La vie et l'oeuvre de William Preston

(suite)

Thierry Boudignon. 2000

Après les premières années (1742-1763), de sa naissance à son initiation, nous abordons la 2e phase importante de la carrière de William Preston, la période 1763-1772 qui débouche sur la publication des Illustrations of Masonry.

Les années 1760 sont, semble-t-il, un temps où les frères marquent un plus grand intérêt pour les instructions maçonniques [(catechismal lectures) au cours du travail en loge (the working of the lodge)]. Ils ressentent le besoin de comprendre la signification des cérémonies, le symbolisme exprimé en loge, la disposition de la loge, les pratiques maçonniques, etc. En effet, depuis l’apparition, au début des années 1750, de la Grande Loge dite des Anciens, les frères se trouvaient en présence de deux systèmes maçonniques différents : la Première Grande Loge ou « Modernes » et les « Anciens ». Sur ce, à partir de 1760, furent publiées des divulgations, [ce qui n’avait plus été le cas depuis 30 ans] dont les deux plus célèbres, The Three Distinct Knocks (Les trois coups distincts) et Jachin and Boaz représentent la tradition des « Anciens ». Ces divulgations ont eu un tel succès qu’elles furent même utilisées comme aide-mémoire par les frères. On imagine alors les confusions qui pouvaient se produire dans les Loges en présence de deux traditions si différentes.

Preston s’inscrit dans ce contexte. Initié chez les « Anciens » il passe rapidement chez les « Modernes ». Selon Stephen Jones, son premier biographe, il s’intéressa beaucoup aux cérémonies maçonniques et chercha sans cesse à les comprendre. Pour cela il ne plaignit ni ses efforts ni son argent et aidé par sa formation (comme secrétaire de Thomas Ruddiman, imprimeur) et sa mémoire (qu’on lui attribuait déjà fort jeune), il devint un Maître en la matière. C’est ainsi qu’il entra en contact avec nombre de Maçons de tous les pays. Il étudiait les instructions avec d’autres frères ce qui créait une émulation et un perfectionnement. Tout cela finit par lui donner un bagage tel qu’il organisa, à ses frais, un grand Gala à la taverne Crown and Anchor le mardi 21 mai 1772 qui fut honoré de la présence de quelques Grands Officiers. C’est à cette occasion qu’il prononça un grand discours qui donnera naissance aux Illustrations of Masonry.

Dans l’introduction de cet ouvrage publié plus tard, Preston s’explique lui-même sur sa démarche. Dès qu’il fut Maître de loge, il considéra de son devoir d’être le mieux informé possible sur les usages de la Société afin de pouvoir à son tour instruire les Frères. Ceci ne se fit pas sans mal mais malgré les obstacles, il pensa y être arrivé et estimait défendre la dignité de la Maçonnerie. D’ailleurs nombre de ses contradicteurs se rallièrent finalement à lui. S’intéressant au système des instructions; il les trouva, selon lui, dans un « état de corruption et de dégénérescence lamentable » mais surmontant son découragement devant l’ampleur de la tâche, et aidé par des frères zélés, il parvint « à rendre à la Société les anciens et vénérables landmarks ». S’appuyant sur les Devoirs (Charges), il considéra la nature de l’institution en essayant d’en définir les caractéristiques essentielles.

Pour reprendre un mot de René Guilly, « rendre à la Maçonnerie son statut, son niveau, sa dignité (...) est un combat permanent de tous les instants et de toutes les époques ». En effet, on note que le thème de la dégénérescence et donc de la réforme nécessaire de la maçonnerie est un thème récurrent de tous les pays et de toutes les époques. On pourrait citer de très nombreux exemples. Par exemple, dans une lettre au marquis de Caumont, le 1er avril 1737, Ramsay parle déjà de « la dégradation de notre Ordre (...) au grand regret de tous ceux qui connaissent la grandeur de notre vocation ». Plus tard, et dans d’autres circonstances, Joseph de Maistre écrira qu’il faut régénérer l’ordre et « prévenir par le choix et par l’examen des personnes l’avilissement de l’initiation maçonnique ». Sans même parler de René Guénon dont toute l’oeuvre est fondée sur l’idée de dégénérescence et d’éloignement de la Tradition primordiale. Mais, arrêtons-nous un instant sur la situation en Angleterre au XVIIIe siècle.

Avec l’accession à la Grande Maîtrise du duc de Montagu (1721), la maçonnerie anglaise connut des débuts grandioses. Pourtant, dans son ouvrage, The Craft, John Hammill cite, p. 46, une lettre de Horace Walpole qui écrit dès 1743 que « les françs-maçons ont une réputation si mauvaise aujourd’hui en Angleterre que je ne vois rien d’autre qu’une persécution pour les remettre en vogue ». En 1755, lorsqu’on procéda à la renumérotation des loges de la Première Grande Loge (ce qui n’avait pas été fait depuis 1740), on s’aperçut alors que sur les 271 loges de 1740, 72 avait cessé d’exister, la majorité à Londres, ce qui pouvait dénoter un désintérêt relatif pour l’institution. En 1764, le Grand Maître, Lord Blayney visita les loges de Londres et remarqua la piètre qualité de leur rituel. Pour redresser la barre, Il favorisa l’entrée de la noblesse et de la bourgeoisie (gentry), ce qui laisserait à penser que le recrutement était alors trop (?) populaire. En 1776 sera construit le premier Masonic Hall, ce qui permettra de réunir les loges ailleurs que dans des tavernes, lieu de débauche par excellence, et en 1782, Son Altesse le Duc de Cumberland devient le premier Grand Maître de sang royal. Il est certain qu’à la fin du XVIIIe siècle, la Maçonnerie anglaise a acquis, ou retrouvé (?), une véritable place dans la société.

Dans ce discours du 21 mai 1772, Preston exprime ses vues générales sur le Métier (The Craft). Selon lui, la Maçonnerie est une école de morale destinée à renforcer la fraternité, l’exercice de la charité et des vertus. De même, explique-t-il, que les maçons opératifs apprennent par les règles de l’architecture les justes proportions et les correspondances entre les choses, de même les maçons spéculatifs doivent apprendre à régler et surtout vaincre leurs passions, à promouvoir la langue du bon renom, à conserver les secrets, à pratiquer la charité, et surtout à contempler l’Univers et, à travers lui, son Créateur puisque la maçonnerie est intimement liée à la religion. La loge nous rappelle que nous sommes tous les enfants de même parents et que nous devons tous nous aimer comme frères. Telle est la nature de cette vénérable institution : exercer ces vertus, éclairé par la lumière de la vérité.

Malicieusement, Colin Dyer remarque qu’il ne semble pas que Preston lui-même ait toujours respecté ces beaux préceptes.

Preston aborde ensuite l’organisation du Métier. Il y voit 3 classes

« Pour postuler à la première classe, il faut avoir le sens de l’honneur et de la probité ». On commence à y pratiquer les vertus, à exercer les devoirs de la morale, et acquérir les principes du savoir et de la philosophie.

Dans la deuxième classe, classe intermédiaire, on s’entraîne et s’améliore dans cette voie. C’est ici que l’on doit montrer de la diligence, son assiduité et son application. Ainsi, on acquiert des connaissances plus précises, éclairées par notre raison et nos facultés intellectuelles qui deviennent meilleures.

N’atteignent la troisième classe que des frères dûment sélectionnés, ceux qui ont fait preuve de fidélité, qui ont acquis de l’expérience et montrer divers mérites. Ce sont eux qui préservent les anciens landmarks dont l’application garantit la dignité et la grandeur de l’art sacré. Tous les hommes verront alors son utilité. C’est à ce stade que sont cultivées la vraie fraternité, l’hospitalité, le travail, etc.

L’idée de structurer la société en 3 étapes n’est pas une nouveauté et est tout à fait classique. Avant Preston, d’autres l’avaient fait. Ramsay, par exemple, écrivait dans son célèbre discours : « Nous avons dans notre société trois sortes de confrères : les novices ou les apprentis; les compagnons ou les profès; les maîtres ou les adeptes. » On apprend « aux premiers les vertus morales et philanthropiques; aux seconds les vertus héroïques et intellectuelles; aux derniers les vertus surhumaines et divines ». Pour Joseph de Maistre, « le grand but de la Maçonnerie sera la Science de l’Homme » (...)« l’ordre deviendrait une des institutions les plus utiles à l’humanité si, toute la Maçonnerie était divisée en trois grades,- le premier avait pour but les actes de bienfaisance en général, l’étude de la morale et celle de la politique générale et particulière;- le second la réunion des sectes chrétiennes et l’instruction des gouvernements;- le troisième la révélation des révélations ou les connaissances sublimes.

Par contre, l’idée de revendiquer clairement une relation étroite et de filiation entre la maçonnerie opérative et la maçonnerie spéculative est remarquable et probablement nouvelle. Cette idée va connaître un réel succès et se retrouvera bientôt en toute lettre dans les rituels eux-mêmes. C’est que, probablement, cette idée devait répondre, à un sentiment largement répandu parmi les frères, d’autant qu’elle était formulée par un homme dont la culture, classique, historique, biblique etc., ne pouvait que favorablement impressionner.