Origine et évolution des offices de la Loge et des dignités maçonniques en Grande Bretagne du XVIIe siècle à nos jours.
Roger Dachez 1998/99
LES OFFICES DE LA LOGE DE L'ECOSSE DE WILLIAM SCHAW A LA PREMIERE GRANDE LOGE ANGLAISE JUSQUE VERS 1750
N.B . Cette étude a été publiée dans la revue Renaissance Traditionnelle . Nous en présentons ici un premier aperçu.
Quelle est l'origine des offices d'une loge maçonnique ? Répondre à cette question, c'est nécessairement la mettre en rapport avec le système primitif des grades maçonniques et rechercher cette origine d'abord en Ecosse, à la fin du XVII e siècle, puis en Angleterre au début du XVIII e siècle.
Rappelons qu'en Ecosse au XVII e siècle, le système des grades est composé de deux étapes : 1° Apprenti Entré (c'est-à-dire un Apprenti qui a fait ses preuves pendant 7 ans environ comme Apprenti enregistré), et 2° Compagnon du Métier ou Maître (ce dernier état étant assez rarement atteint en raison de son coût). Par ailleurs, il existe deux types de structure dans cette Maçonnerie Ecossaise : 1° une structure civile, administrative et publique, l'incorporation ou la guilde des Maîtres qui gouvernaient la cité et l'emploi, et 2° une structure « secrète », propre au métier, la loge. Ces structures, indépendantes en principe, étaient, en réalité, complémentaires ce qui provoquait des rivalités et des conflits. Quoiqu'il en soit, l'incorporation est donc composée de Maîtres, maîtres qui possèdent dans la loge le grade le plus élevé que celle-ci puisse conférer, celui de Compagnon du Métier, catégorie dans laquelle sont recrutés les futurs maîtres de l'incorporation. On comprend ainsi que le titre de « Maître » n'est pas un grade de la loge mais une dignité civile que l'on acquiert par héritage, par mariage ou par achat.
Au début du XVIII e siècle, en Angleterre, dans les années 1720, un 3 e grade apparaît, le grade de Maître. Il est sûrement attesté en 1730 et la composition de ce grade purement anglais est le résultat de l'ajout d'une légende au 2 e grade, Compagnon du Métier, d'origine écossaise. Le nouveau 2 e grade anglais résulte, lui, d'une division du 1 er grade écossais. Ainsi, dans le système anglais, le titre de « Maître » est devenu un grade de la loge. Ce système est donc constitué comme suit : 1° Apprenti Entré, 2° Compagnon du Métier, 3° Maître. Mais le terme « Maître » va devenir rapidement ambigu puisqu'il va désigner aussi bien un grade, « Master Mason » ou Maître Maçon, qu'un office, le Maître de la loge « Master of the lodge » (office dont on sait par ailleurs que c'est aussi un grade)...
Les offices de la loge au XVII e siècle
Dans une loge de maçons « opératifs » en Ecosse au XVII e siècle, il y avait un président qui s'appelait le « Warden », le garde (la traduction par « surveillant » s'est imposée au début du XVIII e siècle seulement). Ce terme, « Warden » ou garde, se retrouve dans les organisations traditionnelles de métier. En Angleterre aussi, même si les organisations de métier (les « London companies », les guildes londoniennes, et notamment la compagnie des Maçons de Londres, « London Masons Company ») n'avaient plus, dès cette époque, l'importance de leurs homologues écossaises, elles élisaient cependant un président qui portait et porte encore le titre de « Warden ». Par contre, dans l'incorporation écossaise, le président s'appelait le « Deacon », le diacre, « l'envoyé » ou, dans le vocabulaire contemporain, le « délégué général ». Les rivalités entre l'incorporation et la loge expliquent que, dans quelques cas, on trouve aussi des « Deacons » dans les loges. A côté des offices de « Warden » dans la loge et de « Deacon » dans l'incorporation, on n'en connaît pas d'autres offices, en Ecosse, même s'il est probable qu'il y avait une sorte de secrétaire-trésorier, le « clerk », le clerc, extérieur au métier, mais dont la fonction était indispensable à la vie de la loge.
Les offices de la loge au début du XVIII e siècle (1717-1723)
Quand, où et comment le système écossais s'est transmis en Angleterre jusqu'à l'apparition des loges, puis d'une grande loge, avec ses offices propres, cela reste encore un mystère.
Le système de la Première Grande Loge, en 1723, est le suivant : le titre IV des Constitutions distingue, les Maîtres, les Surveillants, les Compagnons et les Apprentis. Ici, le terme « Maître » ne désigne pas un grade, qui n'existait pas encore, mais un office, le « Maître de la loge ». Il y a aussi un autre office : les Surveillants (« Wardens »). La hiérarchie ou le cursus maçonnique s'établit donc comme suit : on est d'abord Apprenti, puis Compagnon, grade qui est une qualification indispensable pour devenir, éventuellement, Surveillant puis Maître de la Loge, fonction supérieure à celle de Surveillant. D'ailleurs, il est prévu qu'en cas d'incapacité du Maître de la loge, c'est le « Senior Warden », c'est-à-dire, littéralement, « le plus ancien garde » qui le remplace, s'il n'y a pas d'ancien « Maître de loge », et, à défaut de « Senior Warden », on fera appel au « Junior Warden », le plus jeune garde. Notons que la traduction par 1 er et 2 e surveillant est fautive. Nous constatons ainsi qu'on distingue, qu'il s'agisse des Maîtres ou des Surveillants, les plus anciens et les plus jeunes. Faudrait-il voir, ici, l'origine du passage d'un « Warden » unique, à deux « Wardens » ? Le dédoublement des Surveillants (« Wardens ») serait donc le résultat de la prise en compte de l'ancienneté dans l'exercice de la fonction, exactement comme il existe un « Maître de la loge » et un « Passé Maître ». Bref, en 1723, la loge est présidée par un « Maître » assisté de deux Surveillants, le « Senior Warden » et le « Junior Warden ».
Mais, existe-t-il d'autres offices ? L'article 17 des règlements généraux de la Grande Loge distingue un Grand Maître, un Grand Maître adjoint, des Grands Surveillants, un trésorier et un secrétaire, ces deux derniers offices semblant encore être exercés temporairement.
En ce qui concerne la période inaugurale 1717-1723, nous manquons cruellement de documents puisque le registre des procès-verbaux de la Grande Loge ne commence précisément qu'en 1723, et ce n'est qu'en 1738 qu'Anderson a reconstitué les procès verbaux antérieurs. Il convient donc de manier ces textes avec prudence. Selon Anderson, il y avait, en 1717, un Grand Maître, Anthony Sayer, investi par le plus ancien des Maîtres de Loge présents. Il y avait aussi deux Grands Surveillants. Cet usage, un Maître et deux Surveillants, semble donc provenir des quatre loges fondatrices de la Première Grande Loge, et s'est conservé.
L'introduction du grade de Maître
Après 1730 et l'apparition du grade de Maître, il fallut modifier le contenu du titre IV des Constitutions. Le cursus maçonnique devint alors le suivant : Apprenti Entré, Compagnon du Métier puis Maître Maçon. Les Surveillants sont choisis parmi les Maîtres Maçons et pour devenir Maître de la Loge, il faut avoir été Surveillant. Le mot « Maître » désigne donc, à la fois, un grade et un office.
Et les diacres ?
Il n'en est jamais fait mention avant les années 1740, c'est-à-dire à une époque où les Irlandais commencent à se manifester. Ainsi, dans « la Maçonnerie disséquée » de 1730, comme dans le manuscrit Wilkinson ( circa 1727), ce ne sont pas les diacres qui accueillent le candidat, comme dans la maçonnerie anglaise contemporaine, mais le 2 e surveillant. Cette tradition passera d'ailleurs en France et subsiste dans le Rite Ecossais Rectifié. Ainsi, on constate que si l'office de « Warden », un office de la loge écossaise, s'est facilement implanté en Angleterre, par contre l'office de « Deacon », un office de l'incorporation, mettra plus de temps, sans doute parce qu'étranger aux organisation de métiers anglaises. C'est donc par le biais des Irlandais et de la Grande Loge des « Anciens » que cet office prendra pied, plus tard, en Angleterre. Mais y-a-t-il un rapport entre l'office écossais et irlandais ?
Le tuileur
Dès 1723 en Angleterre, Anderson, dans les Constitutions, fait allusion à un frère chargé de garder la porte de la Grande Loge mais, s'il désigne la fonction, il ne la nomme pas, ce qui sera fait seulement dans les années 1730. Pour autant, il n'est pas certain que cet office de Grande Loge existait déjà dans les loges particulières. Il semblerait plutôt que l'office de tuileur, comme peut-être d'autres offices, serait le produit d'une innovation de la Grande loge qui se serait répandu ensuite dans les loges voulant imiter la Grande Loge. Ce phénomène pourrait également s'observer en France. A ce propos, le mot et l'office de tuileur appliqués à une loge y sont attestés dès les premières divulgations des années 1740.
Cependant, la Grande Loge de Londres commence à s'intéresser à la mise en place du système des offices dans les loges puisque, dès le 24 juin 1727, elle décide, pour la première fois, que le Maître et les Surveillants de toutes les loges particulières devront porter les bijoux de la Maçonnerie pendus à un ruban blanc. Et le 17 mars 1731, on précise que les tabliers de cuir bordés de soie blanche seront réservés pour le Vénérable Maître et les Surveillants, tandis que la couleur des cordons et de la soie bordant les tabliers des Grands Officiers sera bleue, sans préciser la nature exacte de ce bleu. A partir de 1750, la Maçonnerie anglaise va connaître une situation radicalement nouvelle.
EVOLUTION DES OFFICES DE LA LOGE CHEZ LES « MODERNES » ET LES « ANCIENS » JUSQU'A L'UNION DE 1813
Nous avons vu que la structure de la franc-maçonnerie anglaise des années 1720 dérive globalement des structures de la maçonnerie écossaise du XVII e siècle. Nous ignorons cependant où, quand, comment et par qui s'est effectuée cette transmission 1. Par contre nous savons qu'il y eut, au cours de cette transmission, un certain nombre de modification dont les plus substantielles sont le fait que la présidence de la loge qui n'est plus confiée à un « Warden » ou à un « Deacon » mais à un Maître de Loge, et le fait que ce président soit aidé non pas d'un mais de deux assesseurs, les « Wardens ». Nous savons également que cette nouvelle structure (c'est-à-dire un Vénérable Maître et deux surveillants) va s'imposer. D'ailleurs, jusque dans les années 1740, c'est la seule connue, et c'est celle de la Grande Loge de Londres. C'est alors qu'apparaît un nouveau système, importé par des frères venus d'Irlande, qui ont des coutumes, des usages et des traditions propres. En 1751 puis en 1753, ces maçons constituent une nouvelle obédience, la Grande Loge d'Angleterre selon les anciennes institutions.
Ces maçons se désignèrent eux-mêmes comme « Anciens » (parce qu'ils prétendaient détenir une tradition plus ancienne que la G.L. de Londres) et attribuèrent à ces derniers, pourtant plus anciens qu'eux, le qualificatif péjoratif de « Modernes ». Cette dernière est plutôt appelée, aujourd'hui, « Première Grand Lodge ». En 1772, les « Anciens » dressèrent une liste des points de désaccord avec les « Modernes », dans laquelle on relèvera deux problèmes qui sont en rapport avec notre sujet :
Le Vénérable Maître
Les « Anciens » reprochent aux « Modernes » d'ignorer l'installation secrète du Vénérable Maître, considérée par les Irlandais comme fondamentale. Celle-ci, en effet, permet l'accès au grade de l'Arc Royal, grade qui est regardé comme le sommet de la Maçonnerie. Cette installation secrète, dont il n'existe pratiquement aucun témoignage avant 1760 en terre britannique, transmet un mot, un signe, un attouchement et est, en réalité, une sorte de super grade de Maître. Ainsi, chez les « Anciens », l'office de Vénérable Maître est lié à une cérémonie qui a la structure d'un grade : l'installation. Celle-ci s'imposera rapidement aux « Modernes ».
Les Diacres
Les « Anciens » reprochent aux « Modernes » d'ignorer l'office des diacres. Rappelons que les diacres existaient en Ecosse au XVII e siècle dans l'incorporation mais qu'on ne les retrouve pas en Angleterre en 1723. Ce sont des Irlandais qui implanteront l'office de diacre en Angleterre et ceci n'est pas étonnant puisque cet office est clairement attesté dans une loge en Irlande dès 1733 et, en 1743, au cours d'une procession maçonnique où les diacres défilent avec une sorte de bâton ou canne dorée. L'office de diacre devient donc en 1753, chez les « Anciens », un office à part entière de la loge, immédiatement placé dans la hiérarchie des offices après ceux de Surveillants 2.
Cependant l'origine de ces diacres venus d'Irlande reste un mystère. En effet, il n'y a aucun rapport entre le diacre écossais (qui est seul et qui dirige l'incorporation) et les diacres irlandais (qui sont deux officiers secondaires de la loge) malgré l'homonymie apparente 3.
Toujours est-il que cet office, inconnu des « Modernes », va progressivement s'implanter dans leurs loges. Les divulgations imprimées des années 1760, principalement issues de la tradition des « Anciens », y contribuèrent sûrement, si bien qu'avant l'Union de 1813, en 1810 et 1812, on trouve déjà des diacres dans les loges des « Modernes » 4. Ces diacres portent un bâton noir avec des bijoux argentés.
Le tuileur.
A l'origine, cet office (comme d'autres offices peut-être) fut très vraisemblablement une dignité spécifique à la Grande Loge. C'est seulement après, et sans doute par mimétisme, qu'il devint un office dans une loge particulière. Le tuileur 5, outre la fonction de la garde extérieure de la loge, a pour rôle d'aller remettre aux frères, et en main propre, les convocations. Il doit aussi tracer le tableau de loge 6. L'office de tuileur va progressivement évoluer pour devenir une sorte de concierge de la loge moyennant une petite rétribution, ce qui est toujours le cas en Angleterre. A côté du tuileur est apparu, après 1813, un couvreur, traduction plus qu'éloignée de « Inner Guard » ou garde de l'intérieur, office qui résulte tout simplement du dédoublement de celui de tuileur 7.
L'Union de 1813.
La structure de la loge, issue de cette Union, a emprunté la majeure partie de ces formes aux « Anciens ». Que ce soit dans le vocabulaire utilisé, dans la présence des diacres, dans la place des trois officiers principaux 8, les « Anciens » ont imposé leurs usages aux « Modernes 9 qui, il est vrai, les avaient déjà largement adoptés avant l'union. C'est donc à cette époque qu'a été fixé, et jusqu'à nos jours, le système des offices et des dignités de loge en Angleterre.
1 Le système écossais est encore présent dans le manuscrit Keavan (1714) alors que le système anglais est sûrement attesté dès 1723.
2 Une partie du rôle des Surveillants de la tradition des « Modernes » a été transférée aux diacres qui deviennent, en quelque sorte, leurs adjoints. Par exemple, ce sont les diacres, et non les surveillants comme dans la tradition des « Modernes », qui guident le candidat dans les voyages.
3 Rappelons encore que le diacre écossais est une sorte de délégué général alors que le diacre irlandais, à l'image du diacre de l'église catholique, a une fonction subalterne.
4 Au moment de l'Union, en 1813, il sera admis que l'office des diacres est non seulement utile mais nécessaire.
5 Le mot « tyler » apparaît pour la première fois dans les procès-verbaux de la Grande Loge en 1732.
6 Ces fonctions se retrouvent en France, Cf. Le secret des Francs-maçons de l'abbé Pérault.
7 L'office de couvreur est donc étranger à la tradition des « Modernes ». Par exemple, dans le Rite Ecossais Rectifié, dont la structure emprunte à celle des « Modernes », on constate que c'est le Maître des Cérémonies qui assurent les fonctions de couvreur.
8 Chez les « Modernes », les deux surveillants sont à l'occident alors que chez les « Anciens », il y en a un à l'occident et l'autre au sud.
9 On peut ajouter à cela, la question de l'installation secrète et celle de l'ordre des Mots sacrés.
LES GRANDES LOGES PROVINCIALES
Depuis le milieu du XIX e siècle, il existe, en Angleterre, des Grandes Loges provinciales. Ces GG LL sont dirigées par des Grands Maîtres provinciaux (nommés par le Grand Maître) et des officiers provinciaux qui portent des décors comparables à ceux des officiers de la GLUA, avec le fameux « garther blue », le bleu de l'ordre de la Jarretière. Les GG LL provinciales couvrent l'ensemble du pays, sauf la région de Londres directement administrée par la GLUA. Cette particularité met en relief la véritable fonction des GG LL provinciales. En effet, pour entrer dans le cursus honorum de la maçonnerie anglaise, il faut obligatoirement commencer par l'échelon provincial. Comme les frères londoniens en sont dépourvus, on a créé pour eux, au début du siècle, le London Rank puis le London Grand Rank , qui sont le strict équivalent d'une dignité de Grand Officier provincial dans le ressort de Londres. Chaque année on crée ainsi une soixantaine d'« active grand rank » et environ 200 « Past Grand Rank » 10 qui portent tous, évidemment, le « garther blue ». Ainsi, on constate que les offices provinciaux (ou leur équivalent) servent essentiellement à décerner des honneurs maçonniques 11 à des frères qui, par définition, sont tous des Passés Maîtres. Les GG LL provinciales ont donc un rôle beaucoup plus honorifique qu'administratif 12.
Historique des dignités de GL provinciales
Dans les Constitutions de 1738, on ne trouve aucune disposition relative aux Grands Officiers provinciaux (et encore moins aux GG MM provinciaux) alors que nous savons qu'il en existait déjà. Mais le fait qu'il y avait des GG MM provinciaux ne signifie pas du tout qu'il y avait des GG LL provinciales. La distinction est peut-être subtile mais elle n'en est pas moins réelle. Les GG MM provinciaux sont apparus avant les GG LL provinciales.
Très tôt dans l'histoire de la maçonnerie anglaise, on a nommé des dignitaires pour représenter le GM dans les provinces. Ces représentants étaient détenteurs d'une mission qui leur était confiée personnellement (c'était des députés GM pour les provinces), mais ils n'étaient pas à la tête d'une structure administrative régionale dont ils auraient eu à s'occuper.
Cet état de fait permet de mieux comprendre, au passage, une expression ambiguë et très souvent citée des Constitutions de 1738, à propos des pays étrangers : « toutes les loges étrangères [i. e. à l'extérieur de l'Angleterre] sont sous le patronage de notre GM mais, l'ancienne loge de la ville d'York et les loges d'Ecosse, d'Irlande, de France 13 et d'Italie 14 assumant leur indépendance [ affecting independency , c'est-à-dire affectant, se donnant des airs, assumant une indépendance] ont leur propre GM bien qu'ils aient la même constitution, les mêmes devoirs et les mêmes règles que nous et qu'ils aient un zèle égal pour le style d'Auguste et le secret de notre ancienne et honorable fraternité. »
Ce texte nous apprend que, à l'époque d'Anderson, il y avait deux types de GG MM. D'une part, il y avait des GG MM à la tête de GG LL « assumant leur indépendance » vis-à-vis de Londres et, d'autre part, des GG MM dans les provinces anglaises sous la dépendance du GM d'Angleterre. Ces derniers étaient GG MM intuitu personnae , en tant que personne, et n'étaient pas à la tête de GG LL provinciales. Ainsi l'expression « affecting independency » n'est pas une contestation de cette indépendance par Londres mais la constatation d'une situation différente de celle qui prévaut en Angleterre où les GG MM provinciaux dépendent directement du GM.
La première référence officielle à des GGMM provinciaux en Angleterre se trouve dans les minutes de la GL en 1747. A cette époque, dans la hiérarchie des dignités, ils se situent après les PP GG Surveillants et avant le G trésorier.
En 1756, dans le livre des Constitutions dites d'Entick (1 ère édition), on fixe des règles précises relatives aux GG MM et officiers provinciaux. On y lit : « L'office de GM provincial a été estimé particulièrement nécessaire dès l'année 1726 [notons qu'on ne dit pas qu'il existait des GG LL provinciales], lorsque l'augmentation extraordinaire du nombre des ouvriers [i.e. les hommes du Métier], et leur voyage dans des parties parfois très distantes du monde, a nécessité qu'ils aient à leur disposition un chef propre ». C'est donc en raison de l'éloignement des frères de la métropole que l'on a créé l'office de GM provincial pour leur donner un chef par députation. L'article II de ces Constitutions affirme que « la nomination de ce Grand Officier est une prérogative du GM qui lui accorde sa députation », et que « le GM provincial ainsi délégué est investi du pouvoir et de l'honneur d'un député GM ».
En 1756, l'institution des GG MM provinciaux est bien intégrée dans la maçonnerie anglaise et leur place dans la hiérarchie s'est élevée : le GM provincial se situe en 3 e position, juste derrière le député GM. Remarquons encore que dans ce texte de 1756, il n'est fait aucune mention à des GG LL provinciales ni à des officiers provinciaux. Etre GM provincial, c'est surtout posséder un titre, une dignité, équivalent à celle d'un député GM.
En 1767, dans la 4 e édition des Constitutions d'Entick, l'article II est modifié : « Le GM provincial, ainsi député, est investi du pouvoir et de l'honneur d'un GM dans son district particulier et est habilité à porter les décors d'un Grand Officier, à constituer des loges au sein de sa propre province et, en toute assemblée publique, de marcher juste après le G. Trésorier. Il a également le pouvoir de nommer un député, des surveillants, un trésorier, un secrétaire, un porte-épée, qui sont qualifiés pour porter les décors de G. Officiers tant qu'ils officient en tant que tels dans ce district particulier mais à aucun autre endroit. » A cette époque, commence donc à se constituer autour du GM provincial, une équipe de Grands Officiers. C'est un début de structuration.
Dans les Constitutions de Noorthouck de 1784, les GG officiers sont clairement désignés comme étant des éléments essentiels au fonctionnement d'une GL provinciale.
Ainsi, dans la période antérieure à l'union 1813, on peut distinguer deux phases :
1. la phase 1726-1767, au cours de laquelle il y a des GG MM Provinciaux, sans qu'il soit fait allusion à des GG LL provinciales ni à des GG officiers provinciaux.
2. la phase 1767-1813, où les GG MM provinciaux acquièrent le pouvoir de nommer des GG. Officiers provinciaux. Ceci suppose une ébauche de GL provinciale bien que l'expression « GL provinciale » n'apparaisse pas encore dans les textes. A ce moment, la GL provinciale n'est pas définie et elle n'a pas encore véritablement de structure ni de pouvoir.
A partir de l'union de 1813, la nouvelle GLUA se constitue. Les Constitutions William (de 1815 à 1827) précise alors que le GM provincial « tient [c'est-à-dire préside] une GL provinciale au moins une fois par an ». Mais on ne définit toujours pas ce qu'est cette fameuse GL provinciale.
Dans les années qui suivirent, les GGLL provinciales acquièrent leur forme définitive. Elles doivent se réunir une fois par an, les officiers provinciaux passés et actifs doivent y être présents ainsi que les vénérables, les passés Maîtres et les surveillants de toutes les loges particulières.
Une GL provinciale apparaît comme la réunion des GG officiers provinciaux (aux pouvoirs imprécis) auxquels on a adjoint tous les vénérables et les surveillants de leur district. Cet usage est fort ancien puisqu'il est observé à York et à Chester dès les années 1730. A cette époque, certains GGMM provinciaux tenaient l'équivalent d'une GL provinciale. C'était, en réalité, des réunions à périodicité indéterminée qui avaient lieu au sein de la plus ancienne loge en activité de la région. Lors de cette tenue, et pendant la durée des travaux seulement, la loge et ses officiers avaient une fonction provinciale. Notons que c'est ainsi qu'a fonctionné la GL des « Anciens » pendant les 3 premières années de son existence. De 1751 à 1753, ce qui s'appelait encore le « Grand Comité » (avant de devenir la GL des « Anciens », considérant qu'il ne s'appellerait Grande Loge que lorsqu'il aurait trouvé un frère noble pour le présider en qualité de GM) se réunissait une fois l'an dans une loge désignée par ordre d'ancienneté et était présidé par le vénérable de cette loge qui agissait en tant que GM pro tempore 16.
L'organisation des provinces est le dernier acte de l'évolution des dignités maçonniques anglaises. L'existence de ces échelons provinciaux n'empêche pourtant pas la GLUA d'être très centralisée et très hiérarchisée. L'histoire de ces GG LL provinciales montre bien qu'il s'agissait surtout, à l'origine, de donner des dignités à certains frères. Ceci est particulièrement frappant avec le cas de la région de Londres où l'on a créé de toutes pièces un substitut aux dignités provinciales. Les GG LL provinciales sont donc moins un échelon administratif qu'un échelon de dignités, dignités intermédiaires entre les dignités d'une loge particulière et les dignités de la GLUA. Cet élément tardif est sûrement dû au grand développement de la maçonnerie anglaise au XIXe siècle.
Conclusion
La formation du système des dignités et des offices de la loge dans le système anglais est quelque chose de complexe et encore partiellement obscur. On peut cependant dégager deux faits importants.
1. Même si les offices et dignités d'une loge anglaise des années 1720 sont très influencés par l'héritage écossais (dans le vocabulaire et dans sa structure), il n'en reste pas moins que des innovations majeures ont été introduites (ex : l'apparition de deux surveillants, le diacre).
2. Il est probable que certains offices de loges particulières (ex : tuileur) aient d'abord existé en GL avant d'être introduit en loge. Ce rapport GL/loge pose la question du statut réel de la GL fondée en 1717. Etait-ce une puissance régulatrice ou était-ce simplement la réunion des loges, puisqu'il est probable que ce n'est que plus tard, vers 1721-1723, avec l'entrée de l'aristocratie dans le maçonnerie anglaise, que la GL devient un pouvoir qui s'imposa aux loges particulières. Alors, les offices nouveaux qui apparaissaient nécessaires dans ces grandes réunions purent s'introduire ensuite naturellement dans les loges.
Discussion :
A propos des G. Stewards provinciaux.
La plus ancienne mention de tels officiers se trouve dans un document de 1786. Thomas Dunckerley 17 y écrit : « je donne le droit [aux frères de Bristol et de l'île de Wight] de nommer dès à présent un grand nombre de tabliers bleus et rouges. ». On sait que les GG stewards portaient des tabliers rouges. Ils avaient la charge d'organiser les banquets de la GL et en assumaient la responsabilité financière en cas de déficit, ce qui montre, soit dit en passant, que la GL ne se considérait pas comme une institution devant pallier aux éventuelles déficiences des loges 18.
10 Il existe donc deux types d'officiers provinciaux : les « Actives Grand Officers » et les « Past Grand Officers ». Ce dernier statut a, en réalité, pour fonction de récompenser certains frères. Pour l'obtenir, il n'est pas nécessaire d'avoir exercé les fonctions idoines. Cependant lorsqu'on l'a obtenu, on jouit des mêmes avantages (décors etc.) que ceux qui les ont réellement exercées...
11 et, théoriquement, aussi à installer des loges. Mais la plupart du temps, le GM provincial délègue cette charge au député GM qui la délègue lui même aux Assistants GM qui, eux-mêmes, la confie aux Vénérables Maîtres de la région.
12 L'administration locale réelle est assurée par une autre structure, les Loges de Maîtres installés qui sont des clubs régionaux de Vénérables.
13 On sait que les 3 premiers GGMM de la franc-maçonnerie française (duc de Wharton, Mac Leane, Lord Derwentwater) étaient anglo-saxons. On ne peut pourtant pas les considérer comme des « représentants » du GM d'Angleterre pour la simple raison qu'ils avaient été élus pas des frères français. D'ailleurs, ces loges étaient probablement plus franco-écossaise que franco-anglaise. C'est l'occasion de préciser que la fameuse « GL anglaise de France » chère à certains « historiens » n'a jamais existé. Il s'agit tout simplement d'une forgerie du chevalier de Beauchaîne (ou Beauchesne).
14 La première excommunication de francs-maçons par la papauté vient, entre autre, de la présence de loges en Italie.
15 Rappelons que dans le protocole maçonnique habituel, ce sont les plus élevés dans la hiérarchie qui sont en derniers.
16 La LNF fonctionne, aujourd'hui, de cette manière.
17 Personnage extraordinaire Thomas Dunckerley (1724-1795) fut, entre autre, Grand Maître provincial.
Sur les G. Stewards, cf. C. Mackechnie-Jarvis, « Grand Stewards 1728-1978 », in The Collected Prestonian Lectures, 1975-1987, volume 3 , London, 1988, pp. 54-82 et Colin DYER, The Grand Stewards and their lodge , publié par la loge des G. Stewards, 1985.