La vie et l'oeuvre de William Preston

Thierry Boudignon. 1997

L'intérêt que nous portons à la vie et l'oeuvre de William Preston peut sembler naturel dans une loge qui porte son nom et ses armes « d'argent à 3 têtes de licorne de sable ». Cependant, parmi les raisons que nous avons maintes fois signalées 1, il n'est pas inutile de rappeler que William Preston fut un personnage considérable dans l'histoire de la Maçonnerie anglaise et de l'Empire britannique. Non seulement il a largement façonné la maçonnerie de son temps mais il a aussi considérablement influencé la maçonnerie anglaise du XIXe siècle, voire du XXe (physionomie du rituel, symbolisme et manière de pratiquer la maçonnerie).

Il est le premier à avoir développé les significations morales des emblèmes maçonniques. Il a inséré dans les instructions un savoir et une érudition biblique, mythologique et classique, donnant à un noyau extrêmement rudimentaire un développement tel que la pratique des instructions finira par devenir lourde et difficile. Malgré cela, il est le grand propagateur de l'instruction maçonnique en Angleterre à la fin du XVIIIè siècle et, aujourd'hui encore, les instructions de la maçonnerie anglaise sont très largement influencées par William Preston.

Par le biais d'un auteur comme Thomas Webb,

il a aussi influencé la maçonnerie américaine, c'est dire, qu'au total, ce sont les ¾, voire plus, de la Maçonnerie du monde qui sont concernés.

Si nous ajoutons à cela que toute son activité s'est développée dans une période cruciale de la maçonnerie anglaise, c'est-à-dire la période qui devait aboutir à la formation de la G.L.U.A., ce qui sera une véritable révolution dans l'histoire maçonnique, et même s'il n'a pas participé directement à cette union, ni joué un rôle majeur dans la hiérarchie de la maçonnerie anglaise, l'on comprendra que l'étude de sa vie et de son oeuvre mérite d'être examinée dans le détail et, comme le disait René Désaguliers, le 6 décembre 1983, « elle doit être faite avec rigueur ».

Pour continuer cette étude, nous nous appuierons principalement sur l'ouvrage de Colin Dyer, William Preston and his Work.

Les premières années de la vie de William Preston (1742-1764) nous sont connues dans les grandes lignes. Rappelons-les :

Né en 1742 à Edinburgh (Ecosse), il aurait été doué très jeune d'une excellente mémoire et aurait fait des études classiques. Il aurait été le secrétaire de Thomas Ruddiman, un célèbre grammairien écossais, aurait participé à la publication du catalogue de sa bibliothèque ( bibliotheca romana ) et aurait appris le métier d'imprimeur auprès de Walter Ruddiman, frère de Thomas. En 1760, à 18 ans, il serait venu à Londres pour travailler chez William Strahan, imprimeur du roi. En 1763, à 21 ans ou un peu avant, il aurait été initié dans une loge dépendante de la G.L. des Anciens puis, plus tard, serait passé chez les Modernes.

Mais de quelles sources disposons-nous pour connaître tout cela ?

En 1927, Gordon Hills dans la conférence Prestonienne, intitulée Brother William Preston: an illustration of the man, his methods and his work 2, écrivait qu'il disposait comme principales sources d'information: 1. des propres écrits de Preston 2. des notes biographiques de Stephen Jones.

Ces notes de Stephen Jones ont paru pour la première fois dans le Freemasons' Magazine en janvier 1795, du vivant de Preston (celui-ci avait à ce moment-là plus de cinquante ans et une bonne partie de sa carrière maçonnique derrière lui). L'article s'intitulait Memoirs of Mr William Preston. Or qui est Stephen Jones ? C'était un de ses amis, et même un de ses admirateurs et il avait épousé la propre nièce de Preston.

Ainsi, les deux sources principales qui nous permettent de connaître la vie de Preston à cette période proviennent soit de Preston lui-même, soit de l'un de ses admirateurs. Ceci demande évidemment, un examen critique.

C'est ce que fait Colin Dyer, soixante ans plus tard. Il s'appuie sur les mêmes sources que Gordon Hills mais les enrichit, comme tout bon historien doit le faire, en les replaçant dans le contexte de l'époque.

Si nous passons de nouveau en revue quelques éléments biographiques, voici ce que nous constatons :

  • Preston serait né le 28 juillet 1742 ? On a pas encore retrouvé son acte de naissance.
  • Preston est considéré doué et intelligent dès son enfance ? Quel document pourrait le prouver ?
  • Preston aurait été élève de la Hight school i.e. l'école primaire, du collège et de l'Université d'Edinburgh ? Là non plus, on a pas retrouvé sa trace dans les archives de l'Université d'Edimbourg.
  • Preston aurait été secrétaire de Thomas Ruddiman ? Tout ce que l'on peut dire, c'est que si l'édition de Bibliotheca romana a bien eu lieu en 1757, rien ne prouve que Preston y ait participé. La seule relation que l'on peut attester entre Preston et Ruddiman est la publication, en 1758, par Walter Ruddiman de poèmes du père de William Preston.
  • Preston apprenant le métier d'imprimeur chez Walter Ruddiman ? On n'a pas trouvé son nom sur les registres d'inscription des apprentis et pourtant ce n'est pas une information exceptionnelle.
  • Preston partant à Londres à 18 ans, vers 1760, et recommandé à l'imprimeur William Strahan ? Pourquoi pas ?
  • Strahan imprimeur du roi ? En fait, c'est seulement en 1766 qu'il achètera une partie de la patente délivrée à Charles Eyre, imprimeur du roi.

Evidemment, toutes ces interrogations ne prouvent pas que tout est faux dans la biographie de William Preston (par exemple il a bel et bien appris le métier d'imprimeur) il n'en reste pas moins que l'on aimerait connaître quelques documents supplémentaires.

Les mêmes approximations existent lorsqu'on aborde les débuts de sa carrière maçonnique.

Preston aurait été initié en 1763 ? Il aurait été reçu dans la loge du Cygne blanc qui portera le n°111 de la G.L. des Anciens ? Il aurait même été la 2ème personne initiée dans cette loge qui n'était pas encore régularisée par la G.L. des Anciens ? Mais les archives de la loge ne nous sont pas connues et ce n'est que par les archives de la G.L. que l'on a pu déterminer approximativement sa date d'initiation (entre le 2 mars et le 23 avril, date de la délivrance de la patente). Mais ceci n'est qu'une déduction.

Preston serait passé chez les Modernes quelques années plus tard par le biais de la Caledonian lodge régularisée par la Grande Loge de Londres? En fait la loge n°111, celle qui aurait initié Preston, cesse ses activités l'année suivante, en 1764. De son côté, la Caledonian lodge est régularisée par les Modernes le 31 octobre 1764. Autrement dit, le transfert de Preston n'aurait pas eu lieu «quelques années plus tard » mais assez rapidement.

En réalité, il est donc difficile de se faire une idée exacte des premières années de la vie de William Preston. Les affirmations de Jones ne sont pas toutes vérifiées. Enfin, il écrit que Preston était très réticent à parler de lui. Ce trait, qui ajoute au mystère, peut nous surprendre pour un homme que l'on décrit par ailleurs comme une forte personnalité, apparemment conscient de sa valeur et de son influence.

Faut-il voir, dans cette « discrétion » attribuée à Preston, le souci d'écrire ou de réécrire son histoire sous le meilleur jour ?

Plus généralement, en histoire, quel que soit le sujet abordé, le problème des origines est toujours une question difficile qu'il faut traiter avec prudence. Nombreux sont les personnages importants de la maçonnerie sur lesquels on sait peu de choses. Et, souvent, faute de documents, on aime bien faire jouer son imagination.

Discussion :

- On remarque, en effet, qu'il y a des personnages plus ou moins célèbres dont on est incapable soit de prouver soit de dater l'initiation : Beyerlé, Lacorne, Louis XV, Napoléon Ier, Beethoven, etc.

- A propos d'une certaine « discrétion » attribuée à William Preston, on peut rappeler que ce dernier n'a jamais revendiqué ce que prétendait Jean Baptiste Willermoz. Celui-ci ne voulait pas que l'on dise que c'était lui qui avait rédigé les instructions secrètes des Profès et des Grands Profès et il refusait d'en être l'auteur, prétendant que ces textes lui avaient été transmis et qu'ils exprimaient un véritable rattachement traditionnel. Lui-même était convaincu, qu'en les écrivant, il ne faisait que mettre en forme un savoir traditionnel.

William Preston se place sur un autre plan. Il propose un système d'instruction qui se veut efficace, intéressant et spectaculaire, à l'image du chapitre des Harodim. Dans cette optique, la question de l'origine de ce système est tout à fait secondaire.

Quant aux déclarations de Preston relatives à un « retour à la tradition » et visant à redonner au Métier et à la « Société » sa dignité et sa grandeur, à retourner aux origines etc., c'est évidemment un point de passage obligé en maçonnerie. C'est aussi un point sur lequel les Anglais sont très sensibles. Tout est possible et respectable pourvu que ce soit « ancien », même s'il est bien évident que la caractéristique principale du système de Preston est la nouveauté aussi bien sur la forme que sur le fond.

- On peut effectuer un curieux rapprochement entre William Preston, Jean Baptiste Willermoz et René Guénon : c'est leur commune acceptation de l'authenticité du manuscrit Leland-Locke 3. Ce texte, qui est l'un des plus anciens canulars maçonniques, a dû son succès en grande partie à William Preston. C'est à cause de lui que ce texte a été connu de Willermoz qui l'a inclus dans la version définitive des instructions de la classe des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte de l'Ordre Intérieur du Régime Ecossais Rectifié. Ce texte y est considéré comme un texte d'enseignement traditionnel. René Guénon, lui aussi, a considéré ce texte comme authentiquement traditionnel. En particulier, il explique la fameuse faculty of abrac qui n'est en fait qu'un mauvais jeu de mot.

1 Voici les principaux travaux qui ont été consacrés à William Preston et à son oeuvre :

1. Par Pierre Gauchet :

  • 6 décembre 1983 « Les Illustrations de la Maçonnerie du F. William Preston »
  • 9 janvier 1984 « La vie de William Preston »
  • 4 juin 1984 « Qui était donc William Preston ? »

2. Par René Désaguliers

  • 23 octobre 1990 « Le système des instructions anglaises et l'oeuvre de William Preston » : présentation.
  • 26 mars 1991, suite : étude de rituels d'ouverture et de clôture des travaux au 1er grade.
  • 20 mai 1991, suite :étude des instructions par demandes et réponses du 1er grade.
  • 22 octobre 1991, suite.

René Désaguliers terminait ainsi son intervention : « ce qu'il faut dire et répéter avec force, c'est que ce qui est important, c'est d'être des Maçons traditionnels et authentiquement traditionnels. (...) Etre des Maçons traditionnels, en reconnaissant et acceptant nos différences, mais en étant d'accord sur la nature traditionnelle de la Maçonnerie, voilà un vrai et bon travail maçonnique qui va dans le sens de l'objet de la Maçonnerie et de sa dignité. » La dignité de la maçonnerie doit être la préoccupation de tout maçon.

3. Par Gérard Géfen

  • 3 février 1993, « Biographie de William Preston » : 1742-1772.
  • 15 mai 1993, suite : le gala du 21 mai 1772, au cours duquel Preston prononça un grand discours qui devait fournir la matière principale à la première édition des Illustrations of Masonry (1772)
  • 3 novembre 1993, suite : l'incident de la loge Antiquity n°1 qui allait conduire William Preston à quitter la Grande Loge de Londres dite des Modernes pour fonder sa propre obédience (1778).

Ces trois derniers travaux ont été publiés dans les comptes-rendus de William Preston du 1er trimestre 1993, p. 41-42, des 2ème et 3ème trimestres 1993, p. 48-50 et du 4ème trimestre 1993, p. 54-55. Vous les retrouverez réunis sur ce site sous le titre Biographie de William Preston

2 The Collected Prestonian Lectures, volume One, 1925-1960, p.1-30, Lewis Masonic, Londres, 1984.

3 Voir Renaissance Traditionnelle n°97/98, janvier-avril 1994, Un des premiers canulars de l'histoire maçonnique : Le Manuscrit LELAND-LOCKE (1753), par Roger Dachez, p.87-109 et sur notre site L'un des plus anciens canulars maçonniques: Le Leland-Locke Manuscript