"Les assassins sont parmi nous"

Gérard Gefen 1995

Dès l'origine, l'anti-maçonnisme primitif a fait ressortir plusieurs thèmes principaux:

  1. l'athéisme (aussi appelé déisme),
  2. la mystagogie,
  3. les complots secrets (ou leur simple possibilité) contre l'ordre public,
  4. l'amoralité, la débauche, l'ivrognerie et les penchants contre nature,
  5. la futilité.

A cela, il faut ajouter un sixième thème présent dans le premier texte anti-maçonnique connu « To all Godly People » de 1698 1, vingt ans avant la création de la Grande Loge de Londres, et dans lequel on peut lire:

« Car cette secte diabolique se réunit en secret... Pourquoi des hommes se réuniraient-ils dans des lieux secrets et avec des signes secrets, en prenant garde que nul ne les observe, si c'était pour procéder à l'oeuvre divine ? Ne sont-ce pas là des manières de gens qui font le mal? »

Et en effet, on va attribuer nombre de crimes abominables aux Francs-maçons. En voici quelques-uns.

1 -Le premier crime, le crime originel, est l'assassinat d'Adoniram.

Celui-ci est relaté par Gérard de Nerval (1808-1855)


dans Le Voyage en Orient (1848-1850) 2:

« Alors Adoniram se détourna, s'apprêtant à sortir. Soudain, une forme humaine se détacha du pilastre et d'un ton farouche lui dit:

« Si tu veux sortir, livre-moi le mot de passe des maîtres. »

Adoniram était sans armes; objet du respect de tous, habitué à commander d'un signe, il ne songeait pas même à défendre sa personne sacrée.

« Malheureux! répondit-il, en reconnaissant le compagnon Méthousaël, éloigne-toi! Tu seras reçu parmi les Maîtres quand la trahison et le crime seront honorés! Fuis avec tes complices avant que la justice de Soliman atteigne vos têtes. »

Méthousaël l'entend, et lève d'un bras vigoureux son marteau, qui retombe avec fracas sur le crâne d'Adoniram. L'artiste chancelle étourdi; par un mouvement instinctif, il cherche une issue à la seconde porte, celle du Septentrion. Là, se tenait le Syrien Phanor qui lui dit:

« Si tu veux sortir, livre-moi le mot de passe des maîtres!

- Tu n'as pas sept années de campagne! répliqua d'une voix éteinte Adoniram.

- Le mot de passe!

- Jamais! »

Phanor, le maçon, lui enfonça son ciseau dans le flanc; mais il ne put redoubler, car l'architecte du temple, réveillé par la douleur, vola comme un trait jusqu'à la porte d'Orient, pour échapper à ses assassins.

C'est là qu'Amrou le Phénicien, compagnon parmi les charpentiers, l'attendait pour lui crier à son tour:

« Si tu veux passer, livre-moi le mot de passe des maîtres.

- Ce n'est pas ainsi que je l'ai gagné, articula avec peine Adoniram épuisé; demande-le à celui qui t'envoie. »

Comme il s'efforçait de s'ouvrir un passage, Amrou. lui plongea la pointe de son compas dans le coeur.

C'est à ce moment que l'orage éclata, signalé par un grand coup de tonnerre.

Adoniram était gisant sur le pavé, et son corps couvrait trois dalles. »

On remarquera, non sans quelque soulagement, que parmi les trois assassins d'Adoniram il n'y a qu'un seul maçon!

2 -Après ce crime mythique, voici maintenant une mort bien réelle.

On peut lire dans The Craftsman , publié par Nicholas Armhurst, alias Caleb d'Anvers, un article du 16 avril 1737 dont voici un extrait:

« Il est peut-être loisible de se demander si, depuis les origines de leur fondation, ils [les Francs-Maçons] n'ont pas été impliqués dans des complots ou des actes criminels de quelque nature. Répondre aisément à cette question est difficile, car nul ne peut affirmer avec certitude dans quoi ils sont ou ne sont pas impliqués. Mais je ne peux m'empêcher de penser qu'ils se trouvent à l'origine d'une affaire récente, aujourd'hui sur le tapis, je veux dire l'échauffourée d'Edimbourg et le meurtre du capitaine Porteous, exécuté avec tant d'unanimité et de secret que seule une horde de Francs-Maçons pourrait l'avoir commis, sans que, dans une aussi grande multitude engagée dans la perpétration de cet acte atroce, aucun individu n'ait pu être désigné. »

On notera l'argumentation. Pourquoi s'agit-il de Francs-Maçons? Parce que seuls des Francs-Maçons peuvent commettre un crime dans un tel secret. Le lien entre secret et crime est ici clairement affirmé.

Mais examinons l'affaire du capitaine Porteous.

En 1737, on arrête, à Edimbourg, deux hommes qui s'appellent Wilson et Roberston. Contrebandiers de leur état, ces derniers venaient de détrousser un percepteur. Ce méfait les a évidemment rendu populaire si bien que la foule gronde en manifestant son intention de les voir libres. Nos deux hommes profitent de l'occasion pour tenter de s'évader de façon rocambolesque. Roberston, trop gros, ne peut sortir et bloque son comparse Wilson. Mais alors qu'on les ramènent, profitant de la foule, Roberston arrive alors à s'échapper, au contraire de Wilson qui, plus malheureux, sera exécuté. Mais pour l'heure, la foule se déchaîne, jette des pierres sur la Garde qui est commandée par le capitaine Porteous. Ce capitaine est un homme cassant, antipathique et pour tout dire impopulaire. Il n'hésite pas à faire tirer. On ignore si ce fut en l'air ou dans la foule mais le résultat est là: il y a des morts et des blessés. A cause de cela, le capitaine Porteous est traduit en justice. Jugé coupable par 8 voix contre 7, il est condamné à mort mais immédiatement gracié car on lui accorde des circonstances atténuantes. Cependant la foule, tout excitée par le comportement odieux du capitaine durant son procès, ne l'entend pas de cette oreille. On craint que le gouvernement de Londres 3 ne fasse revenir Porteous pour le féliciter et lui donner de l'avancement. Les chroniqueurs nous expliquent donc qu'une « foule décidée et calme » le tire de sa prison et le pend « comme on le fait sur un navire de guerre ». Evidemment cette foule « décidée et calme », c'est celle des Francs-Maçons de la Grande Loge d'Ecosse !

Cette affaire va connaître un certain retentissement y compris outre-Manche. L'abbé Prévost (1697-1763), célèbre auteur de Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut , de retour d'Angleterre où il s'était réfugié, ayant fondé un journal le Pour et le Contre (1733-1740) destiné à faire connaître en France, l'Angleterre et les Anglais, relate l'affaire en disculpant les francs-maçons. 4

Anderson, également, y fait allusion en réfutant, lui aussi, la thèse de la participation des maçons à cette affaire dans une chanson, la « Chanson du secrétaire » publiée dans l'édition de 1738 des Constitutions. Il y ajoute une notre explicative:

« En vain Danvers, avec son esprit, tente de susciter notre ressentiment patient, etc. »

Ceci ne sera pas repris dans les éditions suivantes.

Par contre, cette chanson est publiée dans les Constitutions irlandaises de 1751, arrangée par Eward Spratt, Grand Secrétaire de la Grande Loge d'Irlande. On la retrouvera dans les différentes éditions des Constitutions jusqu'en 1820.

En 1756, L. Dermott reprend cette chanson dans Ahiman Rezon (les Constitutions des « Anciens ») qui sera constamment rééditée jusqu'à l'union de 1813. Dans l'édition de 1764, on trouve cette note:

« Il est remarquable que tous portaient des tabliers de cuir blanc, preuve certaine qu'ils n'étaient pas Franc-Maçons. »

Cela signifie que cet usage n'existait pas au début du XVIIIè siècle.

Si cette chanson n'est pas reprise dans les Constitutions écossaises (la G.L. d'Ecosse est pourtant impliquée au premier chef), elle est imprimée néanmoins dans un recueil Collection of Masons' Songs de James Calendar à Edimbourg en 1758.

Enfin, Sir Walter Scott (1771-1832), franc-maçon lui-même, se sert de ce fait divers pour constituer l'intrigue de son roman The Heart of Midlothian en 1827.

3 -La mort de Mozart (1756-1791) a été l'objet de nombreuses spéculations.

On l'a attribué tantôt à Salieri (1750-1825), qui n'était pourtant pas franc-maçon, tantôt aux Jésuites, mais on a aussi prétendu qu'il avait été assassiné par les francs-maçons! Cette accusation a été portée en 1923 par le Général Ludendorff (1865-1937). Celui-ci, antisémite, ennemi des francs-maçons et membre du parti Nazi, affirme que Mozart a révélé, dans La Flûte Enchantée, tous les secrets de la franc-maçonnerie et qu'il a ensuite été assassiné par les Maçons pour le punir de cette divulgation. Par cette accusation, les Nazis faisaient coup double: non seulement cela leur permettaient d'accuser les francs-maçons de toutes les turpitudes mais aussi de disculper Mozart, grand musicien allemand s'il en est, de cette appartenance honteuse et scandaleuse à l'ordre 5.

4 - L'affaire du capitaine Morgan.

Morgan, un aventurier plutôt louche, prévoit la publication d'un livre sur la franc-maçonnerie avec l'éditeur David C. Miller. Le 11 septembre 1826, il est arrêté à Canandaigua (Etat de New York) pour le vol d'une chemise et d'une cravate. Libéré sous caution le lendemain, il disparaît, dans des conditions mal éclaircies, avec plusieurs personnes qui sont des francs-maçons. Peut-être retenu dans un hangar à Fort Niagara, on ne le reverra jamais plus.

Deux thèses vont alors s'affronter pour expliquer cette disparition. Les anti-maçons affirment que Morgan a été assassiné comme Akirop 6,

précisent-ils, tandis que les maçons pensent qu'on a fait passer la frontière canadienne à Morgan avec un viatique de 500 $ pour qu'il se fasse oublier.

David Bernard, dans son livre Light on Masonry 7, publie, en le développant, l'ouvrage de Morgan et donne les diverses dépositions enregistrées lors de l'enquête du Coroner. Bien qu'il ne ressorte aucun élément positif de preuve qui puisse éclaircir définitivement cette affaire, on peut néanmoins penser que Morgan aurait trouvé la mort dans cet épisode. Comment ? Peut-être y a-t-il eu une bagarre violente (nous sommes dans le nord des Etats-Unis au début du XIXè siècle) qui aurait mal tourné ? Ou bien aurait-il disparu lors de la tentative de traversée du Niagara ? On a bien retrouvé des cadavres mais sans pouvoir les identifier 8.

5 - Jack l'Eventreur (Jack The Ripper).

En 1888, en Angleterre, le vendredi 31 août, à Buck's Road dans White Chapel, un quartier à l'est de Londres particulièrement mal famé, Mary Ann Nicols est retrouvée, assassinée, éventrée. Le samedi 8 septembre à Hanbury Street, c'est Annie Chapman dite Sciffey qui est découverte, assassinée elle aussi d'une horrible façon. Le samedi 30 septembre, on trouve deux cadavres. Le premier est dans Berner Street, il s'agit d'Elisabeth Stride tandis que dans Mitre Square, c'est Catherine Eddowes dite Kate Kelly. Les trois premiers crimes relevaient de la Metropolitan Police , la police de la ville de Londres, mais le dernier relève de la police de la City of London qui est commandée par la guilde de la City . Enfin, le 8 novembre, à Miller's Court (White Chapel), Mary Jane (dite Ann) Kelly est, à son tour, tuée.

L'enquête démontrera au moins une chose: le manque d'organisation, de coordination et la mésentente complète entre les services de police. En effet, le Metropolitan Police Commissioner , Sir Charles Warren, un ancien général, (qui a été, en 1886, un des fondateurs des Ars Quatuor Coronatorum ) va se montrer particulièrement incompétent. Accumulant les erreurs, déchaînant sur lui la risée publique, cordialement détesté par la population, il démissionne bientôt pour être remplacé le 12 novembre par Sir Robert Anderson (lui aussi membre éminent de la Grande Loge Unie d'Angleterre et du Grand chapitre de l'Arc Royal) le chef du Criminal Investigation Department (Scotland Yard).

Jack l'Eventreur ne sera jamais identifié. Cette énigme va évidemment susciter d'innombrables livres. Parmi les théories avancées pour expliquer ces crimes, l'une d'elles, soutenue par Stephen Knight 9 et Joseph Sickert 10, dans leur livre Jack the Ripper, the Final Solution, implique la franc-maçonnerie.

Selon ces auteurs, le duc de Clarence 11, fils cadet du prince de Galles 12, qui est un ami du peintre Walter Sickert, vient lui rendre visite de temps à autre. A cette occasion, le prince rencontre, dans un bureau de tabac proche, une jeune femme, Annie Elisabeth Crook. Celle-ci devient sa maîtresse, puis sa femme et lui donne une fille, Alice Margaret, née en 1885.

Knight et Joseph Sickert prétendent que la dernière victime de Jack l'Eventreur, Mary Jane (dite Ann) Kelly, et Walter Sickert auraient été témoin de ce mariage secret. Or Annie Elisabeth Crook serait catholique, ce qui n'était guère prisé à l'époque pour une possible future reine de Grande-Bretagne. Elle aurait alors été enlevée et emmenée dans un hôpital où Sir William Gull, médecin extraordinaire de la Couronne et franc-maçon, aurait pratiqué sur elle une opération qui lui aurait fait perdre la mémoire. Annie Elisabeth Crook, qui a bel et bien existé, vivra cependant jusqu'en 1920.

Mais ce qui devait arriver, arriva. Mary Jane (dite Ann) Kelly, témoin du mariage, et trois de ses amies prostituées, Mary Ann Nicols, Annie Chapman (dite Sciffey) et Elisabeth Stride, toutes victimes de Jack l'Eventreur, menacent de faire du chantage en révélant l'affaire. Pour les faire taire et éviter ainsi qu'un scandale ne bouleverse l' Establishment , la franc-maçonnerie, et plus particulièrement les Chapitres de l'Arc Royal, les font assassiner, de manière rituelle affirment Knight et Sickert rappelant les châtiments inclus dans les obligations et l'utilisation d'un poignard arme de l'Arc Royal! Restait à expliquer le meurtre de Catherine Eddowes dite Kate Kelly. Il s'agirait tout simplement d'une confusion entre elle et Mary Jane (dite Ann) Kelly. Cet assassinat inutile expliquerait, en passant, qu'il y ait eu deux crimes le même jour: on s'était trompé de victime... Dans cette théorie, Jack l'Eventreur est, en réalité, trois personnes: Sir William Gull, son cocher, John Netley, et Walter Sickert.

Malheureusement pour Stephen Knight et Joseph Sickert, leur théorie manque de fondement. Les papiers privés de Sir William Gull, en admettant qu'ils donnent la vérité -ce qui resterait à prouver-, n'ont de toute façon jamais été produit. Par ailleurs, l'immeuble dans lequel est censé résider Walter Sickert lorsque le duc de Clarence vient le visiter a été démoli avant les faits. De plus, Annie Elisabeth Crook n'était pas catholique mais appartenait à la Church of England . Enfin, même dans le cas où le duc de Clarence aurait connu Annie Elisabeth Crook et l'aurait épousée -ce qui n'est pas prouvé non plus-, ce dernier n'avait pas la majorité requise pour contracter un mariage qui de toutes façons était nul en vertu du Royal Marriage Act . La Couronne n'aurait donc pas été menacée 13.

6- La mort du conseiller Prince.

Le 20 février 1934, au Km 311 de la ligne Paris-Dijon, au lieu-dit la Combe aux Fées, on découvre le cadavre déchiqueté du conseiller Albert Prince, chef de la section financière du Parquet de la Seine, chargé de l'affaire Stavisky 14.

A côté du corps, on découvre un grand poignard ensanglanté...(ne serait-ce point celui des Kaddosh?) 15, car la franc-maçonnerie est souvent citée dans l'affaire Stavisky. La presse de droite ne se gène d'ailleurs pas pour affirmer qu'elle a fait assassiner Prince, qui devait donner son rapport le lendemain au Garde des Sceaux.

Naturellement, le corps du conseiller a été autopsié mais les conclusions sont contradictoires si bien que l'on ne sait pas s'il s'agit d'un suicide ou d'un assassinat et ce, d'autant plus, que le dossier n'est toujours pas accessible aujourd'hui 16. Pierre Chevallier, le grand historien de la franc-maçonnerie, a redécouvert un texte du doyen des juges d'instruction de la Seine, Pierre Lapeyre, que ce dernier avait envoyé à Sacha Guitry un de ses amis 17. Ce texte confirme une hypothèse formulée par le commissaire Belin qui pensait que le conseiller Prince, ayant échoué dans l'instruction que l'affaire Stavisky et sur le point d'être désavoué par son ministre, s'était suicidé. Ce suicide a été camouflé en assassinat pour permettre à sa veuve de toucher sa pension. Pourquoi pas?

7 - Les crimes attribués aux francs-maçons américains

L'anti-maçonnisme déclenché aux Etats-Unis par l'affaire Morgan, au XIXe siècle, reste toujours vivace. Par exemple, la National Christian Association ou la maison d'édition Acacia Press en ont fait leur spécialité. Cette dernière est maintenant présente sur le réseau internet à l'adresse suivante: « http://www.crocker.com/acacia/antim.htlm. ». Ces mouvements, non contents de souligner les relations de la franc-maçonnerie américaine avec le Klu Klux Klan, la C.I.A. ou le cartel de Cali, lui reprochent d'avoir fomenter les assassinats d'Abraham Lincoln (président des Etats-Unis, 1809-1865) 18, John F. Kennedy (président des Etats-Unis, 1917-1963), Robert F. Kennedy, son frère (1925-1968), Martin Luther King (pasteur noir, héros de la lutte contre la ségrégation raciale, 1929-1968) 19, Malcom X (Malcom Little dit Malcom X, dirigeant noir, 1925-1965).

Dans un article, de mars 1996, diffusé par Internet, Richard Alcorn 20 développe l'argumentation suivante, qui n'est pas sans rappeler les thèmes présentés en introduction:

« La thèse d'une conspiration maçonnique permet de répondre à toutes les questions (...). Elle renvoie à des précédents historiques. Elle renvoie à une structure organisationelle existante capable de couvrir le crime. Elle explique l'absence de preuves internes. Elle offre de nombreux motifs possibles. »

L'article s'achève par une citation d'un pamphlet américain publié en 1829 (car on connaît ses classiques!):

« Il faut espérer qu'une institution dont les principes mêmes incitent directement à d'aussi horribles outrages [l'affaire Morgan] et qui est entièrement fondée sur la dissimulation et la tromperie, sera complètement supprimée dans ce pays et partout dans le monde, et qu'une barrière sera élevée pour l'empêcher à jamais de polluer la terre de son influence insidieuse. Mais le public ne doit pas s'attendre à ce que ce but désirable soit atteint sans de dures peines et une vigilance incessante; la tâche ne fait que commencer et, faute de circonspection ou de persévérance, le monstre gagnera encore en puissance et commettra des énormités plus grandes encore que jamais ».

Discussion:

Il est évident que ne sont présentés ici qu'un nombre restreint de crimes attribués aux francs-maçons. On pourrait allonger considérablement la liste.

Par exemple, dans Les grandes controverses de l'histoire contemporaine , éditions rencontre, Lausanne, 1964, Jacques de Launay écrit que parmi les thèses qui essayèrent de déceler les véritables causes de l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand de Habsbourg, héritier présomptif du trône austro-hongrois et de son épouse à Sarajevo, le 28 juin 1914, assassinat qui fut l'étincelle qui déclencha la première guerre mondiale, l'une d'elle est que « l'attentat fut l'oeuvre de la franc-maçonnerie internationale » au motif que l'un des assassins a avoué des liens avec la franc-maçonnerie. Il ajoute cependant qu' « aucun indice n'a révélé que cette organisation ait été mêlé à la conjuration ».

On pourrait aussi trouver de nombreux exemples sur le thème de la complicité entre les Juifs et la franc-maçonnerie.

A propos de Jack l'Eventreur.

Cette histoire a souvent été reprise. Il y a eu une série télévisée, des auteurs de romans policiers s'en sont inspirés et jusqu'à une revue de faits divers de sensibilité de gauche qui a repris la thèse anti-maçonnique. Ceci est plutôt étonnant en France (ce l'est moins en Angleterre).

Mais cela illustre aussi un autre phénomène. Si, à l'origine, il y a incontestablement un fait divers réel, c'est, après coup, que l'on construit des histoires si rocambolesques qu'elles deviennent, à proprement parler, de véritables romans. Walter Scott, en son temps, l'avait bien compris.

L'anti-maçonnisme repose, entre autre, sur l'amalgame entre les francs-maçons et la franc-maçonnerie. Ce n'est évidemment pas parce qu'un franc-maçon est impliqué dans une affaire que la franc-maçonnerie en tant qu'Ordre est derrière. Il n'en reste pas moins que tout maçon devrait comprendre qu'il est responsable, à son niveau, par ses paroles, son attitude et ses actes, de la franc-maçonnerie.

L'anti-maçonnisme n'attaque que rarement des francs-maçons (qualifiés de braves gens qui se sont laissés abuser) mais constamment la franc-maçonnerie et ses principes. C'est la franc-maçonnerie en tant que telle, dans sa structure, qui est qualifiée d'organisation criminelle et c'est par là que l'on peut détecter l'origine maçonnique de ces crimes. A partir de ce moment, bien sûr, toute discussion devient impossible et ce n'est pas en égrenant la liste des francs-maçons qui se sont particulièrement illustrés pour le bien de l'humanité que l'anti-maçonnisme changera. Toute organisation un peu fermée suscite de telles réactions: on pourrait à ce titre évoquer les Jésuites ou l'Opus Dei, etc.

Quant aux réactions de la franc-maçonnerie face à ces attaques, elles sont différentes selon les pays. Globalement, on peut dire qu'en France l'anti-maçonnisme est aussi commun que la franc-maçonnerie. Présent dès l'origine, un certain anti-maçonnisme s'est développé pendant la Révolution, période au cours de laquelle la franc-maçonnerie a quasiment disparu. L'anti-maçonnisme connaîtra son paroxysme entre 1940 et 1944. Aux Etats-Unis, l'affaire Morgan et ses répercussions anti-maçonniques ont frappé durement une franc-maçonnerie qui n'avait, pour ainsi dire, jamais connu d'ennui. En Angleteterre, les récentes attaques anti-maçonniques sont aussi plutôt inhabituelles dans un pays où la franc-maçonnerie est une institution à l'égal de l'église et de la monarchie. Les réactions de la G.L.U.A. sont surprenantes puisqu'elle a jugé bon de modifier ses rituels.

L'anti-maçonnisme en Angleterre est fondamentalement de gauche. La franc-maçonnerie représente l'establishment et le parti conservateur, c'est donc tout naturellement que le parti travailliste l'attaque et plus particulièrement l'aile gauche de ce parti. En effet, l'extrême gauche (communistes, trotskystes, etc. présents dans le parti travailliste) a eu une influence assez importante et a déclenché une offensive contre tout ce qui représente l'autorité: l'église, la police, la franc-maçonnerie etc. Aujourd'hui, ces éléments sont de nouveau marginalisés et l'anti-maçonnisme est moins virulent.

L'anti-maçonnisme d'origine religieuse repose sur le fait que la franc-maçonnerie et l'église d'Angleterre, et plus particulièrement la High Church, sont intimement liées. Ainsi tous les groupes dissidents de la Church of England sont plutôt anti-maçonniques. Ce fut le cas du Méthodisme, de l'Armée du Salut etc.

L'anti-maçonnisme en France.

Rappelons qu'au XVIIIe siècle, la franc-maçonnerie représentait aussi un certain « establishment ». Ceci est encore le cas, dans une certaine mesure, aujourd'hui, bien qu'elle se soit transformée. On a rappelé les ravages de la Révolution contre la franc-maçonnerie. Sous l'Empire, elle a amorcé une évolution, à l'image de celle du pays, qui allait la conduire, à la fin du siècle, à une pensée politique de gauche. Au début du XXe siècle, l'engagement politique de la franc-maçonnerie a été très important. Par exemple, elle a joué un rôle dans la constitution du Cartel des gauches (1924). L'anti-maçonnisme pouvait alors désigner la franc-maçonnerie comme bouc émissaire en raison de cet engagement politique.

1 in Knoop, Jones and Hammer: Early Masonic Pamphlets , p.34. A.Q.C. Correspondance Circle. On lira aussi: J. Chetwode Crawley « Contemporary comments on the Freemasonry of the Eighteenth century », A.Q.C.

2 « Les nuits du Ramazan », III « Les conteurs », chapitre XII « Makbénach ». Rappelons que la mort de Gérard de Nerval a été attribuée à un crime maçonnique.

3 L'Acte d'union entre l'Angleterre et l'Ecosse ne date que de 1707.

4 Le thème du crime maçonnique se répandit néanmoins en France. Pierre Chevallier dans Le sceptre, la Crosse et l'Equerre, sous Louis XV et Louis XVI, 1725-1789, (Honoré Champion) p.54, rapporte une lettre du 23 juillet 1742 où il est question d'un ecclésiastique qui apprit de pénitents repentants les circonstances de la cérémonie de réception dans l'ordre des francs-maçons « en luy déclarant néanmoins qu'ils ne pouvaient sans courir le risque d'être assassiné, luy révéler les secrets de l'ordre ».

5 Voir Gérard Géfen Les musiciens et la franc-maçonnerie , Fayard éditeur.

6 Nom d'un personnage mythique qui apparaît dans le 9e grade du Rite Ecossais Ancien et Accepté. Akirop, lui-même meurtrier, est assassiné à son tour...

7 Kessinger reprints

8 Sur l'affaire Morgan, voir John C. Palmer, The Morgan Affaire and Anti-Masonry (Kessinger reprints), Renaissance Traditionnelle n°94-95 (avril-juillet 1993) « L'affaire Morgan et le parti anti-maçonnique aux Etats-Unis (1826-1842) et Compte-rendu William Preston (4e trimestre 1992) « Sources et histoire de l'anti-maçonnisme aux Etats-Unis » p.31-33.

9 Aujourd'hui décédé, ce journaliste d'origine hindoue avait publié The Brotherhood , un brûlot dénonçant la franc-maçonnerie britannique, qui est à l'origine d'une vague d'anti-maçonnisme.

10 C'est le fils de Walter Sickert qui aurait été impliqué dans cette affaire.

11 Son nom était déjà cité par Stowell et Colin Wilson, mais dans un tout autre contexte. Le duc mourra en 1892.

12 1841-1910. Il fut Grand Maître de la G.L.U.A. de 1874 à 1901 puis roi de Grande Bretagne sous le nom d'Edouard VII.

13 On pourra lire aussi, Donald Rumbelow, The Complete Jack the Ripper (W.H. Allen & C°).

14 Vedette du Tout-Paris, escroc, Serge Alexandre alias Alexandre Stavisky, qui vient de dérober 500 millions de francs au Crédit municipal, meurt dans des circonstances mal élucidées alors qu'il est cerné par la police, le 8 janvier 1934. Le commissaire de police qui devait procéder à cette arrestation était un franc-maçon... L'action française s'emparera de cette affaire et une grande offensive sera menée contre le régime parlementaire « pourri » qui aboutira aux émeutes sanglantes du 6 février.

15 Rappelons le mot de Camille Chautemps (1885-1963), président du Conseil et Chevalier Kadosh dont le ministère a pourtant été emporté dans cette crise: « Nous n'assassinons jamais nous-mêmes. »

16 Aux termes de la loi du 3 janvier 1979 sur les archives, les dossiers judiciaires ne sont communicables qu'après un délai de 100 ans.

17 Bibliothèque Nationale, manuscrits; Nouvelles acquisitions françaises 15767. Pierre Chevallier, Histoire de la Franc-Maçonnerie française , tome 3, Fayard éditeur.

18 Vaughan Shelton, Mask for Treason: The Lincoln Murder Trial, Acacia Press (acacia @ crocker.com)

19 William F. Pepper, Order to Kill: The Truth behind the Murder of Martin Luther King, Acacia Press.

20 Richard Alcorn, Answering Chomsky's Challenge , publication Internet d'Acacia Press.