Le problème de l'Arc Royal dans la Maçonnerie anglaise des XVIIIè et XIXè siècles
Roger Dachez 1995
1ère Partie
Aborder le problème de la place de l'Arc Royal en Angleterre, c'est soulever des points importants pour la maçonnerie anglaise, en particulier c'est poser la question de savoir comment elle se perçoit et comment elle envisage la question des grades.
Ce dernier problème s'est posé très tôt dans son existence mais c'est par l'étude du célèbre article II de l'Union de 1813 (entre les deux grandes Loges rivales qui s'étaient partagé la Maçonnerie anglaise pendant 60 ans), que nous allons l'aborder.
Les principes de l'Union furent formulés en une charte de sept articles dont le deuxième affirme: Il est déclaré et proclamé que la Maçonnerie pure et ancienne consiste en trois grades et pas plus, à savoir ceux d'Apprenti Entré, de Compagnon du Métier et de Maître Maçon incluant l'ordre suprême du Saint Arc Royal. Or l'Arc Royal est bel et bien un grade maçonnique qui se pratique dans un chapitre, distinct de la loge, donc un 4ème grade.
Pourtant l'article II est formel: il n'y a que trois grades et trois seulement, le troisième incluant le 4ème.
Voyons la suite du dit article: mais cet article n'a pas pour intention d'empêcher une loge ou un chapitre de tenir des réunions à aucun des grades des ordres maçonniques ou de chevalerie selon la constitution des dits ordres. Cela veut donc dire que si la Maçonnerie « pure et ancienne » consiste en 3 grades y compris le 4ème, il n'est pas interdit de pratiquer tous les autres.
Ainsi l'interprétation qui consiste à dire qu'il s'agit d'une prohibition des hauts grades est erronée. C'est en réalité tout le contraire, ce qui est d'ailleurs en conformité avec toute la tradition maçonnique.
C'est dire que si ce fameux article II donne une certaine définition de la « pure et ancienne » maçonnerie, il reconnaît aussi la totalité de la tradition maçonnique et chevaleresque anglaise déjà fort développée à cette époque et dont on savait bien qu'elle comportait une multitude de grades.
Mais finalement qu'est-ce que cette maçonnerie « pure et ancienne », notion nouvelle dans le discours maçonnique anglais en 1813? La place de l'Arc Royal va nous permettre de l'expliquer.
En 1835, dans le paragraphe final de la cérémonie d'exaltation de l'Arc Royal, on dit au candidat: Vous pouvez peut-être imaginer qu'en ce jour vous avez reçu un 4ème grade dans la franc-maçonnerie, cependant ce n'est pas le cas. Ce n'est que le grade de Maître Maçon complété . On explique alors au candidat que lorsqu'il a été élevé au 3ème grade, un certain nombre de choses ont été perdues. Elles sont retrouvées aujourd'hui. Le 3ème grade est donc véritablement achevé et l'Arc Royal n'apparaît ici que comme sa suite logique.
Cette explication soulève trois questions:
1°) Cela signifie-t-il que le 3ème grade, tel qu'il est pratiqué dans la Maçonnerie anglaise aujourd'hui (c'est-à-dire depuis 1730), est incomplet dès son origine? 1. Ou alors était-il complet (ce qu'il serait légitime de supposer) et, pour une raison inconnue, a-t-il été démembré pour former l'Arc Royal?
2°) Le contenu de l'Arc Royal est-il le développement d'un thème présent dans le 3ème grade primitif ou bien résulte-t-il d'une invention, d'une addition, d'une innovation? Dans ce cas, quelles pourraient bien en être les sources?
3°) Comment se fait-il, dans ces conditions, que la première Grande Loge dite des modernes, née en 1717, ait apparemment pendant longtemps ignorée le grade de l'Arc Royal, lequel fait son apparition en Angleterre dans le courant des années 1750? Autrement dit, les sources de l'Arc Royal sont-elles anglaises ou non?
Nous voyons que sont posés ici des problèmes de différentes natures.
D'abord, il y a un problème historique et politique, celui de la place administrative de l'Arc Royal dans la hiérarchie des grades.
Ensuite, il y a un problème traditionnel et rituel qui consiste à tenter de discerner les sources de ce grade et les raisons de son apparition. Autrement dit, à quelle motivation était-il censé répondre?
Examinons aujourd'hui le premier aspect historique et politique en apportant quelques éléments de réflexion.
Le problème se pose de la manière suivante: La première Grande Loge de 1717 pratique, à partir de 1730, 3 grades en tout et pour tout. Or, à partir des années 1740, nous possédons des témoignages, de provenance irlandaise, de quelque chose qui s'appelle l'Arc Royal. Cet Arc Royal arrive en Angleterre à la fin des années 1740 par le biais d'Irlandais.
Ces Irlandais avaient trouvé une maçonnerie Londonienne non conforme à celle qu'ils connaissaient et ils constituèrent une deuxième Grande Loge, celle des Anciens en 1753. Et dans le livre de Constitutions de la Grande Loge des Anciens, publié en 1756, on lit: La Maçonnerie ancienne (autrement dit la maçonnerie des maçons qui se qualifient eux-mêmes d'anciens) consiste en 4 grades, les 3 premiers étant ceux d'Apprenti, de Compagnon et le sublime grade de Maître, et un frère connaissant bien ces grades et, par ailleurs qualifié, peut être admis au 4ème grade celui du Saint Arc Royal. Ce grade est certainement le plus auguste, le plus sublime et le plus important de tous, il est le sommet et la perfection de la maçonnerie ancienne. La Grande Loge des Anciens donne ainsi une formulation complètement opposée au futur article II de l'Union de 1813.
Comment en est-on arrivé là?
Nous avons remarqué l'origine irlandaise des maçons de la Grande Loge des Anciens. Dans l'ouvrage fondamental de John Heron Lepper et Philip Crossle, History of the Grand Lodge of Free and Accepted Masons of Ireland (1925) et dans un article de Philip Crossle publié en 1928 dans la revue de la Loge de recherches CC de la G.L. d'Irlande à Dublin, il est dit que, dès les années 1730 en Irlande, on pratique un système en 3 grades, Apprenti, Compagnon et Maître Maçon. Seulement, ces mots cachent des réalités très différentes de celles qui existent en Angleterre. Philip Crossle montre que le grade d'Apprenti irlandais correspond aux grades d'Apprenti et de Compagnon anglais, que le grade irlandais de compagnon correspond au grade anglais de Maître, enfin que le grade irlandais de Maître Maçon correspond à l'Arc Royal et à l'Installation secrète du Maître de Loge.
Le fondateur de la future Grande Loge des Anciens, Laurence Dermott, est reçu en Maçonnerie en 1740 à Dublin. En 1746, il est installé Vénérable Maître d'une Loge et, la même année, il est reçu à l'Arc Royal. C'est cette tradition-là qu'il va tout naturellement apporter en Angleterre.
Mais que se passe-t-il alors, et comment ce système irlandais structuré en 3 grades va-t-il se transformer en un système en 4 grades? Cette question reste encore bien mystérieuse mais on peut penser avec quelque raison que le dédoublement du premier grade irlandais (ce qui forme une série de 4 grades) s'est produit à l'arrivée du système en Angleterre. En effet, la confrontation avec le système anglais permit d'établir une comparaison. Le premier grade irlandais fut dédoublé pour correspondre aux grades anglais d'apprenti et de compagnon. Le grade irlandais de compagnon fut confonfu avec le grade anglais de maître. Il restait alors le grade irlandais de maître, qui devenait de facto le 4ème et qui est, comme le dira Laurence Dermott, la racine, le coeur et la moelle de la franc-maçonnerie .
C'est donc probablement l'acclimatation du système maçonnique irlandais en terre anglaise qui fait apparaître le problème de l'installation secrète et de l'Arc Royal.
L'un des reproches adressés par les Anciens aux Modernes est que ceux-ci avait négligé, oublié, voire ignoré, l'installation secrète. Ce grief était très grave pour les Anciens, puisque l'installation secrète est intimement liée à l'Arc Royal, au point d'en constituer originellement une sorte d'introduction.
Bien entendu, la première Grande Loge n'admet pas ce qui apparaît, pour elle, comme une innovation et ainsi, pendant toute la deuxième moitié du XVIIIè siècle, elle va officiellement ignorer l'Arc Royal, non parce que c'est un grade supplémentaire, mais parce que celui-ci n'était pas né en terre anglaise et qu'il était, de plus, présenté comme faisant partie de la Maçonnerie « ancienne » qu'elle ne reconnaissait pas.
Le problème se complique encore lorsqu'un certain nombre de Maçons issus des Modernes, ayant appris l'existence de l'installation secrète et de l'Arc Royal, se les firent communiquer. Au XVIIIè siècle, on transmettait les grades avec une certaine facilité, si bien que le premier chapitre de l'Arc Royal a été constitué dans les années 1760 en Angleterre et qu'il était principalement animé par des Modernes. Dans ce chapitre, on trouve même de hauts responsables de la Grande Loge des Modernes.
James Heseltine, G. Secrétaire de la Grande Loge des Modernes, exerçait des fonctions importantes dans le chapitre de l'Arc Royal. Il répond néanmoins à un Frère de province relevant de la Grande Loge des Modernes, qu'il ne connaît pas ce grade et que la Grande Loge des Modernes l'ignore! On voit bien ici l'aspect « politique » du problème.
Cette situation a perduré jusqu'à l'Union de 1813, date à laquelle il a fallu réunir deux obédiences qui avaient des pratiques différentes. Et le principal problème en 1813, c'est l'Arc Royal. En effet, de 1809 à 1811, la grande Loge des Modernes avait réuni une loge dite de Promulgation destinée à rétablir les anciens usages. Ainsi avaient été levés les deux verrous qui empêchaient le rapprochement avec les Anciens, à savoir l'ordre des Mots sacrés (les Modernes pratiquant J.B. et les Anciens B.J., la loge de Promulgation ayant rétabli l'ordre ancien B.J.) et l'Installation secrète (en déclarant que l'Installation secrète était l'un des Landmarks du Métier et en l'établissant comme une pratique régulière, normale et obligatoire de la Maçonnerie symbolique).
Restait donc en 1813, le problème de l'Arc Royal. C'est pour trouver un compromis que l'on a imaginé le fameux article II de l'Union où l'on parle de Maçonnerie pure et ancienne avec une ambiguïté sur le terme « ancien », (s'agit-il d'une référence aux Anciens?) La Maçonnerie pure et ancienne consiste donc en 3 grades (les Modernes étaient majoritaires dans l'Union) mais ce 3ème grade comporte le 4ème qui est l'Arc Royal. Ainsi, on rétablissait en quelque sorte le système irlandais primitif.
Aujourd'hui, le chapitre de l'Arc Royal est en fait une dépendance de la Grande Loge, puisque, statutairement, le premier Grand Principal du Suprême Chapitre de l'Arc Royal est le G.M. de la G.L.U.A.
Cela montre bien que le problème des grades supérieurs aux grades bleus est traité en Angleterre d'une façon spécifique. On a pas pu empêcher l'assimilation de l'Arc Royal à un grade symbolique.
Nous pouvons maintenant tirer deux enseignements généraux.
Premièrement, la Maçonnerie anglaise ne s'est jamais prononcée contre les Hauts grades. Au contraire, elle les a toujours recherchés, pratiqués, honorés et elle leur reconnaît une valeur.
La séparation des Hauts grades est une invention de la Maçonnerie française démocratique et progressiste de la fin du XIXè siècle. La première obédience à avoir dénoncé les hauts grades est la G.L. Nationale de France en 1848, fermée par ordre du préfet de police peu après. C'était une obédience qui préfigurait la Maçonnerie progressiste, laïque et républicaine. Pour elle, les hauts grades représentaient l'aristocratie, l'Ancien régime antinomique des valeurs républicaines. C'est dans ce contexte qu'on a inventé la prohibition des Hauts grades. L'héritière spirituelle de cette G.L., est la G.L. Symbolique Ecossaise qui, en 1880, refuse également les hauts grades. Elle viendra à résipiscence lorsque le Suprême Conseil, en accordant son indépendance aux grades bleus, fusionnera avec l'ancienne G.L. centrale du Suprême Conseil de France pour former la G.L. de France en 1894.
Mais jamais la Maçonnerie anglaise n'a affirmé une telle chose, parce que c'est contraire à toute la tradition maçonnique.
Deuxièmement, on constate que dans toute l'histoire de la Maçonnerie, il y a un problème récurrent, quels que soient les pays et les époques; c'est celui du 4ème grade. En effet, dans beaucoup de systèmes maçonniques, il y a un 4ème grade qui pose problème par rapport aux trois premiers. Par exemple le Régime Ecossais Rectifié, système typiquement français possède un grade de Maître Ecossais de Saint-André qui est un 4ème grade déclaré symbolique et non « haut grade ». De même, dans la Maçonnerie française, les premiers hauts grades s'appellent « maîtres »: Maîtres parfaits, Maître Ecossais etc.. Le grade de Maître parfait, qui est probablement le plus ancien grade de la Maçonnerie française, se présente comme un grade de Maître mais qui est complet, « parfait ». C'est exactement ce qu'on dit avec l'Arc Royal et, du reste, il y a une communauté de thème entre les deux.
Ainsi, à partir de ce problème politique et administratif, on arrive à un problème traditionnel et rituel qui est beaucoup plus intéressant. Depuis l'institution du grade de Maître dans la Maçonnerie, il y a un problème. Il a universellement été considéré comme un grade incomplet qu'il fallait compléter par un 4ème grade quel que soit son nom, le Maître Parfait de Paris en 1740, le Maître Ecossais de Saint-André de la Stricte Observance Templière de 1778 à 1782 ou l'Arc Royal, en Irlande, dès la fin des années 1740 puis en Angleterre.
Ce problème historique, rituel et traditionnel nous ramène à un autre problème qui est celui des sources et des modalités de constitution du 3ème grade.
Et si on peut proposer un certain nombre de pistes pour résoudre ce problème, on peut également essayer de montrer à quoi répond la création de l'Arc Royal.
1 Nous savons que, jusqu'en 1725, la Maçonnerie anglaise pratique deux grades, Apprenti et Compagnon ou Maître. Le grade d'Apprenti correspond à peu près à celui que nous connaissons et celui de compagnon ou Maître à celui de Maître actuel à cette différence près qu'il y manque une légende. Pour passer de deux à trois grades on a évacué une partie du deuxième grade vers le 3ème en rajoutant une légende. Dans ce nouveau système en trois grades le véritable nouveau grade est le 2ème qu'il a fallu créer de toutes pièces avec son contenu. On le voit très bien avec William Preston, lorsqu'il essaie de donner un peu d'ampleur à ce grade.
2ème Partie
Après l'aspect historique et politique du problème (au sens de la politique maçonnique), nous abordons aujourd'hui son aspect traditionnel et rituel: quelles sont les raisons qui ont conduit à la création de l'Arc Royal?
Nous avions posé une première question: L'arc royal étant aujourd'hui considéré comme un complément du 3° grade, cela signifie-t-il que le 3° grade était incomplet à son origine? Inversement, s'il était complet, aurait-il été démembré d'une partie plus ou moins importante qui aurait constitué le grade de l'Arc Royal?
Cette question nous renvoie à un problème fondamental et difficile, à savoir les circonstances d'apparition et de constitution du grade de maître dans la maçonnerie anglaise. Ce grade fut divulgué en 1730 par Samuel Prichard dans The Masonry dissected (la Maçonnerie disséquée). C'est sa première attestation documentaire. Néanmoins, il y a d'autres attestations tout à fait claires de la transmission d'un grade de maître dès les années 1725-1726 dont une, fameuse, dans la Philo Musicae et Architecturae Societas Apoloni . De plus, dans le Manuscrit Graham (datant de 1726, mais rapportant des traditions vraisemblalement antérieures), on trouve trois légendes bibliques. La première concerne Noé, la deuxième Bethsaléel et la « règle de trois » (il s'agit d'un certain nombre de choses que l'on ne peut faire qu'à trois) et la troisième Hiram. Ces trois récits sont très différents mais, lorsqu'on les superpose, on reconstitue exactement la légende du grade de Maître de Prichard. Dès lors, n'est-il pas légitime de penser que la légende, telle qu'elle est exposée pour la première fois en 1730, est une légende synthétique, rassemblant plusieurs courants légendaires qui existaient précédemment dans la tradition du Métier? Comme dans toute synthèse, un certain nombre d'éléments ne furent pas retenus, par exemple les personnages de Noé et Bethsaléel. Or, il se trouve précisément que le personnage de Bethsaléel joue un rôle dans le grade d'Excellent Maître, préparatoire à l'Arc Royal et que des usages de l'Arc Royal se réfèrent à « la règle de trois ».
Ainsi, ces éléments constitutifs de l'Arc Royal n'ont pas été inventés. Ceci ne veut pas dire pour autant que l'on a démembré un grade de maître primitif pour former l'Arc Royal. Notons simplement que l'une des légendes qui ont contribué à fonder le grade de Maître en 1730, se retrouve au coeur de l'Arc Royal.
Ne pourrait-on pas, dès lors, formuler l'hypothèse que ces trois légendes ont pu être mises en oeuvre dans des grades antérieurs à celui divulgué par Prichard? Dans cette perspective, il y aurait peut être eu plusieurs grades de maître contenant tout ou partie de ces légendes dont un grade fondé sur la légende avec Bethsaléel. Lorsque le grade de maître de 1730 s'impose, ces légendes ont pu continuer à vivre pour leur compte et à évoluer au sein d'autres grades. Nous avions déjà suggéré cette piste à propos de l'installation secrète en nous demandant si son contenu traditionnel n'est pas un ancien grade de maître ou grade de maître alternatif.
La deuxième question était: le contenu de l'Arc Royal est-il le développement d'un thème présent dans le 3° grade primitif ou résulte-t-il d'une innovation et, si c'est le cas, quelles pourraient être les sources?
Nous avons vu qu'il a existé une trame légendaire originelle mais il nous faut examiner maintenant un autre point.
Dans les années 1730, en Angleterre, apparaissent des Scot Masters Lodges (Loges de Maîtres Ecossais qu'il faut différencier des Masters Lodges ). Le terme « écossais » ne fait pas référence à l'Ecosse puisqu'il n'y a pas d'écossais dans ces loges. De plus, de pareilles loges n'existent pas en Ecosse. Dans ces Scot Masters Lodges , tous les frères sont déjà maîtres et sont reçus Maître Ecossais. Nous ignorons le contenu de cette réception puisque nous ne connaissons aucun rituel. Il est donc difficile d'en tirer un enseignement.
Mais on remarquera qu'au début des années 1740, en France, des grades de Maîtres Ecossais vont apparaître. Grâce à la correspondance des frères bordelais, nous savons qu'ils étaient en relation avec la franc-maçonnerie anglaise. Le thème symbolique central du grade de Maître Ecossais bordelais est celui de la voûte sacrée et de la crypte (de l' Arch ). De son côté, en 1744, John Coustos, dont la carrière maçonnique dans la première maçonnerie parisienne est bien connue, décrit un thème maçonnique très proche. Il est donc possible qu'une fois implantés sur le continent, ces grades ont reçu un enrichissement légendaire et qu'ils sont ensuite retournés en Angleterre pour former l'Arc Royal. Le thème de la voûte et de la crypte est aussi un thème majeur de l'Arc Royal tel que nous le connaîtrons dans le dernier tiers du 18° siècle.
Ainsi, nous pouvons avancer qu'il a existé un contenu légendaire de l'Arc Royal attesté dès 1726 (sans rapport cependant avec la voûte sacrée) tandis qu'en France apparaissent, vers 1740, des grades dont le thème central est celui de la voûte sacrée. Ce sont des grades dit « Ecossais ». Enfin, on trouve en Angleterre un grade qui synthétise toutes ces données: l'Arc Royal.
Venons-en maintenant à la troisième question: comment se fait-il que la Première Grande Loge ait apparemment ignoré le grade de l'Arc Royal jusque dans les années 1750? Si toute l'évolution que nous venons de décrire a eu lieu, comment expliquer que ce grade ait été introduit, en Angleterre, par la Grande Loge des Anciens d'origine irlandaise? Ceci est d'autant plus curieux que si l'Arc Royal était officiellement ignoré par la Grand Loge des Modernes, il y était tout de même largement pratiqué, à telle enseigne que le premier Grand chapitre de l'Arc Royal sera créé par des Modernes. Il nous faut donc nous interroger sur les sources immédiates de l'Arc Royal et nous tourner vers l'Irlande.
Dès 1725, un texte irlandais fait état d'un arc qui était transporté lors d'une procession de Maçons. En dehors de ce faible indice, nous savons que la maçonnerie irlandaise accordait une importance fondamentale à l'Arc Royal jusqu'à en faire le grade suprême de la Maçonnerie. Ceci voudrait donc dire que le thème de l'Arc, considéré comme supérieur au grade de maître, aurait été mis en place en Irlande.
Philip Crossle, dans l'article célèbre publié dans les transactions de la loge CC en 1928 et intitulé The Irish Rite , décrit l'évolution de la Maçonnerie irlandaise. A partir de savantes recherches, il suppose (car il n'existe pas de documents formels) qu'il existait trois grades en 1730: Apprenti, Compagnon et Maître. Mais le grade d'apprenti irlandais renfermerait la substance du grade d'apprenti et de compagnon tels qu'ils sont divulgués par Prichard; le grade de compagnon irlandais serait, quant à lui, similaire au grade de Maître et le grade de Maître irlandais serait une forme primitive de l'Arc Royal. Si cette hypothèse est exacte, l'état des grades décrit par Crossle ressemblerait assez à la situation qui prévalait dans les années 1720 en Angleterre où il existait deux grades seulement, le grade de compagnon renfermant certains éléments de l'actuel grade de Maître. Dans cette perspective, on peut admettre que la légende d'Hiram soit née en Angleterre tandis que le thème de l'Arc Royal s'est développé en Irlande.
C'est de cette possible rencontre entre tous ces éléments (un contenu primitif anglais, irlandais et peut-être un apport français) que serait né l'Arc royal dans les années 1740.
En dernière analyse, toute cette recherche sur les origines de l'Arc Royal nous ramène à un problème récurrent de la Maçonnerie: le quatrième grade. Dès que le système en 3 grades apparaît en 1730, la question d'un 4° grade se pose immédiatement. Il faut bien voir qu'avec un 4° grade, il ne s'agissait pas de rajouter un grade de plus mais, au contraire, de trouver ce qui devait être un achèvement, une fin, bref un grade terminal. Ceci est vrai partout et de tous les systèmes maçonniques. C'est le cas de la France vers 1740, comme on l'a vu, de l'Allemagne avec le grade d'Ecossais vert, préfiguration du Maître Ecossais de Saint-André (4° grade du Régime Ecossais Rectifié), ou encore du monde britannique avec l'Arc Royal.
On comprend que cette recherche fut intéressante , comme on disait au 18° siècle. Elle donna naissance à une floraison de hauts grades qui tous, à un titre ou à un autre, se sont voulus des grades terminaux supposés compléter, accomplir et parfaire l'oeuvre maçonnique.