INFORMATIONS BIBLIOGRAPHIQUES ET ACTUALITÉS DE LA MAÇONNERIE ANGLAISE

1999

A Reference book for Freemasons par Frederick Smyth

En 1955, Fred Pick et Norman Knight publiaient The Freemasons’ Pocket Reference Book, ouvrage qui se présentait comme une petite mais très utile encyclopédie de la franc-maçonnerie. Ce livre fut souvent réédité notamment sous le titre de The Pocket History of Freemasonry qui fut principalement l’?uvre de Frederick Smyth. Ce dernier nous propose maintenant le fruit de ces derniers travaux avec ce nouvel ouvrage qui fond un seul volume, mis à jour, les deux publications précédentes.

A la rubrique « Histoire de la franc-maçonnerie en France », p. 97, l’auteur rappelle la scission que connut la Grande Loge Nationale Française en 1958 (G.L.N.F. « Bineau » et G.L.N.F. « Opéra »), Smyth écrivant que : « il va sans dire que cette dernière n’est pas considérée comme régulière », puis « en 1968, quatre loges d’« Opéra » font une nouvelle scission et forment ce qui est appelé La Loge Nationale Française dont l’état présent n’est pas connu (sic), mais selon Hans-Heinrich Solf (A.Q.C. 91, p. 102), elle serait responsable de la publication de Renaissance Traditionnelle, une revue souvent citée (...) et dont on dit qu’elle est d’une excellente qualité maçonnique et intellectuelle ».

Ce livre est muni d’un index très pratique comme savent les réaliser nos amis anglais.

Un meurtre chez les francs-maçons par Mary London

Ce roman policier, racontant l’enquête de Sir Malcom Ivory à propos d’un meurtre mystérieux commis dans une loge, illustre, pour nous, la manière dont le grand public anglais considère la franc-maçonnerie et celle dont les maçons anglais regardent la franc-maçonnerie française. Ainsi, pp. 107-108, on peut lire ce dialogue entre Sir Malcom et le bibliothécaire de la G.L.U.A. :

« – Avez-vous connaissance que ce rituel écossais comporte (...) la présence d’une femme représentant Isis ?

– C’est dans un rituel de Memphis-Misraïm ! Un rituel irrégulier comme il y en a tant !

– Et dans le rite écossais, y a-t-il Isis, la Veuve ? insista sir Malcom.

– Pas que je sache. Non, c’est seulement dans un rite pseudo-égyptien tombé en désuétude. Ici, nous sommes des gens sérieux, vous comprenez... Cette égyptomanie est bonne pour des Français ! »

The Square, décembre 1998

Quelques dessins particulièrement suggestifs montrant des jeunes femmes très légèrement vêtues (pp. 202-203) permettent de mesurer le chemin parcouru en quelques années par la presse maçonnique anglaise. Il suffira, pour s’en rendre compte, de comparer ce numéro à celui de décembre 1987 où l’on voit en guise de couverture une photographie, en noir et blanc, représentant le très respectable Grand Maître Provincial du Derbyshire en compagnie du non moins respectable Révérend B. H. Lewis de la Cathédrale de Derby. Il est vrai que cette revue est « indépendante » depuis 1997.

Un autre indice de cette évolution réside dans le fait que l’on cite maintenant, depuis le numéro de septembre 1998 (p. 174) les « Fraternal Orders » à l’égal de la G.L.U.A. Dans cette liste on trouve donc l’«International Co-Freemasonry», l’«Order of Women Freemasons», etc.

Il devient chaque jour de plus en plus manifeste que les maçons anglais, tout en conservant les principes intellectuels, spirituels et traditionnels de la franc-maçonnerie britannique, s’intéressent à d’autres formes maçonniques, non reconnues par la rigide G.L.U.A.

Les compte rendus de la Loge de Recherche Louis Claude de Saint-Martin lettre Vav (octobre 1997-mars 1998)

Cette loge poursuit, entre autres, son étude du Guide du Maçon Ecossais.

La Grande Loge Unie d’Angleterre sur la défensive

Attaquée depuis de nombreuses années, la GLUA ne sait plus à quel saint se vouer. D’une part, voilà qu’une société philanthropique refuse un de ses dons au motif qu’elle n’est pas habilitée à recevoir des subsides de la part de «sociétés secrètes», d’autre part, elle se préoccupe maintenant des positions de l’Eglise Catholique, ce qui est assez surprenant de la part d’Anglais qui étaient, jusqu’à présent, profondément antipapistes (Freemasonry Today, hiver 1998-1999).

Par ailleurs, à la suite des récentes décisions du gouvernement britannique, les magistrats maçons se sont déclarés en tant que tels : sur 5000 juges, on en dénombre finalement 247. Mais ceci n’est pas du goût de tous les maçons qui, s’étonnant du silence de la GLUA, pensent que la Maçonnerie pourrait, elle aussi, constituer un lobby électoral capable de faire entendre sa voix et défendre ses intérêts.

Voici, par exemple, un lecteur qui a écrit à son « MP » (Member of the Parliement, ou député) pour lui dire qu’en tant que magistrat, il n’accepte pas de devoir se déclarer publiquement comme maçon (The Square, « To Register – or not », pp. 34-35, n° de mars 1999). Il affirme : « Mon député a été extrêmement surpris qu’il n’y ait pratiquement aucune action intentée par la GLUA. Selon son opinion, la GLUA semble désormais préparée à accepter n’importe quoi en attendant de voir [c’est le fameux « Wait and see »]. (...) Si on ne remédie pas rapidement à cette situation, la franc-maçonnerie va encore perdre plus de membres et d’autres ne la rejoindront jamais. » On nous explique ensuite qu’il a été décidé de publier cette lettre parce qu’elle reflète l’état d’esprit d’un très grand nombre de maçons et, s’adressant aux lecteurs de la revue, on les interpelle ainsi : « Avez-vous fait quelque chose à ce propos ? Avez-vous vu votre député ou écrit au ministère de l’intérieur (Home Secretary), au Lord Chancellor (chef de la magistrature anglaise) ou à quiconque peut avoir un rapport avec cette question ? Nous sommes, après tout, 350 000 et, si l’on prend en compte nos proches, nous pouvons arriver à un demi million de votes, et les politiciens sont réellement intéressés par les votes. »

Ce discours selon lequel la maçonnerie anglaise est une force politique est vraiment nouveau.

Régularité et reconnaissance

Sur ce thème inépuisable, on peut lire un article («Importance of Recognition» in Fremasonry Today) dans lequel l’auteur rappelle les 4 grands critères qui définissent, selon lui, une Grande Loge régulière:

  1. autorité incontestée de la GL dans sa juridiction,
  2. condamnation du racisme, de l’athéisme et de l’intolérance religieuse,
  3. l’obligation doit être prise sur un livre sacré,
  4. interdiction de discussions politiques et religieuses en loge.

Rappelons que les principes sur lesquels la GLUA s’appuie pour ses relations internationales furent établis en 1929, ce qui ne l’a pas empêché d’avoir, en ce domaine, une politique à géométrie variable et pour le moins bizarre.

Ainsi, pendant des années, elle a considéré comme régulière la Grande Loge Nationale Indépendante et Régulière pour la France et les Colonies françaises devenue la GLNF, alors que cette dernière était, jusqu’en 1965, une obédience composée à 90% de frères anglo-saxons. Que penser, dans ces conditions de l’autorité incontestée de cette GL dans sa juridiction ?

De même, à propos de racisme, il ne faut pas oublier que les GG LL d’Afrique du Sud qui excluaient les Noirs et les métisses, étaient « régulières » et reconnues...

Enfin, on remarquera qu’il règne un désordre certain au sein même du système de la régularité internationale puisque toutes les obédiences régulières ne se reconnaissent pas entre elles.

Jusqu’à présent, nos amis anglais se sont satisfait de ce système pour conduire leur politique internationale, mais combien de temps cela pourra-t-il encore durer ? Pourront-ils maintenir, par exemple, cette subtile distinction entre la « régularité » et la « reconnaissance » ?

Parmi les autres articles ou rubriques de The Square, on notera :

  • Une présentation de l’ordre de la Croix rouge de Constantin (pp. 12 et 13).
  • La rubrique de philatélie maçonnique qui est maintenant habituelle (pp. 16 et 17).
  • Les questions et réponses de la Loge Quatuor Coronati (p. 18). Dans ce numéro, on aborde la signification du mot « free » dans « freemason ».
  • Un reportage, lui aussi habituel, sur des locaux maçonniques en province (pp. 19-21).
  • Une rubrique qui essaye d’identifier des médailles par un appel au lecteur (p. 25).
  • Les visites des dignitaires maçonniques. Ici le Suprême Grand Ruler de l’ordre du Moniteur Secret qui s’est rendu en Inde (pp. 28-29).
  • L’enseigne de la taverne « A l’oie et le gril », lieu de la première réunion de la GL de Londres en 1717, a été restaurée (pp. 32-33).
  • Les adresses utiles (pp. 49-50) qui concernent maintenant non seulement les hauts grades et la co-maçonnerie, mais encore les ordres non maçonniques comme les Forestiers, l’ordre royal et antédiluvien des Buffles, etc. Ce sont de simples Friendly Societies ou mutuelles d’assurances qui ont cependant conservé un certain aspect rituel. Nous donnons, pages suivantes, deux études sur ces sociétés.

A Pragmatic Masonic History par Leo Zanelli in The Square, septembre 1998 (pp. 146-150), décembre 1998 (pp. 214-216) et mars 1999 (pp. 37-39). (Arch)

Véritable plaidoyer pour une histoire fondée sur les faits vécus et, partant, promotion militante de l’histoire scientifique, cette Pragmatic History reste néanmoins un travail de vulgarisation et est donc destiné à une large diffusion. Le fait qu’on puisse le lire dans un magazine comme The Square signifie que d’importants progrès sont en train de s’accomplir dans le domaine de l’histoire maçonnique.

A noter d’ailleurs que, dans un premier temps, on l’estima trop long pour être inséré dans The Square. Il fut d’abord publié aux USA dans la revue Philalethes. En raison du succès rencontré, on décida de l’insérer dans The Square, en trois livraisons dans une version « revue et corrigée ».

Il vaut la peine d’être étudié pour les raisons suivantes :

1. Son auteur n’est pas un inconnu. Il s’agit de Leo Zanelli, rédacteur en chef (editor) de The Square dont il signe régulièrement les éditoriaux.

2. C’est une tentative de mettre fin à la suprématie des « belles fables » qui entachent toute l’histoire maçonnique. Nulle part ailleurs qu’en Maçonnerie on n’éprouve un tel plaisir à fermer les yeux pour ne plus rien voir ou, comme dit Zanelli, « à se recouvrir les yeux de laine ». Si on veut valablement traiter d’histoire maçonnique, il faut nécessairement utiliser les outils que nous offrent la logique appliquée et la psychologie sociale, deux disciplines qui ont jusqu’ici généralement fait défaut à l’histoire maçonnique. A croire que c’est en Maçonnerie qu’on trouve la mémoire historique la plus courte. Selon Zanelli, le temps devient « immémorial » en moins de deux ans. En d’autres termes, Zanelli nous propose de renoncer aux « belles fables » quand nous voulons parler d’histoire. Il définit ainsi une authentique méthodologie scientifique appliquée à l’histoire maçonnique. Nous verrons que, dans le même esprit, Zanelli nous met en garde contre l’idée encore trop largement répandue de l’homogénéité des grades maçonniques. Nous le verrons aussi appliquer les règles de la critique textuelle à propos du manuscrit du Trinity College de Dublin (n° de septembre 1998, p 148).

3. La démarche de l’auteur est marquée à la fois :

– par une incitation à s’adresser aux sources. C’est notamment le cas pour les textes cités dans les Early Masonic Catechisms qu’il compare aux textes des Old Charges. Il voit dans ceux-ci des « pièces rares » de musées et dans ceux-là de « modestes feuillets portant des traces d’utilisation fréquente et qui sont, par conséquent, d’un intérêt supérieur ».

– par la mention bibliographique moderne.

4. On y observe l’absence de toute réserve nationaliste (souvent présente chez les historiens maçonniques anglais) quand il convient de reconnaître l’origine écossaise des premières Loges maçonniques.

5. Cette Pragmatic History surprend par l’importance accordée à Jean Théophile Desaguliers, présenté comme le principal introducteur du troisième grade. C’est Desaguliers qui institua la tenue de minutes de Loge, car précédemment la planche tracée n’existait pas et il est celui qui mit effectivement en place l’administration de la Loge. D’une minute de la GL du 24 juin 1723, Zanelli déduit que Desaguliers était désapprouvé par 50% de la GL parce qu’il « manoeuvrait en faveur d’un changement de direction ». Et Zanelli d’ajouter : « On n’aime jamais ceux qui veulent le changement ».

Analyse de l'article

1. Zanelli tente de définir ce qu’il appelle un « rituel pur et ancien ». Selon lui, un tel rituel doit nécessairement être le produit de la période fondatrice de l’institution maçonnique moderne, et on convient que c’est 1717, date de la création de la Grande Loge de Londres. Par honneur excessif à Samuel Prichard (Masonry Dissected), beaucoup de prétendus historiens prennent 1730, période des trois grades, comme point de référence. C’est une profonde erreur. Pour se faire une idée des premiers rituels de la Maçonnerie au 18e siècle, il faut se référer aux Early Masonic Catechisms réédités par Harry Carr en 1975, et non aux Old Charges qui apparaissent plutôt comme des règlements opératifs de corporation que les Loges maçonniques affectaient d’adopter par souci d’historicité. On trouve en effet dans les EMC des manuscrits de la fin du XVIIe et du début du XVIIIe siècle immédiatement antérieurs à 1717. Du porche de Salomon aux cinq points du compagnonnage, Zanelli énumère tous les traits rituels que les Maçons modernes peuvent parfaitement reconnaître. Et tout cela se trouvait contenu dans deux grades. A noter que la théorie des deux grades était déjà étudiée en 1925. Zanelli nous signale qu’il existe pourtant un manuscrit du Trinity College à Dublin au dos duquel est écrite, d’une main différente de celle du texte, la date de 1711. Cette date inscrite sur un document qui mentionne trois grades doit cependant, et jusqu’à preuve du contraire, être considérée comme douteuse.

2. En introduction à l’historiographie du troisième grade, Zanelli se réfère à Prichard et présente l’hypothèse d’une apparition de ce grade au cours de la période 1725-1730. L’auteur rappelle à ce propos les travaux de Murray Lyon (mort en 1903) qui attribuait à Desaguliers (particulièrement influent entre 1719 et 1726) et aux Maçons de la Royal Society la paternité d’un système en trois grades de la Maçonnerie symbolique. Comment fut introduit le troisième grade ? Comme la « renaissance » de quelque chose, puisque tous les grades en Maçonnerie, sont à leur origine déclarés « re-création ». On trouve ici un trait de « logique appliquée » recommandée par l’auteur. C’est pourquoi les apprentis historiens de la Première Grande Loge le présentèrent comme la « renaissance d’un système plus ancien ». La raison de ce troisième grade ? Peut-être une tentative de déchristianisation. Seul point de rattachement du troisième grade aux deux premiers : le Temple de Salomon. Et l’auteur d’ajouter que si le troisième grade s’était inspiré des Old Charges et notamment du Regius, la légende hiramique aurait pu se situer dans la Tour de Babel plutôt que dans le Temple !

Ce troisième grade fut une véritable révolution dans la Maçonnerie. Il déclencha des re-créations en chaîne, à tel point que vers 1800, il y eut des « centaines » de grades. Il faut dire que l’introduction de grades et d’ordres en général était devenue un phénomène à la mode.

3. Le quatrième grade fut créé dans les années 1730 : c’est le Royal Arch, très apprécié par les Maçons irlandais que l’on connaîtra plus tard sous le nom d’Antients.

En bibliographie primordiale pour ce qui concerne les Antients, l’auteur cite l’ouvrage de Henry Sadler, Masonic Facts and Fictions.

Selon Zanelli, l’explication du quatrième grade est simple. La Première GL a introduit le troisième grade où le mot était perdu. La logique était que l’on tentât de retrouver celui-ci. D’où la voûte et le Royal Arch. L’auteur nous rappelle que la trame historique (storyline) du Royal Arch était connue longtemps avant la création de ce grade au 18e siècle. Et de citer un article de Wallace McLeod, The Mark and the Royal Arch, qui a retrouvé chez Philostorgius de Capadoce, un auteur grec du 4e siècle de notre ère, un récit qui nous apprend que l’empereur romain Julien dit l’Apostat avait ordonné de reconstruire le Temple de Jérusalem et qu’au moment où on s’occupait des fondations, on s’aperçut qu’une pierre de base avait été déplacée et que cette ouverture donnait accès à une caverne. S’ensuit une descente dans cette caverne et la découverte au centre de celle-ci d’un bloc de rocher faisant saillie et d’un rouleau de parchemin où était écrit le premier verset de l’Evangile selon Saint-Jean.

Selon McLeod, c’est Louis Travenol qui a relevé cette histoire et l’a publiée dans sa révélation des prétendus secrets maçonniques...

Zanelli en conclut que les Antients, désespérant trouver une influence chrétienne à l’origine de la Maçonnerie, sont allés chercher dans l’Antiquité tardive grecque de quoi combler la lacune du nouveau troisième grade.

Comme il l’a établi en principe, l’auteur se réfère à la psychologie sociale propre aux 17e siècle finissant et au 18e siècle débutant pour dire que « la fièvre des grades et des ordres est un phénomène social ». La Première GL résista cependant pendant 70 ans avant d’admettre le 4e grade. Elle avait cependant « brûlé le fusible » en introduisant elle-même le troisième !

4. Les Antients ont commencé avec un 4e grade pour atteindre une structure de 26 grades et plus, en option. On les connaît grâce aux travaux de John Knight. Beaucoup de ces grades furent pratiqué par des Loges « modernes » qui, en l’occurrence, ne tenaient aucun compte de l’interdiction de la GL. Cette situation ambiguë déboucha en 1766 sur la rédaction d’un « charter of compact » et la création d’un Grand Chapitre du RA théoriquement indépendant de la GL. La forme sacro-sainte du « three degrees and no more » était ainsi sauve.

Certains ont prétendu que cette prolifération de grades était l’effet de l’imagination singulièrement fertile des frères. L’auteur ne partage pas cet avis. Il décèle une source unique en ce qui concerne la forme des obligations, etc. Il n’y voit aucune originalité. Ceci est également valable pour les ordres extérieurs à la Maçonnerie, comme les Gardeners ou l’Improved Order of Red Men américain. Toutes ces créations s’inscrivent dans les options en vogue.

L’opposition de la GL à cette prolifération de grades ne devait pas faiblir. Les « Modernes » prétendaient que les 3 grades étaient l’essence même de la vraie Maçonnerie. Au contraire les « Anciens » affirmaient que le RA était le coeur de celle-ci en même temps que la clé des grades chevaleresques... L’union de 1813 ne pouvait donc déboucher que sur un compromis, selon l’euphémisme de Zanelli, qui contient dans son fameux article II une contradiction fondamentale bien connue, et qui ne vaut que pour la Maçonnerie anglaise.

Ainsi la GL (« Moderne ») se résolut à admettre le Royal Arch mais inclus dans un système en 3 grades. Cependant, comme le remarque Richard Sandbach dans ses Talks for Lodge and Chapter, l’article II reconnaît aussi de facto la possibilité par les Loges et chapitres de pratiquer les divers grades des ordres de chevalerie a condition que cela se fasse « selon les Constitutions desdits Ordres », c’est-à-dire, en clair, en dehors de la GLUA.

5. Conclusions

a) Voici un schéma historique en 5 étapes :

  • La Maçonnerie comprend à l’origine 2 grades, originaires d’Ecosse. Elle se répandit progressivement en Angleterre, et c’est cette Maçonnerie qui existait au moment de la création de la GL en 1717.
  • En 1725, Desaguliers et les FF de la Royal Society décident de déchristianiser le cérémonial, peut-être pour l’ouvrir à d’autres Frères. Ils ajoutent un troisième grade situé dans le Temple de Salomon (souvent cité dans les Old Charges) avec le thème de la perte de la parole.
  • Les Antients ajoutent dans les années 1730 un quatrième grade, le RA, qui permet de « redécouvrir » la parole ; dans la foulée ils introduisent les grades chevaleresques, refusés par la GL (« Moderne »).
  • En raison de la popularité des grades des Antients, la GL créa en 1766 un Grand Chapitre du Royal Arch, ce qui permit aux « Modernes » de pratiquer les « grades des Antients sans enfreindre les dispositions de la GL ».
  • En 1813, avec l’union des deux Grandes Loges rivales, le RA est inclus dans le troisième grade de la Maçonnerie, tandis que les grades chevaleresques sont mis de côté.

b) En Angleterre, on considère donc les 3 premiers grades ou grades « bleus » comme « purs et anciens », ce qui est évidemment faux puisqu’il n’y a d’« anciens » que les deux premiers grades. Tout le reste est innovation.

c) Les deux premiers grades remontent à des sources certainement différentes de celles du troisième grade. Le RA, quant à lui, vient encore d’ailleurs. Il faut donc en finir avec la prétendu homogénéité des grades.

d) A en juger par les quelques manuscrits antérieurs à 1717, les rituels de la Maçonnerie originelle étaient simples et les cérémonies se pratiquaient sans pompe. On devrait y songer lorsqu’on constate un certain déclin de l’Ordre aux USA, en Grande-Bretagne, en Australie, etc.

e) Les auteurs des premiers rituels devaient avoir une formation classique solide (classical education) : la pensée de la Renaissance pétrie du savoir antique. Cette opinion est manifestement tirée des travaux de David Stevenson. Ainsi, les cérémonies maçonniques n’ont rien d’original. Tout a été puisé dans le passé. Les auteurs ont très peu ajouté à ce qu’on connaissait déjà. Zanelli signale aussi des emprunts à l’Antiquité chinoise notés par McBride dans sa Speculative Freemasonry et, fait important, il cite l’ouvrage de John Bunyan intitulé Salomon’s Temple Spiritualised (1688) dans lequel l’auteur, à propos des piliers du porche du Temple de Salomon qui sont appelés Jachin et Boaz, indique que Jachin signifie « établir » et Boaz « force ». C’est une telle littérature, nous dit Zanelli, qui influença les auteurs des premiers rituels.

f) Du point de vue de la méthodologie historique, les travaux se rapportant au rituel doivent être menés dans trois directions rigoureusement distinctes : les deux premiers grades (d’origine écossaise), le troisième grade (de Desaguliers) et le Royal Arch (des Antients). Vouloir intégrer ces trois unités dans un ensemble, c’est en revenir au sempiternelles légendes.

g) La recherche rationnelle en histoire maçonnique fait chaque jour d’énormes progrès. Un certain obscurantisme maçonnique affectait – et affecte encore très souvent – de dire qu’on ne sait rien de la première Maçonnerie, parce que rien n’existe. Nous savons aujourd’hui que cette affirmation est totalement fausse.

Discussion :

Certes le travail de Leo Zanelli est nouveau dans une revue comme The Square. Il est nouveau par rapport à la fiction entretenue envers et contre tout par la GLUA qui, en tant qu’institution, ne veut reconnaître que trois grades et trois seulement dans la Maçonnerie, bien qu’elle pratique elle-même le grade de l’Arc Royal (il est vrai seulement considéré comme un « supplément » au grade de Maître), et celui de Maître Installé.

Ceci étant, il faut constater que, sur le fond, Zanelli enfonce des portes ouvertes puisque ce qu’il écrit est étudié depuis plusieurs décennies dans la Quatuor Coronati Lodge n° 2076 qui publie les Ars Quatuor Coronatorum.

Nous sommes là en présence d’une caractéristique extraordinaire de la Maçonnerie anglaise. D’un côté, il y a la GLUA qui déclare imperturbablement que la Maçonnerie qu’elle pratique est « pure et ancienne » et de « temps immémorial ». De l’autre, l’érudition maçonnique anglaise, réunie dans cette unique Loge, qui dissèque la Maçonnerie, la démythifie, la démystifie, remet en cause à peu près tout, jusque et y compris la théorie de la transition d’une maçonnerie opérative à la maçonnerie spéculative. Mais ce travail n’a aucune incidence sur le fonctionnement de la Maçonnerie anglaise.

La véritable nouveauté ne consiste donc pas dans les propos de Zanelli mais dans le fait que certains Maçons commencent à prendre conscience de l’impact de toutes ces recherches (relatives à la complexité, la diversité, l’hétérogénéité des origines, des sources, des histoires) et se demandent si elles ne devraient pas conduire à remettre en cause l’édifice actuel de la Maçonnerie anglaise. Autrement dit grâce à l’histoire rigoureuse la compréhension de la Maçonnerie s’étant améliorée, ne faudrait-il pas, aujourd’hui, tenir compte de certaines de ces avancées ?

Quant au fond, on peut apporter de nombreuses critiques à l’article de Zanelli.

Par exemple, sa théorie de l’apparition du grade de Maître et du rôle de Desaguliers est simpliste et non démontrée. Au contraire, on sait parfaitement que le manuscrit Graham (1726) contient trois légendes qui, une fois réunies, constituent celle du grade de Maître. De plus, il y a de fortes raisons de penser qu’il y eût plusieurs grades de maîtres, en concurrence, dont l’un est devenu le grade de Maître Installé, et l’autre un des plus anciens grades de la tradition maçonnique française (Maître Parfait).

Par ailleurs, le Royal Arch est antérieur à l’apparition des Antients. Zanelli, ignorant largement la Maçonnerie continentale, ne mentionne pas l’existence de rituels de l’Arc Royal (« Royale Arche ») en français vers 1745 avant qu’il y ait des rituels anglais connus et avant même l’émergence des Antients ! L’origine véritable et les conditions dans lesquelles ce grade a été mis en forme sont donc complexes.

Au total, on constate que, après une critique en peu en surface de la Maçonnerie anglaise tant sociologique (avec les problèmes de recrutement, de vieillissement etc.) qu’« intellectuelle » (pourquoi apprendre par c?ur les rituels qui sont rédigés dans un anglais inadapté aux temps actuels ? etc.), commence à surgir une critique plus profonde et fondamentale sur la nature même la Maçonnerie anglaise. Et si cette Maçonnerie « pure et ancienne » ne l’était pas tant que cela ? Et si le système défini en 1813 n’était pas si traditionnel qu’on veut bien le dire ? Bref, voici que des Maçons anglais attaquent la GLUA sur son propre terrain celui de la rigueur, la « pureté » et l’« ancienneté » !