INFORMATIONS BIBLIOGRAPHIQUES ET ACTUALITÉS DE LA MAÇONNERIE ANGLAISE
(Roger Dachez, Marc Mirabel)
1995
Le catalogue du libraire américain Kessinger
Le catalogue du libraire américain Kessinger (R.A. Kessinger Publishing/ P.O. Box 160, Kila, MT/ 59920 U.S.A.) propose des reprints d'ouvrages maçonniques classiques mais rares d'auteurs anglo-saxons du XIXè siècle comme John Yarker, Albert Pike, Leadbeater, Albert G. Mackey (1807-1881), Macoy, Mackenzie, Waite, Wescott etc., auteurs qui ont forgé la littérature maçonnique de ces pays.
Un autre catalogue, anglais, Toye, Kenning and Spencer présente divers décors maçonniques ainsi que l'édition des différents styles du rituel pratiqué en Angleterre: Emulation, Logic, Oxford, etc.
Ars Quatuor Coronatorum, n°106, année 1993, publié en octobre 1994.
Ce numéro contient plusieurs articles majeurs parmi lesquels nous retiendrons:
a) The origin of Free-Masonry: a new theory par Cyrill Batham. Dans la droite ligne des passionnantes recherches des origines de la Maçonnerie anglaise, cet article ne prétend pas offrir une théorie définitive mais plus simplement une nouvelle proposition.
L'auteur rappelle que la fameuse théorie dite de la transition, d'une maçonnerie opérative destinée
à réguler le métier de maçon à notre maçonnerie spéculative moderne, n'est plus recevable intégralement aujourd'hui, qu'elle est sans fondement documentaire en Angleterre et que les travaux de Stevenson ont montré qu'en Ecosse elle est aussi controuvée. On ne connaît aucun exemple qu'une loge écossaise opérative soit jamais devenue spéculative et même au contraire dans certains cas on a pu observer le mouvement inverse puisque certaines loges qui recevaient des maçons non-opératifs au cours du XVIIè siècle n'en contenaient plus un seul quelques années plus tard.
La théorie que propose C. Batham repose sur la connexion étroite qui existait à la fin du Moyen Age entre les loges opératives anglaises, le métier de maçon, et les monastères. Le poème Regius (circa 1390) nous en donne un témoignage documentaire puisqu'on a pu établir que cet "Ancien Devoir" est une copie d'un original rédigé vers 135O par un religieux d'un monastère du centre de l'Angleterre. Les communautés religieuses étaient en effet de très importants commanditaires de travaux que ce soit d'églises, de monastères ou d'autres bâtiments leur appartenant.
C. Batham écrit: Ma théorie est que dans les monastères anglais, il y avait une sorte de noyau intérieur, composé de frères instruits et d'un certain niveau social, au sein desquels on pratiquait des rites anciens. Lors de la dissolution des monastères par Henri VIII en 1538 suivie en 1547 par la confiscation des biens des communautés religieuses, ces noyaux ont survécu plus ou moins discrètement au cours du XVIè voire du XVIIè siècle et qu'à ce moment, les conditions étant plus favorables avec le retour d'une certaine paix religieuse et sociale, ils se sont de nouveau révélés, se sont développés et ont graduellement évolués vers la franc-maçonnerie spéculative moderne telle que nous la connaissons.
Naturellement, je ne peux pas prouver cela, je peux seulement établir que cela pourrait s'être produit mais de même qu'il n'y a aucune preuve de la théorie de la transition, il n'a aucune preuve d'aucune théorie des origines de la Maçonnerie qui ait proposée jusqu'à présent.
Cette théorie de C. Batham reste donc une hypothèse mais elle est intéressante en ce qu'elle souligne les relations qui ont existé entre le Métier, les guildes et les communautés religieuses ce qui est un aspect de l'histoire de la maçonnerie opérative en Angleterre comme dans d'autres pays.
b) Pure -and Accepted- Masonry, The Craft and the Extra-Craft degrees, 1843-1901 par James Daniel. Cet article a été analysé ici même.
c) Le franc-maçon régulier, une courte histoire de la régularité maçonnique par Michel Brodsky.
Premier Vénérable francophone des Quatre Couronnés, Michel Brodsky, membre de la G.L. régulière de Belgique, a été initié dans la loge Les Amis Philanthropes du Grand Orient de Belgique, une des loges les plus caractéristiques de la tradition maçonnique belge de laquelle il a gardé un souvenir ineffaçable.
Dans ce travail, l'auteur montre que le concept de régularité développé par la Grande Loge Unie d'Angleterre est une innovation extraordinairement récente mais c'est surtout un système dans lequel la Maçonnerie anglaise est tombée comme dans un piège. Jusqu'à la fin du XIXè siècle en effet il existait une conception de la régularité beaucoup plus souple et intelligente. Elle considérait qu'un Frère n'était pas représentatif d'une obédience mais d'une certaine conception de la Maçonnerie dont il portait témoignage. Ainsi lorsqu'un Frère se présentait dans une loge anglaise on ne lui demandait pas à quelle obédience il appartenait mais qu'elle était sa conception de la Maçonnerie et si celle-ci était compatible avec celle de la G.L.U.A., on l'accueillait. Ainsi on considérait non la régularité d'une obédience mais la régularité d'un Frère.
On voit donc que la notion de régularité a beaucoup évolué.
Serendipity par Harry Mendoza (Lewis Masonic books, 1995)
Cet ouvrage très bien illustré nous propose une découverte des loges et des chapitres de l'Arc Royal de la Grande Loge Unie d'Angleterre à travers leurs numéros, leurs noms et leurs bannières.
L'auteur, membre des Quatuor Coronati et spécialiste de l'Arc Royal, nous retrace d'abord l'histoire et nous explique le principe de numérotation et de renumérotation des Loges en Angleterre.
A travers une sorte de répertoire des Loges, il étudie ensuite leurs noms qui sont classés par thème. On rencontre soit des loges dont le nom est lié à des personnages de l'histoire romaine ou saxonne, soit des Loges ayant reçu le nom du milieu dans lequel elles recrutent, par exemple le milieu des assurances, des architectes, de l'aéronautique, le milieu ecclésiastique, la police (la Loge Stuart, n°1632, constituée en 1876, ou la Loge Justicia, n°2563, constituée en 1895, pour les Chiefs Inspectors of Police and above...), les employés de banque (la Loge Holden, n°2946, constituée en 1902, pour les Midland Bank employees, la Loge Lothbury, n°3612, constituée en 1912, pour les Barclays Bank employees, la Loge Dominicos, n°5262, constituée en 1931, pour les employees of Barclays Bank Dominion, Colonial and Overseas department, la Loge Black horse of Lombard Street, n°4155, constituée en 1920, pour les Lloyds Bank employees) etc.
Faut-il voir dans ce type de recrutement une dérive professionnelle et affairiste de la Maçonnerie? Nous remarquerons que cette pratique est courante en Angleterre où les associations professionnelles, militaires etc. sont extrêmement répandues.
Harry Mendoza continue sa liste avec des Loges portant des noms de rois, reines, ducs, princes, marquis, comtes et barons, d'autres portant des noms de saints, d'autres encore des noms d'écoles et d'universités (la Loge Apollo University, n°357, constituée en 1786 à Oxford).
Dans une troisième partie, apparaissent les badges et bannières de différentes loges. Chacun d’eux fait l’objet d’une étude spécifique accompagnée d’illustrations en couleurs.
Le volume est muni d'un index.
Masonic square (mars 1995)
a) Le débat sur une éventuelle simplification du rituel en Angleterre se poursuit dans ce numéro avec deux articles.
Le premier est signé de Pat Streams, l’initiateur de ce débat. Il propose à côté des workings bien connus (Emulation, Taylor, Stability, etc.), un rituel rénové, a stream-lined’ ritual.
Dans l’autre article, intitulé Un rituel modernisé est-il nécessaire?, N. G. MacLeod, membre de la Grande Loge d’Ecosse, répond à cette question par l’affirmative.
Une des raisons invoquées en faveur du changement est que les cérémonies sont trop longues et que le candidat n’a pas la possibilité de comprendre ce qu’il vit (no doubt most of what you have been taught tonight has gone straight over your head, p.22). On oublie ici que la cérémonie n’est pas seulement faite pour le candidat mais que c’est aussi et surtout une occasion donnée aux Frères de revivre ce qu’ils ont vécu et de mieux le comprendre. Néanmoins, l’auteur estime que nombre de candidats parviennent au grade supérieur sans rien savoir d’autre que le mot et l’attouchement.
De son côté, la Grande Loge Unie d’Angleterre considère que des rituels compliqués découragent trop de Frères qui ne peuvent progresser assez rapidement dans les filières des loges. Elle souhaite donc une Maçonnerie plus accessible.
Sans doute la G.L.U.A. a-t-elle un problème de recrutement, sans doute doit-elle faire face aux attaques des milieux fondamentalistes. Le mouvement amorcé en 1986 avec la suppression des châtiments dans le serment, visant à améliorer son image de marque, ne serait-il pas le premier acte d’un vaste mouvement de transformation dont la modernisation des rituels serait le second? Rappelons que l’Arc Royal aussi est touché par cette vague de modifications notamment par la suppression d’éléments essentiels.
C’est dire que nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Que va faire maintenant la G.L.U.A.?
b) A propos de régularité.
Le 14 décembre 1994, la G.L.U.A. a reconnu comme régulière la G.L. de Prince Hall du Massachusetts (p.37). C’est la première fois qu’elle enfreint d’une façon aussi spectaculaire le fameux principe de juridiction territoriale exclusive en admettant officiellement deux G.L. régulières dans un même pays, une G.L. dite Caucasienne c’est-à-dire blanche et une G.L. de Prince Hall, noire.
Nous suivons cette évolution depuis que les G.L. du Canada avaient décidé de reconnaître les G.L. de Prince Hall sans qu’elles s’attirent les foudres de la G.L.U.A. Certes, le système de la régularité internationale, tel qu’il est défini par la G.L.U.A., ne va pas s’effondrer instantanément mais il est très probable qu’il va s’effriter petit à petit jusqu’au moment où la G.L.U.A. se décidera à reconnaître plusieurs G.L. régulières dans un seul pays.
Masonic Square (n°s juin et septembre 1995)
a) les nouveaux articles de Pat Streams.
Depuis un an environ, Pat Streams, dans sa rubrique Point of view, développe l’idée qu’il faut simplifier les rituels. Il lance aujourd’hui d’autres innovations.
Dans ces numéros, il aborde le Royal Arch Problem. Il propose de dispenser les frères de l’obligation d’être Maître Installé pour devenir Principal d’un Chapitre, et tout l’article est écrit dans un esprit très progressiste.
Par ailleurs, il traite du problème des Passés Maîtres qui sont, selon lui, en trop grand nombre dans les Loges anglaises. Il pense qu’il serait bon de les motiver en les nommant Chief Stewards.
b) l’évolution de la Grande Loge Unie d’Angleterre.
Nous avons remarqué que, depuis dix ans, la G.L.U.A. s’est engagée dans une voie de réformes profondes. Cela a commencé avec la suppression des châtiments physiques de l’obligation et leur transfert à un autre moment de la cérémonie. Il y a eu ensuite de très sérieuses altérations touchant le coeur même du rituel de l’Arc Royal et maintenant il y a, dans ce magazine « politiquement correct », cette série d’articles avançant des propositions dans tous les domaines.
Il semble que cette évolution soit une réponse à l’un des principaux problèmes auquel est confronté la G.L.UA. à savoir les difficultés de recrutement. Dans cette optique, on pense qu’il faut faciliter la vie des frères. Par exemple en simplifiant les rituels, jusqu’à proposer la publication d’un rituel résumé en basic English, ou bien en voulant accélérer la progression des frères dans les « filières » anglaises.
Ce faisant, la G.L.U.A. s’engage dans une voie extraordinairement dangereuse car, pour des raisons qui tiennent à son effritement sociologique, elle commence à évacuer petit à petit les piliers traditionnels de la Maçonnerie et elle se vide progressivement de son contenu. De ce point de vue, on peut se demander, en forçant à peine le trait, si on s’intéresse encore à la tradition maçonnique en Angleterre... On pourrait d’ailleurs étendre cette question à d’autres pays du monde. Ce qui est certain, c’est qu’il faut maintenant abandonner l’idée d’une Maçonnerie anglaise garante de la tradition et de la régularité maçonniques. Signe des temps, même la célèbre Loge des Quatre Couronnés a du mal à recruter.
c) la réforme des rituels.
Apparemment, le mouvement de simplification des rituels vise d’abord les discours, que l’on juge trop longs, voire ennuyeux, par exemple ceux de l’initiation, de l’explication du tableau, etc. Certes, ils sont issus d’une certaine tradition bien pensante et, pour tout dire, sont dans le style plutôt dépassé des sermons du XIXè siècle mais, au delà de la forme, c’est bien le fond des rituels qui est touché. Outre les deux modifications importantes déjà signalées, Pat Streams propose de réduire le texte de l’obligation déjà sérieusement amputé. De plus, il faut considérer que les cérémonies de la Maçonnerie anglaise -et particulièrement dans les trois premiers grades- ne contiennent aucun habillage symbolique (pas d’éléments, pas de voyages mais de simples pérambulations, pas d’épreuves, pas de symboles comme dans les rites continentaux). L’essentiel réside donc dans les discours et c’est la raison pour laquelle ils sont si abondants. En les réduisant, on peut légitimement s’interroger sur ce que deviendront ces cérémonies.
Et surtout, quoiqu’il advienne de ce mouvement, il convient de noter l’état d’esprit dont cela témoigne: une désinvolture considérable et un défaut d’intérêt complet à l’égard de la tradition maçonnique. En effet, on ne se demande pas si les modifications opérées sur les rituels au moment de l’union de 1813, modifications qui ont occulté un certain nombre de significations fortes de cette tradition, sont encore légitimes aujourd’hui. Ne conviendrait-il pas de les réexaminer et de retrouver des significations plus claires, présentes dans la Maçonnerie anglaise du XVIIIè siècle ? Or, personne ne soulève ce vrai débat. Il ne s’agit que de rendre les rituels plus faciles et plus rapides d’exécution.
d) le recrutement.
Quant au problème du recrutement qui préoccupe si grandement la G.L.U.A., Pat Streams l’aborde dans le n° de septembre, d’un point de vue uniquement quantitatif. Se citant lui-même en exemple, il indique qu’il a proposé, au cours de sa carrière, une vingtaine de candidats, en attendant mieux.
Il ne faut pas oublier que la G.L.U.A. est une grande institution avec un patrimoine immobilier fort important. La baisse de ses effectifs ne peut que poser d’énormes problèmes matériels.
Nous avons aussi remarqué qu’une question d’argent peut décourager et a découragé les frères ou de futurs frères, surtout dans les grandes villes et particulièrement à Londres. En effet, le rite anglais comprend un banquet rituel qui a souvent lieu dans de grands hôtels. Le coût de ce type de banquet s’élève à 30 ou 40 Livres, ce qui équivaut, pour un revenu français équivalent, à 350-450 francs. C’est donc très onéreux surtout si l’on songe qu’un frère peut appartenir à plusieurs loges.
e) la Maçonnerie et la société britannique.
La Maçonnerie ne vit pas en vase clos, elle participe étroitement à la société dans laquelle elle vit. Or, la société britannique, qui est une des dernières sociétés européennes à reposer sur des fondements traditionnels dans un certain nombre de domaines, est en train de se transformer.
Il est sans doute encore difficile d’apprécier ce changement car elle s’est déjà beaucoup transformée par le passé. Il y a des différences considérables entre les grandes villes et le reste du pays dans les styles d’habitats, le mode de vie, les habitudes culturelles etc., et ces différences semblent se creuser encore. Ceci peut engendrer de vifs débats au sein de la G.L.U.A. d’autant plus qu’ils seront fondés sur des concepts de société, de convivialité vraiment dissemblables.
Mais quoiqu’il en soit, parce qu’elle constitue un pilier de cette société traditionnelle et conservatrice, la Maçonnerie, après l’Eglise d’Angleterre, connaît des difficultés.
Depuis une dizaine d’années, même l’Eglise d’Angleterre réserve son attitude vis-à-vis de la maçonnerie. Certes, ceci est lié à des problèmes intérieurs à l’église d’Angleterre et à un certain glissement politique. Elle a admis l’ordination des femmes, ce qui a entraîné et entraîne un grand nombre de conversions au catholicisme (2000 par an) et le départ d’une frange conservatrice.
Toute proportion gardée, la G.L.U.A aurait avantage à avancer avec prudence dans les réformes, si elle ne veut pas voir, elle aussi, une aile conservatrice la quitter pour un retour aux traditions antérieures.
Pour en revenir aux rapports entre la société et la Maçonnerie, l’évolution morale et sociologique de l’Angleterre n’échappe pas au monde moderne même si elle a mieux résisté qu’ailleurs. Les vertus morales et civiques si prisées en Angleterre sont à leur tour battues en brèche alors qu’elles sont toujours honorées dans la Maçonnerie et rappelées dans les rituels. Il est indéniable que la Maçonnerie anglaise est proche d’un courant de pensée plutôt conservateur. D’ailleurs, l’antimaçonnisme est ici de gauche. Or toutes ces valeurs morales, familiales, religieuses, patriotiques étant en perte de vitesse, les organismes qui les défendent, que ce soit l’Eglise d’Angleterre ou la G.L.U.A., le sont aussi. C’est le même problème aux Etats-Unis.
La franc-maçonnerie anglo-saxonne et les femmes par Andrée Buisine, Ed. Guy Trédaniel
Historienne et angliciste, l’auteur étudie la maçonnerie féminine anglaise. Si elle est constituée aujourd’hui de 5 organisations, son origine remonte au « Droit Humain » qui a été installé au début du siècle en Angleterre sous l’influence d’Annie Besant, fille spirituelle de H.P. Blavatsky. Ceci explique que la Maçonnerie féminine anglaise a été très théosophiste d’inspiration et, dans une certaine mesure, l’est restée.
Ce livre intéressant est le résumé d’une thèse examinant aussi les ordres paramaçonniques qui, en Angleterre comme aux Etats-Unis, ont leurs pendants féminins (ex les Shriners).
Parmi les photos publiées on voit Annie Besant, lors qu’elle était retirée à Adyar (Inde) au siège de la Société Théosophique, en sari et avec ses insignes de 33è., ainsi que Miss Bottwell-Gosse, très liée aux Operatives de Stretton dont l’héritière spirituelle est Marjorie Debenham (1893-1990), fondatrice de The Order of Ancient Free-Masons for Men and Women. Une Loge française rattachée à cet Ordre existe à Paris.
Au total ce monde mal connu est bien exploré dans ce livre.
Renaissance Traditionnelle, n°101-102 (26ème année, janvier-avril 1995)
Cette revue nous propose un article de Yves Hivert-Messeca A propos des Quatre Saints Couronnés qui se retrouvèrent treize, étude sur les source de la légende des Quatre Couronnés, légende du Métier très importante en Angleterre.
Les Pierres de la franc-maçonnerie, de la première pierre à la pierre triomphale par René Désaguliers, Ed. Dervy, Collection Renaissance Traditionnelle
Cet ouvrage est la reprise d’une série d’articles fondamentaux que l’auteur avait publiés dans la revue Renaissance Traditionnelle qu’il avait fondée. Il renouvelle radicalement la recherche sur le symbolisme des pierres et amorce ainsi une véritable redécouverte de la tradition maçonnique.
The Freemasons par Eugen Lennhoff. Lewis Masonic
Cet ouvrage est la réédition anglaise d’un grand classique de l’histoire maçonnique écrit en Allemand en 1928. A l’époque, l’auteur était Souverain Grand Commandeur du Suprême Conseil du Rite Ecossais Ancien et Accepté pour l’Autriche. La mise à jour de l’ouvrage est sommaire, mais cela n’enlève rien à sa valeur intrinsèque.
Ancient and Accepted par John Mandleberg. Q.C. Correspondence Circle
Publié à l’occasion du 150è anniversaire du Suprême Conseil d’Angleterre, cet ouvrage de quelque 1200 pages est une somme sur l’histoire du Rite Ecossais Ancien et Accepté en Grande-Bretagne (en Angleterre on l’appelle Rose Croix et aux U.S.A. Scottish Rite). Il est établi à partir des minutes du Suprême Conseil (bien que les archives de 1845 à 1854 aient disparu) avec un luxe de détails assez extraordinaire, ce qui en fait une chronique extrêmement documentée. Mais c’est bien de l’histoire du Suprême Conseil d’Angleterre depuis 1845 qu’il s’agit et non de l’histoire du R.E.A.A. en général, comme le titre pourrait le suggérer.
En effet, il ne faut pas oublier que le premier Suprême Conseil (celui de la juridiction sud des Etats-Unis d’Amérique) fut formé en 1801 et qu’une patente a été délivrée à Alexandre François Auguste comte de Grasse-Tilly, dès 1804, comme Souverain Grand Commandeur du Suprême Conseil de France.
A cette époque, ce système regroupait trente grades (des 4ème au 33ème d’aujourd’hui) et ne comportait pas de grades bleus spécifiques.
L’origine des trois grades bleus symboliques, en France, est une autre affaire que l’on peut rappeler brièvement. En 1804, lors de sa constitution, le Suprême Conseil de France a immédiatement passé un accord avec le G.O.D.F. qui gouvernait les trois grades symboliques. Cet accord s’appliquait jusqu’au grade de Rose Croix puisque le G.O.D.F. gérait également les chapitres du rite français, le suprême Conseil se réservant les autres grades. Cette situation ne dura pas. Après la rupture, le Suprême Conseil s’est trouvé dans la nécessité d’administrer des Loges bleues relevant de sa juridiction. Or à ce moment-là, les frères qui pratiquaient le R.E.A.A. étaient évidemment originaires de loges bleues du G.O.D.F. travaillant au rite français, de même qu’outre-Atlantique, on mettait en oeuvre les grades bleus de la maçonnerie anglaise dite des Anciens. C’est alors que le Suprême Conseil de France fut dans la nécessité de créer, pour ses loges, un rite différent du rite français. Pour cela, on s’est très largement inspiré du rituel anglo-saxon des Anciens qui a été mixé avec des usages de la maçonnerie française. Le tout fut publié dans le Guide des Maçons Ecossais dont la date de 1804 a été récemment authentifiée, et qui est le prototype des grades bleus du R.E.A.A., même si les actuels grades bleus sont très différents.
Dans la plupart des autres pays du monde, cette question des grades bleus était sans objet et le R.E.A.A. est resté ce qu’il est historiquement et traditionnellement, c’est-à-dire un système de hauts grades.
En Angleterre, il y eut un problème d’une toute autre nature. Le duc de Sussex s’était fait attribuer par le Suprême Conseil américain, une patente de Souverain Grand Commandeur du Suprême Conseil pour le Royaume-Uni, patente qu’il n’a jamais utilisée.
Pourquoi? Celui-ci s’était engagé dans une aventure fondamentale: la déchristianisation de la Maçonnerie anglaise. Or, les systèmes de hauts grades les plus importants à cette époque, le R.E.A.A. qui montait en puissance et les Knights Templars (Les Chevaliers Templiers) ont une caractéristique principale, celle d’être des systèmes chrétiens (Christian Orders). En Angleterre, pour accéder au 18è grade, c’est-à-dire Rose Croix, il faut faire publiquement profession de foi chrétienne. Cela n’était pas compatible avec les objectifs de déchristianisation du duc de Sussex ni avec sa politique d’affermissement de la G.L.U.A. dans les premières années de son existence. C’est la raison pour laquelle, après avoir obtenu les dignités éminentes dans les deux systèmes, il les mit en sommeil, et ce n’est qu’après sa mort (en 1843) que ces organismes ont repris un fonctionnement normal. Les fondateurs du nouveau Suprême Conseil en 1845, Crucefix, Oliver et autres étaient, on s’en doute, ses adversaires.
Système de hauts grades, comme nous l’avons dit, le R.E.A.A. put alors s’installer en Angleterre sans difficulté puisqu’il ne faisait aucune concurrence à la G.L.U.A. qui gère les grades du Métier. Et ce, d’autant plus facilement, que les hauts grades ont aussi été crées et entretenus pour des raisons de statut social. Nombre de Frères qui participent à l’administration du Suprême Conseil, sont comte, marquis etc.
Un accord fut signé entre les deux organismes. En outre, en 1845, des rapports se sont établis surtout avec les Français.
Pour toute la période antérieure à 1845, John Mandleberg renvoie au livre de A.C.F. Jackson Rose Croix.
Dès que le système s’est développé, il fut confronté à un grand nombre de problèmes qui sont traités à la manière anglo-saxonne, ce que cet ouvrage montre parfaitement.
Nous constatons d’abord que nos amis anglais font preuve d’un esprit extraordinairement procédurier, notamment à travers les accords que le Suprême Conseil passent avec d’autres Suprêmes Conseils ou avec d’autres systèmes de hauts grades. Qui imaginerait que Les Plaideurs se jouent au 10 Duke Street à Londres?
Par ailleurs, le Suprême Conseil tient absolument à marquer ses limites sur le plan géographique. C’est le problème de la détermination des souverainetés qui se pose surtout à partir de la réunion de Lausanne en 1874 qui établit la règle d’un seul Suprême Conseil par pays. On imagine les difficultés de l’application d’un tel principe pour des pays qui n’avaient pas encore réalisé leur unité. La réunion de Lausanne sera, en fin de compte, un échec. A l’intérieur du Royaume-Uni, des affaires délicates sont abordées avec l’Irlande et l’Ecosse. Elles ne se résoudront que très difficilement.
Au point de vue de la détermination des compétences symboliques par rapport aux autres systèmes de hauts grades, tout le souci du Suprême Conseil anglais va être de conclure des accords (ou de les dénoncer) avec des organismes comme par exemple la Croix Rouge de Constantin (The Masonic and Military Order of the Red Cross of Constantine). Ceci se complique encore avec la naissance, en son sein, de la Societas Rosicruciana in Anglia en 1865. Dès le début, le Suprême Conseil rompt les relations. Cependant, en raison du rayonnement que cette société va acquérir (notamment dans le domaine littéraire, à l’image des rose-croix littéraires que l’on connaît en France à la même époque avec Joséphin Péladan), la situation ira en s’améliorant.
Enfin, il y a la question des qualifications nécessaires pour recevoir ces grades. En Angleterre, il faut être chrétien pour devenir Rose Croix. Dès lors, que faire des Frères qui ne croient pas en la Sainte Trinité? On devine les conséquences pour les frères Juifs, les Hindous, mais aussi pour les Unitariens.
En 1877, après une longue et minutieuse enquête sur les décisions du convent du G.O.D.F. et ses conséquences, c’est la rupture avec le Suprême Conseil Français. Cette décision calquée sur celle de la G.L.U.A. s’explique en grande partie parce que ce sont les mêmes hommes qui appartiennent aux deux organisations. En effet, nous le savons, au-delà de la multitude de systèmes et de grades, se dégage une unité fondamentale de la maçonnerie anglaise.
Si l’auteur ne consacre que quelques pages aux rituels et à leur modification, la raison en est qu’en Angleterre, on ne pratique guère que le grade de Rose Croix et celui de Chevalier Kadosh (30è grade). Pour cela, sont utilisés des rituels bien connus du milieu du XIXè siècle, un peu décevants.
Ce livre, muni de quelques photographies (notamment celle du Revd George Oliver Souverain Grand Commandeur en 1850), est donc très révélateur de la manière d’être de la Maçonnerie britannique, différente à bien des égards de ce que nous pouvons connaître ici.
Comme nombre de publications en provenance d’outre-Manche, ce volume est doté d’un index très complet.