INFORMATIONS BIBLIOGRAPHIQUES ET ACTUALITÉS DE LA MAÇONNERIE ANGLAISE
2000
Depuis quelques années la presse maçonnique anglaise s’étoffe et se diversifie. La revue Masonic square fondée en mars 1975, devenue en mars 1997 The Square, est concurrencée, depuis l’été 1997, par Freemasonry Today. Il semble que The Square soit devenu relativement autonome par rapport à la Grande Loge Unie d’Angleterre, et il se déclare d’ailleurs fièrement The Independant magazine for freemasons, alors que Freemasonry Today exprimerait la voix de la GLUA.
Pour autant, et malgré ce statut quasi officiel, on ne peut être qu’étonné par le faible niveau intellectuel de cette dernière revue, certes de vulgarisation, mais qui reprend sans sourciller nombre d’erreurs, de fictions et de légendes si nombreuses en Maçonnerie.
Ainsi dans les numéros de l’été et automne 1999 de Freemasonry Today, on trouve entre autres :
- la reprise de légendes à propos de la filiation du mot freemason à partir du free stone mason (série d’articles intitulée The Riddle of the Stones, L’énigme des pierres).
- toutes sortes d’erreurs à propos des fouilles de Schliemann. On y confond Mycennes et la Crète que l’on situe, allons-y, dans l’île de Chypre...
- des légendes à propos de celle d’Hiram.
- l’existence de Mystery dans les loges de maçons au XVe siècle. On y voit une allusion aux « mystères », pourquoi pas à ceux d’Eleusis, alors que ce terme (Mystery) comme l’a montré Robert F. Gould depuis longtemps, est une corruption d’un terme en vieil anglo-normand qui signifie « mestier » ou « métier » !
Curieusement, Tobias Churton, un des membres de l’équipe rédactionnelle, regrette que les milieux universitaires anglais s’intéressent si peu à la Maçonnerie, mais que ne s’aperçoit-il lui-même de la piètre qualité des articles de cette revue ! Peut-on alors compter sur un Michaël Baigent, dignitaire de la GLUA et spécialiste de « Rennes-le-Château » pour en relever le niveau ?
Aujourd’hui, pour beaucoup, il est probable que la Maçonnerie apparaît comme quelque chose de dépassé, ringard et peu sérieux. De fait, la Maçonnerie anglaise est confrontée à une crise morale et intellectuelle à laquelle elle n’était pas préparée. Elle doit s’interroger sur ses origines, ses sources, ses missions, sa finalité et ce travail est difficile pour une grande institution comme la GLUA. Elle fait ainsi l’apprentissage de l’introspection et de l’auto-critique, ce que la Maçonnerie française a fait bien avant elle.
The Square, n° de mars 2000
Découverte dans la bibliothèque du Suprême Conseil de la juridiction Sud à Washington (USA) par Yasha Beresiner, Vénérable Maître de la Quatuor Coronati Lodge n° 2076 en 1997-1998, voici une divulgation qui était connue par d’autres sources mais qui n’avait, jusqu’à présent, jamais été publiée. Pages 20 et 21, The Square nous livre une copie de l’édition originale parue dans The Post Boy des 26 à 28 décembre 1723.
Pages 12 et 13, Leo Zanelli présente un centre de recherche maçonnique ouvert à tous, à Canonbury (Londres). C’est ainsi que le « Professor Charles Porset of the Sorbonne » s’est exprimé sur le Grand Orient de France. A la question « Qu’est-ce que la Franc-Maçonnerie ? », Charles Porset a simplement dit qu’en 1877, le GODF a décidé de se reconnaître pour ce qu’il est, c’est-à-dire un club, qui a conservé une forme rituelle. Ne serait-ce point, ajoute Zanelli, le point de vue que Pat Streams a exprimé dans le numéro de septembre 1999 ? Ce club, comme tout bon club qui se respecte, s’occupe de politique, et laisse à la religion le domaine spirituel et le soin de rendre les gens meilleurs ! Zanelli conclut en écrivant que, l’on approuve ou non cette opinion, on doit reconnaître qu’elle est parfaitement cohérente.
Dans la rubrique « Livres », Ralph Wheeler rend compte, pp. 44-45, de Brotherhoods in Ireland (Les Fraternités en Irlande) de Anthony D. Buckley et Kenneth Anderson. On y présente la plupart des friendly societies irlandaises dont beaucoup, comme en Angleterre, sont para maçonniques.
Page 43, nous apprenons que, selon la revue The Philalethes d’octobre 1999, notre Frère Michaël Segall, membre correspondant de notre Loge, estime à 110 000 le nombre de francs-maçons français répartis en 15 Grandes Loges qui ont des degrés variables de régularité ou d’irrégularité... Compte tenu de cet émiettement, la France serait-elle intéressée par une « Fédération de Grandes loges » à l’exemple de l’Allemagne ?
Freemasonry today, n° 12, printemps 2000
Dans son éditorial, Tobias Churton regrette qu’un grand nombre de maçons (anglais) n’ait jamais entendu parlé de l’existence de ce magazine qui entame pourtant sa 4e saison. Il est vrai que même la GLUA ne possède (et ne centralise) pas les adresses de ses membres. Ceci reste l’apanage des secrétaires de chaque loge.
Page 19, Julien Rees présente The Cornerstone Society. Cette société est ouverte à tous les Maîtres qui veulent approfondir « la dimension maçonnique », apprécier les valeurs et la beauté de la franc-maçonnerie et la présenter comme « une force de bien chez l’individu et dans la société ».
Voici maintenant, page 22, un article sur The Order of Women Freemasons que l’on pourrait traduire par « Grande Loge Féminine d’Angleterre »., illustré par le portrait du Grand Master, MW Bro Brenda I. Fleming-Taylor. Cette organisation fondée en 1908 sur une initiative française était mixte à l’origine bien que le titre de « Soeur » fut rapidement remplacé par celui de « Frère » (en anglais Bro, abréviation de Brother) ... En 1928, The Honourable Fraternity of Antient Masonry (nom de l’organisation de 1913 à 1958) a essayé d’établir des relations d’amitié avec la GLUA mais se heurta à une fin de non-recevoir. The Grand Master précise que si la question venait à se reposer aujourd’hui, ces relations s’établiraient sur un pied d’égalité et non sur une simple « reconnaissance » de la part de la GLUA...
Matthew Scanlan, ancien assistant au conservateur de la bibliothèque et du musée de la GLUA, donne un article sur l’Acception. L’auteur y repose l’éternelle question des rapports entre maçonnerie opérative et maçonnerie spéculative et des origines de la franc-maçonnerie. L’expression « maçonnerie spéculative » apparaîtrait pour la première fois dans une lettre de 1757 extraite de la correspondance du Dr Manningham Deputy Grand Master de la Premier Grand Lodge avec un frère des Pays-Bas. Que signifie alors cette expression ? Faut-il l’opposer à une maçonnerie de pratique ? Comment comprendre l’expression « Franc et Accepté » ? Matthew Scanlan essaye de répondre à ces questions en étudiant l’histoire de Nicolas Stone, né en 1586, maçon, qui visita l’Espagne et le « deuxième temple de Salomon » c’est-à-dire L’Escurial, et qui fut « accepté » dans la Compagnie des Maçons de Londres. Il voit dans cette « acception » l’exemple même d’une transition d’une maçonnerie opérative à la maçonnerie spéculative.
Cette thèse n’est pas nouvelle et, dans le sillage de Harry Carr, revient régulièrement à l’ordre du jour. Rappelons simplement que la Compagnie des Maçons de Londres a été l’objet d’une étude majeure à la fin du siècle dernier, celle de Sir Edward Conder Jr, The Hole Craft and Fellowship of Masonry. On y apprend que les plus anciennes archives de la compagnie datent de 1620 et s’arrêtent à l’année 1682. On sait aussi, par d’autres documents, que l’existence de la compagnie est sûrement attestée dès 1376 et qu’elle reçut des Armes en 1472. En 1621, les comptes-rendus de la compagnie signalent que des personnes, dont certaines n’avaient apparemment pas de lien avec le métier, sont « devenues maçons », moyennant finances. Un autre mention datée de 1648 stipule qu’un membre de la compagnie paya 1 Livre pour « devenir accepté ». L’expression « maçon accepté » se retrouve encore en 1665 et 1676. C’est à partir d’indices aussi ténus que l’on suppose l’existence d’une sorte de cercle lié à la compagnie, une structure de patronage, cercle qui était composé de membre de la compagnie donc des gens du métier et de personnes extérieures à la compagnie. Quant à savoir en quoi consistait une cérémonie d’acceptation, tout ce que l’on peut en dire c’est qu’elle devait probablement être distincte de la cérémonie d’entrée dans la compagnie et qu’on utilisait une Bible... A partir des années 1680, on ne sait plus rien sur cette compagnie et un éventuel lien avec les Loges spéculatives des années 1720 ne repose, outre la volonté d’établir coûte que coûte une transition entre le métier et la franc-maçonnerie, que sur le fait que la Loge Antiquity, l’une des quatre de la fameuse réunion du 24 juin/5 juillet 1717, possède un manuscrit des Old Charges orné des armoiries de la compagnie. C’est bien faible pour y voir une origine de la maçonnerie spéculative.
Dans un autre article Robert Peter aborde le thème des rapport entre la Franc-maçonnerie et la religion naturelle. L’auteur considère que le pasteur Anderson (auteur des fameuses Constitutions de 1723) est un déiste. Pourtant Anderson écrit clairement que « le MESSIE de Dieu naquit sous le règne d’AUGUSTE CESAR, [et qu’il est] le grand architecte de l’Eglise ». Il est difficile de ne pas y voir une allusion chrétienne.
Avec ces deux derniers articles, on ne peut qu’être conforté dans l’idée que Freemasonry Today publie des articles d’une extraordinaire légèreté sur le plan historique. Mais cela n’est peut-être pas le fruit du hasard ?
Pour finir, nous apprenons que le GM de GL (régulière) d’Italie, Guilano Di Bernardo, a installé ses collègues en Ukraine et en Moldavie (p. 6). A côté des ces portraits idylliques complaisamment exposés dans la revue, le Monde Diplomatique d’avril 2000, sous la plume d’Alain Faujas, aborde aussi la question de la renaissance de la Maçonnerie à l’Est de l’Europe. « Une guéguerre [écrit-il, existe] entre les obédiences pour recruter le plus grand nombre (...). Certes le GODF et la GLDF s’entendent pour s’implanter en Hongrie et [dans ce qui fut la Tchécoslovaquie]. Le DH et le GODF font cause commune en Roumanie. Mais dans l’ensemble, chaque obédience épaule ses filles et tentent de débaucher celles des autres. Le GODF perd son premier vénérable Russe au profit de la GLNF qui lui subtilise également la loge Le Sphinx à Saint-Pétersbourg. La loge Aurore de Belgrade passe de la GLDF au GODF, et les métaux abandonnent la Maçonnerie française pour l’Allemande. (...) Les Maçons d’Europe de l’Est n’ont pas la vie facile. Il leur a fallu accepter d’anciens apparatchiks ce qui n’est pas allé sans grincements de dents. Dans beaucoup de pays, ils sont confrontés à un réveil de l’antimaçonnisme qui est dû surtout aux particularismes slaves et notamment [certains] mouvements slavophiles (...). [Par ailleurs,] les milieux d’affaires [pénètrent] la Maçonnerie régulière à laquelle appartiennent la GLNF et la GLUA ». Bref, il est à craindre que la seule notion de « régularité » soit insuffisante pour écarter de la Maçonnerie des gens douteux.
Renaissance Traditionnelle, n°s 118-119
Renaissance Traditionnelle, n°s 118-119, avril-juillet 1999, actes du IIIe colloque du Cercle Renaissance Traditionnelle, De la Maçonnerie opérative à la Franc-Maçonnerie spéculative : filiations et ruptures.
On y trouve le texte intégral des communications, la transcription des débats et des documents et annexes forts intéressants et inédits notamment sur la communication de Bernard Dat, « La Maçonnerie « opérative » de Stretton : survivance ou forgerie ? »
Franc-Maçonnerie et faïences maçonniques
Franc-Maçonnerie et faïences maçonniques, catalogue de l’exposition à Nevers (Nièvre) au palais ducal du 17 juin au 17 septembre 2000. Organisée par un comité scientifique composé, entre autres, de diverses obédiences (Grand Orient de France, Grande Loge de France, Droit Humain, Grande Loge Féminine de France) et présidé par Claude Ghivasky, cette exposition est le plus grand rassemblement de faïences maçonniques des XVIIIe et XIXe siècle jamais réalisé en France. On notera la présentation de 4 pièces prêtées par la Grande Loge Unie d’Angleterre dont 2 assiettes de Delft du XIXe siècle (l’une représentant le grade de Chevalier du Soleil, n° E-21, p. 185). D’autres pièces viennent des Etats-Unis d’Amérique, du Portugal, de l’Autriche, etc. Outre la partie catalogue proprement dite où l’on peut admirer les reproductions photographiques des pièces, on trouve dans cette publication des articles signés par les meilleurs historiens de la franc-maçonnerie, par exemple : Charles Porset « La Maçonnerie au siècle des Lumières », Pierre Mollier, « Fieffé, éveilleur du regard », Ludovic Marcos « Aux origines des tapis des loges », Roger Dachez « Le banquet : un lieu de sociabilité maçonnique au XVIIIe siècle », André Combes « Le banquet maçonnique au XIXe siècle », Pierre Hivert-Messeca « L’argile et la pierre brute : les fayenciers Francs-Maçons de Moustiers au XVIIIe siècle », etc.
Dans l’intérêt des Frères
On annonce la prochaine parution dans la collection Renaissance Traditionnelle de la seule nouvelle entièrement maçonnique de Rudyard Kipling Dans l’intérêt des Frères, traduction inédite, introduction et notes de Pierre Gauchet. Dans ce livre, l’auteur, membre de la Kipling Society, donnera également le poème « La Loge Mère » (traduction de Gérard Gefen), et évoquera les principaux moments de la vie du grand écrivain qui fut aussi franc-maçon, le tout illustré par Janbrun : son initiation, l’époque de la reine Victoria, les usages dans les loges britanniques, les dernières années de sa vie après la première guerre mondiale, la mort de son fils au combat sur la terre de France, et les recherches difficiles pour identifier son corps.
A l’instar d’autres auteurs francs-maçons, Kipling fut peu présent dans les loges mais il possédait une grande culture maçonnique qui enrichit toute son oeuvre, comme Pierre Gauchet le montrera magistralement dans son ouvrage.
The Square, n° de décembre 2000
Un article de la rubrique Overseas (p. 41), « French go orientals », revient sur les questions un peu surréalistes de « reconnaissance » :
«Il y a quelques années, la Grande Loge Unie d’Angleterre retirait sa reconnaissance au Grand Orient d’Italie et reconnaissait, à la place, la Grande Loge Régulière d’Italie. La plupart des Grandes Loges d’Europe suivirent. Mais la conférence des Grands Maîtres des Etats-Unis d’Amérique refusa de faire la même chose. Cette situation est restée inchangée et le GODI est toujours reconnu par les Etats-Unis, alors qu’il ne l’est pas par la plus grande partie de l’Europe. Selon une rumeur qui couve, l’une des Grandes Loges européennes est en négociation avec les Américains pour reconnaître de nouveau le GODI. Si cela arrivait, il semble probable que le reste de l’Europe sera tenté de suivre».
De quelle Grande Loge européenne s’agit-il ? De la Grande Loge Nationale Française ? Ce serait bien la première fois qu’elle oserait ainsi désobéir à la GLUA ! En tout cas, cet article montre combien les relations entre les maçonneries anglo-saxonnes et européennes sont difficiles. Mais nos amis anglais ne font-ils pas preuve d’une certaine incompréhension vis-à-vis des affaires continentales ? Fidèle à sa doctrine de la « régularité », la GLUA a bien du mal a s’y retrouver en Italie. En 1993, elle avait d’abord « suspendu » sa reconnaissance au Grand Orient d’Italie, avant de la lui retirer, pour l’accorder à une Grande Loge Régulière d’Italie. A l’époque, elle espérait que la pratique du rite anglais style émulation serait une bonne chose pour se protéger de toute espèce de dérive dans la maçonnerie régulière italienne. Certes ! Mais il est à craindre que cette salutaire décision soit néanmoins insuffisante...
Quant aux Américains, il n’est pas sûr qu’ils perçoivent bien toutes les subtilités de la maçonnerie française. Ainsi, ils estiment que la Grande Loge de France est « régulière » puisqu’elle travaille, croient-ils, « A la Gloire du Grand Architecte de l’Univers, qui est Dieu ». Il est probable qu’un certain malentendu règne sur cette question qui est sans doute plus complexe que ne se l’imaginent les frères américains...
« Shriners Change the Rules » (p. 41). Les Shriners, organisation américaine para-maçonnique dont l’activité principale est la bienfaisance, sont confrontés à de gros problèmes de recrutement. Jusqu’à présent, pour entrer dans les Shriners, il était nécessaire de posséder le 32e degré du Rite Ecossais Ancien et Accepté qui est d’ailleurs donné assez facilement aux Etats-Unis. Ceci ne serait plus obligatoire. Il semblerait que la seule qualité de maçon suffise désormais. Plus encore, cette position nouvelle serait, en réalité, le fruit d’un compromis avec ceux qui étaient pour le statut quo et ceux qui étaient d’avis de ne plus même exiger d’être maçon ! Mais si ces derniers avaient obtenus gain de cause, les Shriners seraient-ils restés un corps régulier de la Maçonnerie américaine ?
Travaux de la Loge nationale de recherches Villard de Honnecourt, n° 45, 2e série, 2000
Un volumineux article de Pierre Noël, « Le Rite Ecossais Rectifié en France au XXe siècle », pp. 115-270, aborde les questions de la naissance de la GLNIR (Grande Loge Nationale Indépendante et Régulière), sa reconnaissance par la GLUA (p. 154) – de la correspondance est publiée – et l’implantation du style Emulation en France (p. 161).