La Loge des Grands Stewards

Roger Dachez 1995

Les archives de la G.L. de Londres nous apprennent que c'est en 1721 qu'apparaissent les premiers Stewards. Cette année-là, en effet, les Grands Surveillants se firent assister de Stewards, c'est-à-dire d'intendants, pour organiser le festival annuel de la G.L. Ce festival était une coutume d'origine puisque dès 1717 on avait pris l'habitude de se rassembler à la Saint Jean d'été au tour d'un grand banquet. Très vite, ce repas nécessita une solide organisation. Le système adopté est pourtant surprenant. Comme la G.L. n'a jamais voulu assumer les frais d'une telle fête, elle a demandé à des Frères, les Stewards, d'être caution pour elle et de supporter ainsi le poids financier de cette opération. Les Stewards paient le ou les traiteurs et se remboursent en vendant aux Frères des tickets couvrant les dépenses occasionnées. Mais si le nombre de tickets vendus est insuffisant les Stewards perdent de l'argent, ce qui est arrivé quelques fois. Ainsi depuis 1728, les Stewards organisent à leurs risques et périls financiers ce grand repas qui peut regrouper plusieurs milliers de personnes et s'en portent caution sur leurs deniers personnels. En 1728 douze Stewards furent nommés. Ils seront renouvelés annuellement.

Avec le développement de cette institution, on a conféré des honneurs particuliers aux Stewards en témoignage des services rendus. En 1731, ils reçoivent des décors spécifiques.

Alors que le G.M. et les G. Surveillants portent des colliers de soie bleue, les Vénérables et les officiers des loges, des colliers de soie blanche, les Stewards portant des tabliers et des colliers de couleur rouge et très précisément cramoisie.

En 1735, on leur accorde le droit de se constituer en loge, la loge des Stewards. On leur attribue un bijou particulier, dessiné par William Hoggarth, célèbre peintre et graveur anglais, lui-même Steward.

Peu à peu, il fut admis que chaque Steward parvenu au terme de son office auraient le droit de nommer son successeur. Cela eut pour conséquence que le recrutement des Stewards se cantonna dans certaines loges, les Stewards choisissant de préférence leur successeur parmi les Frères de leur propre loge d'autant que, souvent, celles-ci ont un recrutement sociologique caractéristique. Vers 1750, c'était 8 loges seulement qui nommaient constamment les 12 Stewards.

Ces loges ont reçu une appellation particulière Red Apron Lodges , les loges à tablier rouge qui étaient bien évidemment des loges aristocratiques d'un très haut niveau social et économique.

En 1779, sanctionnant un usage établi dès 1736, on stipula que la qualification de Steward était obligatoire pour devenir G. Officier de la G.L. d'Angleterre. Ainsi, la loge des Stewards devenait de facto une filière des G. Officiers.

En 1792, honneur insigne, on retira à la loge des Stewards son numéro 147 et on la plaça, sans numéro, en tête du tableau de toutes les Loges. Elle prit également le titre de Loge des Grands Stewards.

En 1813, on porta le nombre des G. Steward à 18 et pour la première fois, on dressa la liste officielle des 18 Red Apron Lodges autorisées à nommer chaque année chacune un G. Steward et si l'une d'entre elles venaient à faillir elle perdrait ce privilège. Cette mésaventure est arrivée une fois à la Loge Old King's Arms mais elle recouvrit son privilège en 1904 ce qui porte donc à 19 le nombre de Loges nommant un G. Steward aujourd'hui. Bien entendu, ces Loges sont parmi les plus anciennes, à commencer par la Loge du Grand Maître n°1, la Loge Antiquity n°2, etc.

Bien qu'en 1814, le duc de Sussex ait supprimé l'obligation d'être Steward pour être G. Officier, ce qui aurait écarté les Antients , la Loge des G. Stewards est restée une pépinière de G. Officiers. De plus, elle devint une Loge exemplaire sur le plan rituel. Elle organisa des soirées, des public nights , au cours desquelles on faisait une démonstration parfaite du rituel si bien qu'en 1821, lorsque la Loge de perfectionnement Emulation fut créée ( Emulation Lodge of Improvement ), elle déclara dans son manifeste fondateur qu'elle exécuterait le rituel conformément au système de la Loge des G. Stewards qui était devenue un véritable conservatoire de l'exactitude rituelle en Angleterre. Mais plus tard, en 1890, après quelques années de relâchement, lorsque la Loge des G. Stewards créa une Loge de perfectionnement, ce fut elle qui déclara, par un curieux retour des choses, qu'elle suivrait le rituel de la Loge de perfectionnement Emulation...

La Loge des G. Stewards est ainsi une institution typique de la Maçonnerie anglaise. On a vu comment s'est constituée, à partir d'un usage très matériel, une véritable aristocratie dans la G.L. et comment on passe progressivement d'un réel statut social aux honneurs de la G.L. puis de ces honneurs à une autorité morale et un prestige certains jusqu'à influencer le rituel. Ce glissement insensible d'une position sociale à une pratique rituelle est caractéristique de l'évolution de la Maçonnerie anglaise. Ceci nous permet de mieux comprendre la structure de cette Maçonnerie et ses blocages. La Maçonnerie anglaise a une dimension de distinction sociale, honorifique et de prestige qui prime et qu'il n'est pas question de mettre en doute. il faut admettre cela si l'on veut ensuite s'intéresser à autre chose.