musique et l’architecture sont les produits heureux de la géométrie. Ce sont des sœurs jumelles et inséparables qui contribuent à créer l’harmonie. Cette « société mutuelle de vrais amateurs » veut être une société heureuse et noble. Elle est régie par des règles très précises. Les 8 frères fondateurs élisent 13 directeurs qui vont gérer la société. Un président est élu pour 3 mois et des officiers sont désignés : les Censores et les Wardens, le F:. Geminiani étant « dictator ad vitam ». Il faut noter que ces frères ont le goût de l’héraldique. Chaque directeur a son blason gravé sur une médaille de la société.
Du 18 février 1724 au 23 mars 1727, période d’existence de la société, on dénombre 39 membres et 47 visiteurs dont Charles Delafaye, Esquire, l’auteur du chant des Compagnons publié dans les Constitutions de 1723.
Pour être membre de la société, il fallait être franc-maçon. Mais on initiait ceux qui ne l’étaient pas. Dans une lettre du 20 mai 1725, le Grand Maître, le duc de Richmond, rappelle cependant que la société n’est pas une loge et qu’elle n’a, par conséquent, pas le droit de faire des Maçons. La société ne répondit pas à cette lettre malgré la visite du Premier Grand Surveillant de la G:. L:. de Londres. Ainsi il semble bien qu’à l’intérieur de la société, les frères tenaient loge quand ils avaient besoin d’initier un futur membre. Pour autant, peut-on parler de loge « sauvage » ? Pas vraiment, car ce même Grand Maître vint en personne assister à l’initiation de Charles Cotton le 22 décembre 1724 ! Faut-il alors penser que cette société appliquait des règles en usage avant 1717 ?
L’apparition du grade de Maître
A la page 77 du livre des procès verbaux de la société on peut lire :
« Le 12 mai 1725, nos Biens Aimés Frères et directeurs de cette très vénérable société dont les noms sont ci-dessous :
Frère Charles Cotton, esq.
Frère Papillon Ball
sont régulièrement passés Maîtres
Frère F X Geminiani
a été régulièrement passé compagnon et Maître
Frère James Murray
a été régulièrement passé compagnon
Témoins : William Gulston, pres.
Coort Knevit
William Jones, Censores. »
Nous avons ici la première allusion officielle au grade de Maître. Cette société faisait non seulement des Maçons mais aussi des Compagnons et des Maîtres.
Du dix-huitième au dix-neuvième siècle : la révolution de la société anglaise et son influence sur la réconciliation maçonnique de 1813
Un texte paru dans une revue maçonnique américaine « La G :. L :. Unie des Anciens Francs Maçons d’Angleterre en présence du duc de Sussex, G :. M :. des Modernes et du duc de Kent, G :. M :. des Ancients » nous permet d’aborder les questions suivantes :
- Etude de l’Union de la franc-maçonnerie anglaise en précisant ses origines et ses conséquences. 1813 clôt une période et en ouvre une autre.
- Etude des milieux sociaux, économiques, politiques et religieux dans lesquels cette Union s’est produite.
Pourquoi la loge de réconciliation. Antécédents et nécessité
La naissance de la F :. M :. dite «spéculative » est habituellement fixée au 24 juin 1717 avec la création de la G :. L :. de Londres. La maçonnerie anglaise s’est alors développée pendant la première moitié du XVIIIe siècle. Or en 1751 apparaît une nouvelle GL dite des francs-maçons anciens et acceptés. Quelles sont les raisons de cette création ?
- Des maçons d’origine irlandaise mal accueillis dans les loges de Londres.
- La G :. L :. mal gérée.
- L’insuffisance des GG :. MM :. de la G :. L :. de Londres qui contribuèrent à la décadence par leur comportement aristocratique et négligeant.
Il faut aussi tenir compte des faits suivants :
- L’existence à Londres de loges indépendantes qui vont finalement se rallier à la G :. L :. des Ancients.
- Les mauvais rapports entre la G :. L :. de Londres, devenue en 1738 G :. L :. d’Angleterre, avec les GG :. LL :. d’Ecosse et d’Irlande.
- La personnalité explosive de Laurence Dermott (fondateur de la G :. L :. des Ancients) qui va jouer un rôle déterminant.
Celui lance en effet 11 accusations contre ce qu’il appelle « les Modernes » :
- Inversion des mots de reconnaissance des 1er et 2e grades.
- Omission des prières.
- Déchristianisation des rituels.
- Ne pas respecter les jours saints.
- Ne pas préparer les candidats de la manière habituelle.
- Avoir abrégé les rituels et ne plus lire les instructions.
- Ne plus lire les « Anciens Devoirs ».
- Avoir supprimé l’utilisation de l’épée dans les cérémonies, les rendant ainsi plus austères.
- Avoir supprimé la cérémonie initiatique de l’installation du Maître de Loge.
- Ignorer la fonction des diacres.
- Avoir transformé la disposition intérieure de la loge en modifiant notamment la place des deux surveillants et des grandes lumières.
Il faut encore ajouter à cela que les Ancients pratiquaient le Royal Arch, comme deuxième partie de la maîtrise.
A propos de toutes ces accusations, il importe cependant de faire le tri entre la vérité et la mauvaise foi de Dermott. Ce sera l’affaire d’une nouvelle science, indirectement née de cette querelle entre les Ancients et les Modernes, la « science latomologique », dont William Preston fut le premier illustrateur.
Les acteurs de la réconciliation des Ancients et des Modernes
Auguste Frédéric duc de Sussex (1773-1843)
Le premier G :. M :. de la G :. L :. U :. A :. fut initié dans une loge de Berlin le 20 décembre 1798, passé le 19 janvier 1799 et élevé le 4 février. Le 6 mars 1799, il est reçu Parfait Scott Master puis Maître élu de « La Nouvelle Jérusalem » le 10 mars. A Londres, il fera partie de 4 LL :. :
- Prince of Wales, dont il sera le Vénérable ;
- Friendship ;
- Royal Alpha ;
- Antiquity, dont il sera le Vénérable de 1809 à sa mort en 1843 soit pendant 34 ans et 7 mois.
Le 6 février 1805, il est Past Grand Master de la G :. L :. des Modernes.
L’homme est beau, son caractère est facile et décontracté quoique strict sur l’étiquette. Il aime être populaire. Grand fumeur de pipe et de cigare, c’est aussi un collectionneur de livre et de manuscrit. Défenseur des catholiques et des juifs, c’est dire que c’est un libéral, ouvert à toutes les dissidences, volontiers qualifié de « philo sémite ». S’il est très religieux, il reste détaché des dogmes des différentes religions.
Edouard duc de Kent
Le G :. M :. des Ancients lors de la réconciliation de 1813 est le quatrième fils de George III. Homme parfois pathétique qui a beaucoup souffert d’être délaissé par son père, il apparaît aussi très antipathique, sorte de brute sinistre, très marqué par son éducation « à la prussienne », à Hanovre et en Suisse. Ce prince, « pied noir » avant la lettre qui avait vécu à Gibraltar, à la Martinique, au Canada, à la Jamaïque, ne connaissait pratiquement rien de la société anglaise, et ne rentrera en Angleterre que pour les 7 dernières années de sa vie. Sa carrière maçonnique reste mal connue.
L’opinion publique anglaise et la France pendant les années 1793-1815
La réconciliation entre les Ancients et les Modernes qui s’opère entre 1809 et 1813 se produit dans une bien curieuse période, à un moment où la situation de l’Angleterre et de l’Europe est extrêmement préoccupante. Quel fut l’état d’esprit de l’opinion publique anglaise pendant cette époque trouble qui commence en 1789 ? On peut distinguer 3 périodes :
- De 1789 à septembre 1792, il y a un fort courant de sympathie pour la révolution française.
- De 1792 à 1798, la guerre idéologique prend le dessus. Pour les anglais, il s’agit de défendre le roi, la liberté de la propriété, bref une certaine manière de vivre battue en brèche par les idées et les menées françaises. Ceux-ci ne tentent-ils pas un débarquement en Irlande pour l’aider dans sa révolte contre l’Angleterre ?
- De 1798 à 1813. Il y a une quasi unanimité contre la France. La méfiance vis-à-vis de Bonaparte se transforme vite en guerre ouverte. Napoléon est perçu comme un personnage abominable qui impose un blocus extrêmement coûteux. Confinée dans sa situation insulaire, l’Angleterre s’appuie sur ses racines nationales profondes. C’est dans ce contexte de rassemblement que se produit l’Union de 1813. Le résultat est évidemment une coupure entre la F:. M :. anglaise et la F :. M :. continentale.
Les ouvrages de Stephen Knight et l’anti-maçonnisme contemporain en Angleterre
Ce sont deux ouvrages de S. Knight qui sont étudiés ici : Jack The Ripper et The Brotherhood. Bien que du même auteur, ces deux livres sont marqués par une grande différence de style.
1. Jack the Ripper
Jacques l’éventreur est un personnage qui fascine les anglais depuis 1888. Il y a plusieurs raisons à cela :
- C’est un crime qui a une dimension nationale et dont on n’a pas retrouvé l’auteur.
- C’est un crime qui se reproduit périodiquement et régulièrement. 5 prostituées sont assassinées en l’espace de 4 mois.
- Il se situe dans le Londres pauvre, milieu caractéristique d’une certaine Angleterre victorienne.
- Les circonstances de ces assassinats sont particulièrement odieuses : les corps des victimes sont découpés en morceaux.
Plusieurs hypothèses sur l’identité du criminel ont été émises et Stephen Knight n’est pas en reste. Selon lui, les 5 crimes peuvent s’expliquer de la façon suivante. Le duc de Clarence rencontre une jeune femme et l’épouse secrètement. Ils ont un enfant, ce qui peut être cause d’un grand scandale. Pour l’empêcher, le duc décide d’éliminer toutes les personnes qui pourraient connaître ce secret mais, curieusement, sans toucher à la mère et à sa fille. La méthode pour assassiner les victimes est toujours la même. Pour réaliser son plan, le duc fait appel à 3 assassins francs-maçons dont le cocher du médecin de la reine (celui-ci, sir William Gull, est haut dignitaire de la F :. M :.) et le peintre Walter Sickertt qui épousera la fille du duc de Clarence.
Comme Stephen Knight ne fait pas dans la dentelle, il attribuera aussi un autre crime aux francs-maçons, celui de l’assassinat de Mozart, thèse déjà soutenue par les nazis.
2. The Brotherhood
C’est une charge dirigée contre l’ « establishment » dont on cherchera en vain la moindre preuve aux assertions avancées. La thèse de Stephen Knight peut se résumer lapidairement ainsi : il y a un véritable complot ourdi par la franc-maçonnerie. Ce complot se définit par cette équation : SS = KGB = FM. Et de citer l’exemple de la loge P 2. Toutefois, devant l’énormité de cette accusation, l’auteur la relativise en présentant les francs-maçons comme un peu bêtes et totalement manipulés. Se rendent-ils même compte que l’Arc Royal est placé sous le signe du Diable ?
Ces livres participent à ce grand mouvement actuel de déstabilisation d’un pays, l’Angleterre, qui représente tout de même encore le maintien d’un certain nombre de traditions.
Le chansonnier primitif de la Grande Loge de Londres
Ce chansonnier a paru dans les Constitutions de 1723. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, c’était une habitude fréquente aux XVIIe et XVIIIe siècle que de faire figurer des chansons dans des livres, y compris des livres extrêmement sérieux. C’était une époque où beaucoup, parmi ceux qui savaient lire, savaient également lire la musique. Par ailleurs, ce n’est pas seulement la F :. M :. qui chante à ce moment-là mais c’est toute une société. Pour un anglais, un français, un italien, il est difficilement concevable de s’assembler sans chanter. Et le XVIIIe siècle est un siècle qui chante.
- Le chant des Apprentis est la chanson la plus célèbre. Elle est toujours chantée. Elle est attribuée au F :. Birkhead, acteur du théâtre royal, décédé au moment de sa parution.
- Le chant des Compagnons est du F Charles Delafaye qui fit partie de la loge Horn et de la Societas Apollini de Geminiani.
- Le chant des surveillants est d’Anderson.
- Le chant du Maître de la loge, également d’Anderson, est un véritable monument de 28 couplets. Ce chant reprend l’histoire de la F :. M :. telle qu’elle est racontée dans les Constitutions. Les partitions publiées par Anderson contiennent de nombreux archaïsmes suggérant qu’il s’agit peut-être de chants du XVIIe siècle.
L’affaire Crucefix (1840) et l’autorité de la Grande Loge Unie d’Angleterre
Le fait divers qui déclencha l’affaire Crucefix est une histoire banale. Le docteur Crucefix, personnage connu et important, P :. M :. d’une loge ancienne et respectée, la loge de la « Banque d’Angleterre », également membre de la loge des Grands Stewards, propose de fonder une œuvre de charité pour les personnes âgées. A cette époque, deux organismes avaient un objectif semblable (de charité) mais en faveur des orphelins des francs-maçons, l’un pour les garçons et l’autre pour les filles. Crucefix propose donc de créer une maison de retraite pour les vieux maçons. Cette idée n’enchante guère le G :. M :. de la G :. L :. U :. A :. qui préfère un système de pensions à une maison.
Cependant, le 13 novembre 1839, cette proposition est discutée lors d’une réunion spéciale du comité de charité, présidée par le docteur Crucefix. Deux orateurs prennent la parole et tiennent des propos peu aimables pour le G :. M :., le duc de Sussex. Mais surtout, ces divergences vont provoquer une des plus tumultueuses affaires qui ont secoué et ébranlé la G :. L :. U :. A :.
En effet, à la suite de cette réunion, les deux orateurs, Wood et Stevens, et Crucefix lui-même, sont suspendus par le Board of General Purposes de toutes activités maçonniques pour une durée allant de 3 à 6 mois, et encore Crucefix n’échappe-t-il à l’exclusion qu’en présentant des excuses complètes devant le Bureau.
L’émotion qui s’ensuit est très forte et un certain nombre de FF :. qui n’ont pas accepté ces sanctions décident, les 6 mois écoulés, d’offrir un dîner à Crucefix pour lui témoigner leur affection. C’est le député Grand Maître Provincial du Lincolnshire, le docteur Oliver, un ami de Crucefix, qui préside ce dîner.
Or le docteur Oliver est un personnage tout à fait à part dans la maçonnerie anglaise. C’est un écrivain maçonnique qui jouit d’une grande renommée.
Quelques jours plus tard, le G :. M :. Provincial du Lincolnshire, Charles Dencourt, membre du Parlement, ex écuyer de S. A. R. le duc de Sussex, suspend le docteur Oliver.
Cette décision provoque un tollé. Charles Dencourt fait l’objet d’attaques et on va même jusqu'à traiter les membres du Board of General Purposes de « bandits en robe de pourpre ».
Toujours est-il que pendant 5 années, de 1840-1845, la F :. M :. anglaise va être secouée par cette affaire. Il y aura ceux qui seront pour ou contre Crucefix et Oliver. La mort du duc de Sussex en 1843 contribuera à apaiser la situation, peu à peu le calme reviendra et tout rentrera dans l’ordre.
Mais pourquoi en était-on arrivé là ?
Au delà du fait divers (Crucefix et Oliver ne sont pas connus pour avoir des caractères faciles et Sussex est plutôt autocratique), des raisons de fond peuvent apparaître.
Le docteur Crucefix publie une revue Quaterly Freemason Review qui n’a pas l’heur de plaire à certains, lui reprochant de violer le secret maçonnique.
De son côté, Oliver est, par ses publications, une « lumière » de la F :. M :.
Tout ceci n’est pas du goût du duc de Sussex qui entend contenir la vie maçonnique anglaise dans des limites très strictes, celle des 3 grades. N’oublions pas qu’il a mis sous le boisseau la loge des Grands Stewards, la Marque et même l’Arc Royal.
A l’opposé, Crucefix et Oliver sont très intéressés par l’écossisme avec ses 33 grades, par les Knights Templars et autres Side Degrees. Ils essayent de propager ces systèmes en Angleterre, à l’instar des Etats-Unis, mais se heurtent constamment à l’opposition de la G :. L :. U :. A :.
Dès lors, on comprend que le duc de Sussex ait profité de cet incident pour tenter de marginaliser des frères et des rites contraires à sa politique maçonnique.
La déchristianisation de la Maçonnerie, d’après un article de N. Barker Cryer in A.Q.C. (1984)
Ce long article reprend la thèse classique défendue par le Docteur Oliver selon laquelle la franc-maçonnerie des origines est d’essence chrétienne et que, par suite d’une évolution due à un détachement d’un certain nombre de ses valeurs, elle s’est peu à peu déchristianisée pour verser, au XVIIIe siècle, dans le déisme.
Barker Cryer ne lésine pas sur les moyens pour défendre cette thèse. Du XIVe siècle à nos jours, il cherche dans les textes et rituels des références chrétiennes. Et certes, il y en a beaucoup. Mais le mieux est quelque fois l’ennemi du bien et, à trop vouloir démontrer, on peut finir par décevoir son lecteur.
Ainsi on peut formuler 3 critiques principales à l’égard du travail de Barker Cryer:
- Un choix partial des textes. Barker Cryer sélectionnent évidemment ceux qui confortent sa thèse, mettant les autres à l’écart. De plus, il place les textes choisis sur le même plan. Or, certains sont le produit d’une loge, alors que d’autres ont une portée plus universelle.
- Le terme de déchristianisation est ambigu. En France, cela désigne le refus pur et simple du christianisme, jusqu'à l’athéisme. Avec la Révolution, la France se déchristianise, c’est-à-dire qu’elle rejette la religion chrétienne et toute forme de religion. En Angleterre, la déchristianisation signifie simplement l’abandon des références spécifiquement chrétiennes sans pour autant tomber dans un laïcisme à la française. On peut être croyant et religieux sans être chrétien. C’est bien sûr dans ce sens que Barker Cryer emploie le terme de déchristianisation.
- Les exemples choisis par Barker Cryer ne semblent pas toujours pertinents. Par exemple la présence de juifs dans les loges en 1731 est marginale et n’a pas de rapport avec la déchristianisation qui avait commencé dès 1717. Par contre, il est vrai qu’un siècle plus tard le duc de Sussex, ardent philo sémite, a tout fait pour favoriser l’entrée des juifs en loge et il a contribué grandement à une déchristianisation des rituels anglais.
En réalité, la F :. M :. anglaise est dès son apparition en parfaite osmose avec la société de son temps. Or au début du XVIIIe siècle, en Angleterre, il s’agit d’être tolérant. La F :. M :. sera donc tolérante.
Une curieuse institution pseudo-maçonnique : L’ordre d’Orange
Cet ordre est surtout connu pour sa commémoration annuelle de la victoire de Guillaume III d’Orange, protestant, sur Jacques II, catholique, à la bataille de la Boyne en Irlande le 12 juillet 1690. Il s’est constitué à la manière d’une organisation maçonnique.
1. Son histoire
Les relations conflictuelles entre la couronne britannique et l’Irlande, ou entre protestants et catholiques, sont séculaires. Après la bataille de la Boyne, l’Irlande connût un calme relatif au XVIIIe siècle. Cependant, profitant des difficultés de l’Angleterre causées par la révolution française, il y eût des tentatives de révolte irlandaise à la fin du siècle. Ainsi, en septembre 1795, une grande rixe opposa catholiques et protestants lors de la bataille dite du « diamond ». C’est alors qu’un certain James Wilson de Dyon mobilisa les FF de sa loge à Coledon près de Tyrone (Irlande du Nord) pour défendre les protestants contre les catholiques. Ils constituèrent une association, The Orange boys, de fait une milice protestante, qui deviendra l’Ordre d’Orange. En 1797, une partie des Orange boys s’organise sous la forme d’une Grande Loge de l’Ulster. Puis apparaissent deux ordres intérieurs : les Purple Men et les Black Men. En 1798, un nouveau soulèvement oppose protestants et catholiques. Mais la situation est très complexe. D’une part, la hiérarchie catholique reste loyale vis-à-vis de la couronne britannique, d’autre part, la hiérarchie protestante ne soutient guère l’Ordre d’Orange qu’elle juge beaucoup trop agité. Pour les mêmes raisons, la franc-maçonnerie s’en écartera progressivement. Mais l’Ordre d’Orange n’en pâtit point et continue à se développer par le biais des loges militaires. En 1823 cependant, en vertu d’une loi de 1799 sur les sociétés, loi qui ne s’appliquait pas à la franc-maçonnerie, l’ordre d’Orange est dissous. Il se reconstitue aussitôt. Il est dissous de nouveau en 1825 pour se reconstituer une nouvelle fois en 1828 et, aujourd’hui, l’ordre d’Orange est bien vivant, puissant et actif.
2. Son organisation
Le Royal Orange Institution of Ireland a son siège 65 Dublin road à Belfast. En 1972, il rassemblait 100 000 membres répartis en 2000 loges. A quoi il faut ajouter des loges féminines et des loges de juniors (8 à 17 ans). Pour en faire partie, il faut « être né de parents protestants » et « être élevé en protestant ». Le vote d’admission est secret, et il faut obtenir plus de 6/7e des voix. Le recrutement se fait plutôt parmi les employés et les professions libérales. Certaines loges sont d’un niveau social plus élevé. Les motifs d’exclusion sont au nombre de 4 :
- mariage avec une catholique ;
- assister à une cérémonie catholique ;
- être condamné pénalement ;
- immoralité et homosexualité.
Pour tenir loge, il faut être au moins 5. La tenue commence par une prière et un hymne. La cérémonie de réception est centrée sur le serment. Y-a-t-il des « épreuves » ? Selon les sources officielles, non, mais en réalité il y en a dans certains grades. Les officiers de la loge sont : le Superior Senior Officer qui préside, le Deputy master, le tuileur, le chapelain et le Steward qui doit maintenir l’ordre. Les grades sont nombreux et connaissent des variantes selon les pays : Royal Black, Royal Scarlet, Royal Mark, Royal White, Royal Green, Royal Gold, Star and Garter, Link and Chain, Red Cross, etc. Il existe des hauts grades : les loges pourpres, l’arc pourpre et le chapitre noir. Ce dernier est, réglementairement, en dehors de l’ordre mais pour y entrer, il faut être membre de l’ordre d’Orange. Dans ces chapitres noirs on trouve les symboles suivants : les 12 apôtres dont l’un est noirci, le buisson ardent, une main rouge, l’étoile de David, une représentation du Temple de Salomon, une colombe avec un rameau d’olivier, un arc-en-ciel, un sablier, le compas et l’équerre, un cœur percé d’une flèche. Le plus extraordinaire, c’est que cet ordre a réussi a essaimé hors d’Irlande ! C’est ainsi qu’il existe dans l’Est canadien une Grande Loge, 11 loges provinciales avec plusieurs milliers de membres, 3000 membres aux Etats-Unis avec 54 loges masculines, 58 loges féminines et 12 chapitres noirs, et aussi en Nouvelle-Zélande, etc. Deux grands courants le traverse : un courant agressif et sectaire dont la principale activité est la préparation du défilé annuel du 12 juillet, grand rassemblement orangiste qui donne encore lieu à de violents affrontements, et un autre à vocation charitable.
Bien que structuré comme la franc-maçonnerie, l’Ordre d’Orange est cependant tout son contraire puisqu’il n’y est question que de politique et de religion.
Joseph Haydn, musicien franc-maçon
Les documents relatifs à l’entrée de Joseph Haydn en maçonnerie ne manquent pas. En voici 5 :
- Une lettre datée du 29 décembre 1784 de Joseph Haydn au F :. Von Weber, secrétaire et maître des cérémonies de la loge « La Vraie Concorde » dans laquelle il demande son admission dans l’Ordre.
- Un extrait du compte-rendu de la tenue du 10 janvier 1785 rapportant la candidature de Joseph Haydn.
- Un extrait du compte-rendu de la tenue du 24 janvier 1785 enregistrant le vote unanime en faveur de l’admission de Joseph Haydn et la désignation du F :. Von Weber comme parrain.
- Une lettre de Joseph Haydn signalant qu’il n’a pas reçu de convocation pour son initiation prévue le 28 janvier 1785.
- Un extrait du compte-rendu de la tenue du 11 février 1785 confirmant l’initiation de Joseph Haydn, âgé de 51 ans et de naissance bourgeoise.
On notera que le parrain de Haydn en maçonnerie a été désigné et que Mozart n’assista pas à son initiation.
Si Mozart et Haydn furent amis, ils n’en étaient pas moins très différents comme le montre ce parallèle :
Mozart
- 29 ans en 1785.
- Né dans le sérail, il fut élève de son père Léopold. Il n’a pas de situation régulière et mène une vie d’artiste indépendant avec des hauts et des bas. Il est très célèbre.
- Extraverti, passionné, plein d’enthousiasme et amateurs de bons mots.
- Déiste.
- Un vrai tempérament « maçonnique ». Il se passionne pour la réflexion et la méditation. Il vit dans un milieu maçonnique et écrit des œuvres commandées par des loges (et même avant d’être initié le 4 décembre 1784).
Haydn
- 51 ans en 1785.
- De naissance modeste (il est fils d’un charron qui fut aussi juge de paix), c’est un autodidacte. Il a cependant acquis une situation confortable et stable.
- Pondéré, raisonnable, diplomate.
- Catholique pratiquant.
- Il entre en maçonnerie pour 3 raisons principales :
- C’est un ami de Mozart.
- Il connaît beaucoup de maçons.
- Il vit à 80 km de Vienne depuis 20 ans et la franc-maçonnerie est l’occasion idéale pour aller dans cette ville. De plus, le milieu maçonnique permet des rencontres.
La carrière maçonnique de Joseph Haydn est pleine de mystères. En effet, après son initiation on ne trouve plus aucune trace de son activité. Il est vrai que la loge «La Vraie Concorde» devenue «La Vérité» est rapidement dissoute et la Franc-maçonnerie sera interdite quelques années plus tard. Cependant, il est probable que le prince Nicolas Esterhazy (1765-1833), protecteur éclairé des arts, tenait loge dans le château où Joseph Haydn était maître de chapelle.
Par ailleurs on peut trouver quelques indices d’activité maçonnique de Joseph Haydn. Ce sont les suivants :
- Il se rendit à Londres en 1790 puis y retourna. Il y rencontrera alors un organisateur de concerts, un certain Salomon membre de la Pilgrim Lodge, une loge qui travaille en Allemand.
- Il a écrit des chants maçonniques commandés par des loges.
- On trouve des influences maçonniques dans son oratorio La Création.
- A Bonn, Joseph Haydn entend une cantate du jeune Beethoven. Ce dernier lui est recommandé par deux FF