ORIGINE ET EVOLUTION DE LA CEREMONIE DE CONSECRATION DES LOGES DANS LA TRADITION MAÇONNIQUE ANGLAISE
Roger Dachez. 2000
Dans le livre des Constitutions de 1723, on peut lire un post-scriptum intitulé :
« Voici quelle est la manière de constituer une Nouvelle Loge, telle qu’elle est pratiquée par Sa Grâce le duc de WHARTON, l’actuel Très-respectable Grand Maître selon les usages antiques des Maçons ».
C’est la première description connue de « la manière de constituer une nouvelle loge ». On procède de la façon suivante : Lorsque la loge est assemblée, le GM
« plaçant le candidat (i.e. le futur Vénérable) à sa main gauche, ayant demandé et obtenu le consentement unanime de tous les frères, dira : Je constitue et forme ces bons frères en une nouvelle loge, et je t’en nomme le Maître, ne doutant pas de ta capacité et de ton application à préserver le ciment de cette loge, &c. ainsi que d’autres expressions usuelles et propres à l’occasion, mais qu’il ne convient pas d’écrire. (...) Et lorsque le candidat aura signifié sa cordiale soumission, le Grand Maître l’installera selon certaines cérémonies importantes et les usages antiques (...) ».
Comment interpréter ce texte ? On remarque d’abord que c’est la première mention connue d’une installation d’un Vénérable Maître dans la tradition maçonnique anglaise. Mais ce n’est pas une installation secrète, comme aujourd’hui. L’installation évoquée ici se pratique en loge ouverte, devant tous les frères, et le mot « installation » lui-même a un sens très général : celui de prise de fonction, sans cérémonie spécifique. On note aussi qu’il n’y a pas de cérémonie de consécration de la loge.
En 1760, alors qu’il existait deux Grandes Loges en Angleterre depuis une dizaine d’années, les « Modernes » et les « Anciens », parut The Three Distincts Knocks (Les Trois Coups Distincts). Ce texte décrit pour la première fois une cérémonie d’installation spécifique pour le Vénérable Maître. A cette époque, elle n’était pas encore secrète. Mais, pas plus que les Constitutions de 1723, Les Trois Coups Distincts ne donnent de cérémonie de consécration.
Cette cérémonie, distincte de celle de constitution d’une loge et de celle de l’installation du Vénérable Maître, apparaîtra, en effet, plus tardivement avec William Preston. Celui ci, personnage incontournable lorsqu’on étudie la fixation des rituels, des procédures et des cérémonies maçonniques anglais, est le premier à donner une description très précise de la consécration ou dédicace (dedication) d’une nouvelle loge dans les Illustrations of Masonry (1772-1775).
C’est dans la section VI que l’on trouve « les anciennes cérémonies de l’ordre ». La première concerne « la manière de constituer une loge [reprenant la formule de 1723] en incluant la cérémonie de consécration ». S’il se réfère implicitement aux Constitutions de 1723, c’est que Preston veut suggérer que la cérémonie de consécration, donnée ici pour la première fois, est, elle aussi, ancienne... Elle prend place entre la cérémonie de constitution et l’installation du vénérable maître.
Elle se déroule de la façon suivante : Le GM et ses officiers accompagnés par des hommes d’église éminents ayant pris leur place, et la loge [i.e. le tableau] ayant été placée au centre et recouverte d’un satin blanc, tous s’agenouillent. Une prière d’introduction est dite. Le Chapelain, qui est un ecclésiastique, procède alors à la consécration. Une musique solennelle est jouée, la loge est découverte (on retire le satin blanc qui couvrait le tableau) et une première prière est récitée. On répand de l’encens autour et sur la loge, puis une invocation est prononcée. La loge est alors de nouveau recouverte, les frères qui étaient restés agenouillés se lèvent, une musique solennelle est jouée, une bénédiction est donnée par le Chapelain, une ode est chantée. Les frères de la nouvelle loge s’avancent ensuite selon le rang qui leur est conféré pour rendre hommage entre les mains du GM. La cérémonie de consécration proprement dite est terminée. Le GM constitue alors la nouvelle loge et installe le Vénérable Maître.
Ainsi William Preston introduit dans le texte de 1723 une cérémonie de consécration. De plus, l’installation du Vénérable est devenue secrète. Ceci résume probablement l’évolution de ces cérémonies des années 1720 à 1770, et surtout à partir du tournant des années 1750 et l’apparition de la Grande Loge dite des « Anciens ».
Ces cérémonies vont continuer à évoluer. Avec l’Union de 1813, la maçonnerie anglaise se modifie radicalement. Les usages sont revus, reconstruits, réécrits. Les rituels sont totalement refondus et une maçonnerie nouvelle naît entre 1809 et 1820. Les cérémonies deviennent de plus en plus longues, compliquées et sophistiquées y compris l’installation secrète et la cérémonie de consécration.
Au terme de cette évolution, cette cérémonie a été finalement réécrite par George Oliver, auteur de nombreux ouvrages au milieu du XIXe siècle. Dans The book of the lodge, il décrit la cérémonie de dédicace ou de consécration d’une nouvelle loge. Il fixera ainsi ces usages maçonniques anglais qui, depuis lors, n’ont que très peu variés.
La cérémonie doit obligatoirement se dérouler dans un local proprement maçonnique à cause de la quantité de matériel utilisé et de l’organisation de deux processions. La première rassemble une trentaine de frères portant des bannières et des coussins sur lesquels sont posés le tableau de loge, les maillets, etc.. Lorsque le cortège est entré, le Grand Chapelain récite une prière et une bénédiction. Ensuite, à l’imitation des usages anciens, on proclame la volonté des frères d’être constitués en une nouvelle loge. Ceci étant accepté, la loge va être consacrée.
La seconde procession, restée dans les salles extérieures, entre à son tour. Elle est composée d’un Grand Porte Epée, d’un Passé Maître, d’officiers portant les Trois Grandes Lumières, de deux autres PM, d’officiers portant des vases contenant respectivement du sel, du blé, du vin et de l’huile et enfin du GM accompagné de deux intendants munis de leur canne. Le tableau de loge est recouvert et les frères font une procession autour. Le frère désigné à cet effet jette une pincée de sel sur le tableau. Le G. Chapelain prononce une invocation en se référant au sel et à la grande prêtrise d’Aaron. On procède de la même façon pour le blé – l’invocation rapproche le blé du thème de l’abondance et des vertus maçonniques d’amour fraternel, de bienfaisance et de vérité – on asperge ensuite le tableau de quelques gouttes de vin – l’invocation évoque le vin spirituel donné par Dieu – de même avec l’huile – ou huile de la joie et de l’Oint du Seigneur – et enfin une dernière invocation s’adresse au roi David dont le fils dédicacera le Temple – l’allusion est transparente. La cérémonie est alors terminée et le tableau est recouvert. On procède alors à l’installation secrète et, après cela, tout est achevé.
Si, aujourd’hui, la cérémonie de consécration d’une loge se pratique couramment en Angleterre, il faut rappeler cependant que :
- La consécration d’une loge est un usage tardif de la maçonnerie anglaise.
- Cette cérémonie est distincte de celle de l’installation du Vénérable Maître (même si elles ont lieu en même temps).
- Les sources de cette cérémonie sont inconnues.
- Cette cérémonie très complexe est devenue une sorte de grand-messe.
De plus, une nouvelle notion est apparue, selon laquelle l’endroit où se réunit la loge est un lieu spécifique, consacré et presque sacré. Cette idée récente est totalement étrangère aux origines de la franc-maçonnerie. Il n’en reste pas moins qu’elle connaît un grand succès. Mais, revers de la médaille, la consécration de la loge ainsi entendue pose problème dans les relations entre la GLUA et l’Eglise d’Angleterre. Cette dernière n’est-elle pas tentée de voir dans la Maçonnerie une pseudo-religion ? N’y voit-elle pas tous les éléments d’un culte religieux ? Des Temples, des autels où l’on invoque le nom de Dieu et qui plus est dans un lieu consacré ! Les maçons anglais ont beau répété que la Maçonnerie n’est pas un substitut de religion, ils ont visiblement du mal à faire passer ce message.
Discussion :
* Rappelons que stricto sensu, une Grande Loge ne crée pas de loge puisqu’au contraire elle est formée par la réunion de loges qui existent antérieurement à elle et dont elle tient son pouvoir. Ainsi, une Grande Loge ne fait que « régulariser » (ou constituer, c’est-à-dire donner des constitutions ou lettres patentes) les loges qui le demandent, et celles-ci sont alors rattachées au groupe qu’est une GL.
* La consécration d’une loge, c’est essentiellement la consécration d’un tableau puisque le tableau c’est la loge. Ce n’est, en aucun cas, la consécration d’un local. C’est seulement par extension fautive que l’on a eu tendance à penser que la consécration s’appliquait aussi au lieu où elle se déroulait mais c’est une erreur. Par ailleurs, la consécration, en anglais la dédicace, n’est pas spécifique à la Maçonnerie. C’est une cérémonie courante en Angleterre, et dont la symbolique se réfère à la symbolique propre à la société anglaise.
* Quant à l’origine de cette cérémonie dans la maçonnerie, il est certain qu’au cours du XVIIIe siècle, il y a eu une élaboration originale d’un certain nombre de procédures, administratives et rituelles, probablement à partir d’un substrat traditionnel qui nous est mal connu parce que coutumier et oral. Ce faisant, la Grande Loge de Londres a petit à petit conforté son pouvoir et l’a clairement manifesté dans des usages qu’elle a codifiés. Enfin, un événement important a peut être assuré le succès de cette cérémonie de consécration, c’est la dédicace, en grande pompe, du premier Free Mason’s Hall, siège de la GL, le 23 mai 1776.