INFORMATIONS BIBLIOGRAPHIQUES ET ACTUALITÉS DE LA MAÇONNERIE ANGLAISE

(Roger Dachez)

1994

Masonic Square, vol. 22, n°4, décembre 1993

Ce numéro nous propose deux documents iconographiques intéressants.

La page de couverture reproduit une affiche représentant le prince de Galles, Grand Maître de la Grande Loge Unie d'Angleterre de 1874 à 1901 (date à laquelle il devient roi sous le nom d'Edouard VII), entouré par des instruments maçonniques, à l'occasion de la publication d'une "Masonic Valse". Au début du siècle, la G.L.U.A.. avait en effet l'habitude de parrainer des bals publics d'une très grande tenue qui rassemblait la haute aristocratie et les dignitaires de la G.L. A cette occasion des compositeurs comme Charles Godfrey écrivaient de la musique maçonnique et notamment des valses.

Dans un autre registre, voici, page 200, le seul document photographique connu de l'auberge "L'Oie et le Grill" (Goose and Gridiron) qui fut le lieu de fondation de la G.L. de Londres en 1717. Cette bâtisse fut détruite en 1894 et la photo elle-même, prise dans les années 1870, n'a été redécouverte que très récemment.

Casting the first stone ou "l'hypocrisie du fondamentalisme religieux dans la société moderne" par Robert Gilbert. Element, books limited, Longmead, Shaftesbury, Dorset, 1993

Libraire, spécialiste de bibliophilie maçonnique et des sociétés ésotériques, Passé Maître des Quatre Couronnés, dignitaire de la G.L.U.A., Robert Gilbert fait partie de l'establishment de la Maçonnerie anglaise tout en étant, par ailleurs, un marginal.

En effet, à côté de la G.L.U.A. qui se veut une institution sérieuse, raisonnable et responsable (évitant de se fourvoyer dans les sentiers d'un ésotérisme échevelé ou exotique), il existe de nombreux groupes maçonniques, différents des grades "bleus", où un ésotérisme qui confine parfois à l'occultisme pur et simple s'exprime volontiers. Mais ces groupes, quoique nettement distincts, sont souvent associés à la G.L..

Ainsi Gilbert est membre de nombreuses sociétés maçonniques et para-maçonniques. De même, sur le plan religieux, il appartient à l'église Swedenborgienne d'Angleterre (3).

Il est donc à la fois érudit maçonnique, membre éminent de la G.L.U.A. et aussi membre d'un très grand nombre de cercles plus ou moins ésotériques ou occultistes.

Cet ouvrage traite d'un sujet apparemment éloigné de la Maçonnerie mais qui est en réalité assez proche. Gilbert étudie l'origine et l'aspect actuel du fondamentalisme religieux à caractère chrétien et son influence sur les sociétés en Europe. Cette étude sociologique lui a été inspirée par les attaques dont a été l'objet la G.L.U.A. depuis quelques années.

Ces attaques qui venaient essentiellement de milieux religieux ont deux sources principales:

1°) les fondamentalistes évangéliques qui sont une frange pure et dure du Protestantisme et en particulier les Méthodistes qui jouent un grand rôle en Angleterre,

2°) à l'opposé de l'échiquier religieux anglais, les membres de la "High Church" de l'Eglise d'Angleterre ().

Ces milieux ont manifesté quelque intolérance à l'égard de la Maçonnerie anglaise alors que cette dernière en avait été jusqu'alors totalement épargné.

Ceci a conduit Gilbert à s'interroger sur les raisons qui font que la Maçonnerie, mais aussi d'autres groupes sociaux, se trouvent en butte à l'intolérance religieuse et il en vient à examiner les origines profondes de l'antimaçonnisme.

Il analyse toutes sortes de manifestations de cette intolérance, principalement celles manifestées par de petits groupes religieux.

La structure des sociétés anglo-saxonnes permet de comprendre comment la Maçonnerie a pu prendre naissance et s'y développer. Ces sociétés ont eu une histoire religieuse extrêmement mouvementée. Au XVIIIè siècle, les tourments causés par les luttes fratricides entre chrétiens en Angleterre et le désir d'en finir avec de telles horreurs ont favorisé l'éclosion d'un mouvement de tolérance et de liberté religieuse. Si ce climat apaisé a très certainement contribué à l'apparition de la Maçonnerie obédientielle, il explique aussi la nature congrégationaliste de ces sociétés constituées de petites communautés. En effet, c'est à partir de ce moment que ces communautés ont acquis le droit à l'existence en vertu de cette nouvelle liberté religieuse qui s'est installée dans ces pays bien avant le vieux continent.

Mais cette liberté religieuse, qui est en soi une très belle chose, a un effet pervers. Elle est conçue par chaque communauté comme étant une liberté qu'elle doit être la seule à exercer. Elles ont, en effet, chacune le sentiment très fort de détenir la vérité, d'être la plus juste et de rassembler les élus. Ces communautés estiment donc, qu'au nom de la liberté religieuse, elles ont le droit d'exercer pleinement leur action. Mais ceci ne peut se faire totalement, dans leur logique, qu'au détriment de celle des autres qui, par le seul fait d'exister, limitent cette liberté. Chaque communauté se conçoit comme un monde clos qui se justifie par lui-même sans aucune référence aux autres. Car si ces congrégations vivent librement, elles vivent aussi séparément, se refermant sur elles-mêmes et ne voyant plus le monde qu'à travers le prisme de leurs convictions personnelles. Cela entraîne des réactions d'intolérance dont la Maçonnerie est souvent la première victime comme c'est le cas aujourd'hui en Angleterre et en Amérique. Il y a là une évolution de l'histoire des mentalités intéressante à méditer.

En effet, à partir du moment où la Maçonnerie (et même si elle exige des références métaphysiques et en particulier la croyance en un Etre Suprême) va au delà de ces clivages congrégationalistes et n'établit pas de différences entre ces groupes religieux, elle devient un lieu de rencontre. Elle crée des liens et des contacts entre ses membres, à quelque groupe religieux qu'ils appartiennent. Elle met ainsi en cause l'intégrité de chacun de ces groupes, lesquels finissent un jour ou l'autre par réagir.

Les fondamentalistes protestants ont été historiquement les premiers à le faire parce que ce sont les groupes les plus petits donc les plus fragiles et qui ont les positions les plus extrémistes. A l'opposé, les institutions, comme l'Eglise d'Angleterre, ont réagi plus tardivement parce qu'elles se sentent moins menacées.

Cette analyse sociologique de l'antimaçonnisme nous permet de comprendre que la Maçonnerie n'est pas seulement menacée par le fanatisme religieux ou le despotisme politique, ce qui n'est a priori guère le cas dans les pays anglo-saxons. Elle peut l'être aussi en raison de sa structure même qui se trouve en opposition avec les structures d'une société fondée sur des petits groupes relativement fermés les uns aux autres. Cette explication peut s'étendre mutatis mutandis à des pays différents, comme la France par exemple.

L'état de la Maçonnerie anglaise aujourd'hui

a) Le recueil des actes de la Leicester lodge of research (C'est une loge provinciale de recherche assez fameuse en Angleterre. L'article dont il s'agit reprend une conférence prononcée devant une Loge de Maîtres Installés, c'est-à-dire de Vénérables Maîtres. Ces Loges de Maîtres Installés sont, en réalité, des structures à valeur administrative qui servent de relais entre la G.L.U.A. et les Loges.) contient un article d'un Député Grand Maître Provincial étudiant l'évolution des effectifs de la Grande Loge Unie d'Angleterre depuis dix ans.

Pendant cette période, cette dernière a connu des difficultés de tous ordres, morales, matérielles, politiques et religieuses. Le point de départ en avait été la publication du livre de Stephen Knight The Brotherhood. Ce pamphlet dénonçait, de façon extrêmement violente, certains aspects de la Maçonnerie anglaise et montrait l'émergence d'un nouveau courant d'opinion antimaçonnique à forte connotation religieuse.

Les conséquences de tous ces déboires sont perceptibles au niveau des effectifs de la G.L.U.A.. S'il est difficile de connaître le nombre de Frères, il y a 20 ans, en l'absence de toute statistique officielle (500/600 000 membres ?), la G.L.U.A. annonce aujourd'hui un chiffre officiel de 250 000 membres. Quoi qu'il en soit de l'ampleur réelle de cette baisse, il convient de remarquer que les responsables de la G.L.U.A. ne cherchent pas à cacher une réalité même peu flatteuse, ni à dramatiser une situation préoccupante. La G.L.U.A., à travers cet article, veut simplement prendre date et commencer une analyse critique d'elle-même: comment cette situation est arrivée ? Quelle a été l'attitude de la G.L.U.A. jusqu'à présent ? Que doit-elle faire ? Que peut-elle faire aujourd'hui ?

b) Dans ce même domaine de préoccupations, le magazine Masonic Square propose un article assez étonnant si l'on tient compte du fait que cette revue de vulgarisation exprime un point de vue "autorisé" et que les personnalités les plus importantes de la G.L.U.A. s'y expriment.

Cet éditorial, signé Pat Streams collaborateur habituel de la revue et intitulé Is our ritual a millstone? (Est-ce que notre rituel est un fardeau?), est significatif des préoccupations de certains milieux de la G.L.U.A.. Il nous renseigne en même temps sur le regard que porte la Maçonnerie anglaise sur elle-même.

Il n'est pas douteux que le titre que l'on peut lire ci-dessus nécessite une explication. Je ne suis pas en train de suggérer que tout rituel soit un fardeau. En réalité, il est clair qu'en Maçonnerie, le rituel (et sa mise en oeuvre) est l'une des lumières majeures de l'Ordre et l'un des Landmarks fondamentaux de notre Ordre. Mais ce que je voudrais tenter d'apprécier, c'est de savoir si le rituel dont nous faisons usage habituellement est adapté à nos jours et à notre époque; et aussi, ce qui est peut-être encore plus important, s'il remplit bien le propos pour lequel il a été élaboré ? (A ce point, je vois une multitude de Maçons se récriant avec horreur et me disant "mais nous avons toujours fait cela de cette manière...")

Qu'on me comprenne bien. Je crois et je professe que notre rituel dit des choses justes et qu'il prêche le bon sermon. Je pense que le message est bon, que ce soit pour notre époque ou pour une autre. Je ne serai pas en Maçonnerie si je sentais les choses différemment. Mais il est certain que nous n'avons pas toujours fait les choses comme nous les faisons aujourd'hui.

Mon sentiment c'est que lorsqu'un sermon est tellement interminable que toute l'assistance a sombré dans le sommeil avant la fin, il est inefficace. Or, il suffit de regarder parfois autour de soi dans une loge pendant une cérémonie pour comprendre ce que je veux dire.

Avant tout, nous devons garder autant que possible notre rituel originel - ou aussi près de ce que nous pensons être notre rituel originel. Il est admis par la plupart des historiens maçonniques sérieux que la cérémonie d'Apprenti Entré, à la fin des années 1600, consistait à peu près uniquement dans une obligation relativement courte suivie d'un bref enseignement par demandes et réponses, un catéchisme.

Il est raisonnable d'affirmer qu'à cette époque-là, le candidat assimilait parfaitement cette obligation, notamment parce qu'elle était relativement brève. Au début des années 1700, c'était encore largement le cas comme peut en attester la grande divulgation de Samuel Prichard La Maçonnerie disséquée (1730).

Cependant, si l'on se reporte 100 ans plus tard (et jusqu'à nos jours), après que de nombreux précepteurs aient effectué d'importantes additions, (...) nous sommes arrivés à l'état actuel des rituels tels que nous les utilisons de nos jours dans les Loges. Ce rituel est, sans aucun doute, beaucoup trop long, compliqué et répétitif utilisant souvent des mots archaïques sans raison valable.

Naturellement, le bon côté des choses fait que, pour une pièce de théâtre, c'est absolument admirable. Mais si l'intention du rituel est de graver dans la mémoire du candidat les objets essentiels qui sont ceux de la Maçonnerie, d'attirer son attention sur eux, alors il est à présumer que c'est un échec complet. Quand quelqu'un prend une obligation, le message que comporte cette obligation doit être imprimé de manière indélébile dans son esprit. Le rituel maçonnique, tel que nous l'utilisons de nos jours, n'est certainement pas fait pour obtenir ce résultat.

Si vous en doutez, demandez simplement à un candidat, le jour de sa réception, ce qu'il a retenu de la cérémonie. Il vous paraîtra, habituellement, totalement confus. Mais vous n'avez pas réellement tout demandé alors au candidat. Vous avez vu de nombreux candidats - et si vous êtes honnête avec vous même, vous admettrez que vous vous absorbiez à tout autre chose qu'à la cérémonie en beaucoup d'endroits - mais vous ne les avez peut-être pas suffisamment écoutés. Cela signifie encore que, bien que les Frères présents à une cérémonie puissent être relativement marqués par cette cérémonie, ceci notamment grâce aux efforts du Vénérable Maître, le message n'est pas, généralement, complètement ni correctement délivré.

Si ce message est délivré, ce qui n'est pas toujours le cas, il est, de toute manière, véritablement noyé dans une vague déferlante de verbiage qu'il est totalement impossible d'assimiler. Pour être tout à fait honnête, le message commence seulement que, déjà, on le perd de vue.

L'auteur ajoute que tout ceci est aggravé par le fait qu'en Angleterre on apprend le rituel par coeur.

Un autre argument contre le rituel tel qu'il existe de nos jours tient au fait de sa complexité, de telle sorte que la plupart des loges perdent un temps considérable pour que leurs officiers puissent l'assimiler et le retenir par coeur. (...) Toutes ces choses, et tout ce temps perdu, se font peut-être au détriment d'autres occupations importantes telles que la bienfaisance et l'éducation maçonnique.

Si nous acceptons (et je pense que la plupart d'entre nous le font) notre rituel tel que nous l'utilisons actuellement, ne sommes-nous pas amenés parfois à nous demander s'il ne faut pas y trouver des alternatives. Dans certaines parties du monde, le problème de l'apprentissage par coeur n'existe pas car les frères ont devant eux un cahier qu'ils lisent. Il n'est pas certain d'ailleurs que cela permette de gagner du temps car, au lieu d'apprendre le rituel, les frères doivent produire des travaux en loge. Ou pire encore, on passe son temps à s'enfoncer dans des discussions sans fin.

Je pense qu'une meilleure chose à faire serait peut-être, au lieu de perdre son temps à apprendre comme un perroquet le rituel par coeur, de le retoucher.(...) Que les mots que nous prononçons soient dits par coeur ou lus dans un livre, le résultat sera le même si ce sont des mots compliqués et trop longs. Soporifique.

A mon sens, il n'y a rien de faux ni de mauvais dans nos rituels, il n'y a surtout rien d'excessif qu'un bon "régime" ne puisse guérir. Notre rituel, sans aucun doute possible, est trop verbeux, trop long, trop archaïque, trop répétitif. Il devrait être (et en réalité, il est) tout à fait facile de couper les mots en excès, de simplifier le texte et d'éliminer toutes les répétitions. En d'autres termes, dire exactement les mêmes choses que nous avons dites depuis deux cents ans mais dans un anglais simple et élémentaire (basic English). Cela d'ailleurs serait plus facile à retenir et certainement plus facile encore à comprendre.

J'ai d'ailleurs exercé ce travail sur certaines parties de notre rituel. Naturellement je n'ai pas la place de le reproduire ici, mais je suis parvenu, sans difficulté majeure, à condenser l'obligation de l'Apprenti Entré à environ cinquante pour cent de son volume actuel. Plus encore, la plupart des Maçons à qui j'ai montré cette nouvelle version l'ont trouvée plus simple à lire et plus riche de signification. Dans beaucoup d'endroits, le rituel pourrait être réduit des deux tiers sans changer le contexte et en rendant les mots plus riches de signification. En résumé, selon moi, nous avons besoin d'un rituel simplifié en anglais élémentaire, (Condensed Ritual in Basic English).

Cela mériterait vraiment d'être essayé. Peut-être, dans un premier temps seulement dans certaines loges choisies. Nous pourrions ainsi produire une première génération d'Apprenti Entré qui comprendrait vraiment de quoi nous sommes en train de leur parler depuis le premier jour et jusqu'à celui où, en dignes maçons, ils parviendront à la chaire de Maître de la loge.

Cet article traduit donc incontestablement des préoccupations nouvelles. Il est difficile d'imaginer, en effet, qu'il y a dix ans, un tel texte ait pu être publié dans Masonic square. Aujourd'hui, la Maçonnerie anglaise se pose beaucoup de questions. On constate, en effet, qu'elle a été l'objet d'attaques et qu'elle n'attire plus autant de personnes qu'autrefois. Et au lieu d'en chercher exclusivement les causes à l'extérieur, elle s'interroge maintenant sur ce qu'elle a fait et sur ce qu'elle peut faire. Elle s'interroge sur sa méthode, sa manière d'être, sa façon de faire dans les loges et en particulier le rôle de son rituel.

C'est un problème important parce que la Maçonnerie anglaise a tiré une partie de sa puissance et de sa grandeur de son rituel au caractère imposant, majestueux et exécuté à la perfection. Cet aspect impressionnant était encore renforcé par la comparaison avec d'autres Maçonneries plus désinvoltes voire confuses. Mais aujourd'hui, nos frères anglais se demandent s'ils ne sont pas victimes de la forme de leur Maçonnerie qui devient desséchée et dépourvue de vie. Le débat est ouvert.

Discussion :

Rappelons d'abord que, dans une certaine mesure, il existe une séparation assez nette dans la Maçonnerie anglaise entre la recherche et la G.L.U.A. Dans la loge de recherches des Q.C., n°2076, il y a eu un extraordinaire travail de remise en question, travail effectué avec le sérieux et la compétence que l'on connaît tandis que la Maçonnerie anglaise, dans son ensemble, est restée en marge de tout cela et a continué son existence, imperturbable. Et pourtant, il est question des origines de la Maçonnerie et de ses formes au début du XVIIIè siècle. Ces travaux ont ainsi permis une comparaison entre cette maçonnerie simple et fondamentale et celle, beaucoup plus compliquée et sophistiquée, du XIXè siècle. De là viennent naturellement les questions suivantes: les choix faits au siècle dernier ont-ils été les bons ? Ne faut-il pas revenir à quelque chose de plus simple et de plus conforme aux origines telles qu'elles sont maintenant connues ?

Un autre élément à prendre en compte est le problème de l'éducation maçonnique des Frères. S'il existe des ouvrages permettant aux Frères de comprendre la signification de la Maçonnerie, des cérémonies, des instructions, de la loge etc., si le message délivré est, dans le fond, assez simple et essentiellement moral, il n'en reste pas moins que l'on se plaint de ne pas avoir assez de temps pour l'intégrer. Le résultat est que la plupart des frères n'ont pas une bonne éducation maçonnique. Il est vrai que ce n'est pas un problème spécifiquement anglais!

Ce rituel si ampoulé et si long n'est-il pas finalement un obstacle à une meilleure compréhension de la Maçonnerie?

De même, est-il vraiment nécessaire pour l'exercice de la bienfaisance, notion fondamentale de la tradition maçonnique anglaise? Il existe des organismes de charité largement subventionnés par la G.L.U.A. mais on souhaiterait maintenant que les frères réfléchissent et s'engagent un peu plus personnellement dans des actions de bienfaisance.

C'est, bien sûr, une question de forme et non de fond car il n'est pas question que la G.L.U.A. s'engage politiquement ou socialement.

On remarquera aussi que les discours du rituel (par exemple l'explication du tableau du grade ou l'exhortation du V.M après l'initiation) sont, par le fond comme par la forme, de véritables sermons du XIXè siècle, écrit dans la langue des prédicateurs. Il ne faut pas oublier en effet, qu'au siècle dernier comme aujourd'hui, les dignitaires de l'Eglise d'Angleterre étaient dignitaires de la G.L.U.A. Or ces sermons, qui ne sont pas sans beauté, sont passés de mode. On ne les entend même plus dans l'Eglise d'Angleterre. Ceci renforce le caractère anachronique des rituels. Les loges, bien après les églises, restent le dernier endroit où l'on tient encore de pareils discours. C'est incontestablement un problème. Paradoxalement, les formes primitives du rituel correspondent beaucoup plus aux formes de communication moderne.

Toutes ces choses, de même que l'attitude de la G.L.U.A. en réponse aux attaques de Stephen Knight et de l'Eglise d'Angleterre (en 1986 on a supprimé les châtiments des obligations et procédé à des modifications très importantes dans "l'Arc Royal" en espérant apaiser les choses), nous conduisent à penser que la G.L. s'est engagée dans une large politique de remise en question (aujourd'hui c'est le problème des rituels) dont nul ne peut prévoir le développement et les conséquences à long terme.

Poursuivant cette réflexion, les Frères dressent un inventaire de questions:

Cet article correspond-t-il à un état général de la Maçonnerie anglaise ?

Est-ce une initiative personnelle de Pat Streams (bien que cela apparaisse peu probable car il ne semble guère possible de publier un tel éditorial dans M.S. sans qu'il ait eu l'aval des autorités de la G.L.U.A.) ou bien agit-il pour le compte de certains milieux dirigeants de la G.L.U.A. qui lancent un ballon d'essai pour connaître les réactions, comme une sorte de sondage auprès des frères avant une éventuelle réforme?

Parmi d'autres motivations qui ont présidé à cet article, faut-il voir une volonté de retour à la tradition? Cela ne posera-t-il pas des problèmes graves quant à l'unité de la Maçonnerie anglaise?

Quelles autres raisons sont possibles?

Un problème de recrutement?

Les suites de l'affaire Stephen Knight? Mais les effets de ce livre, limités par ses arrières pensées politiques liées à une certaine gauche travailliste (à différencier des travaillistes libéraux) sont-ils vraiment si importants à l'intérieur de la Maçonnerie?

Les relations avec l'Eglise d'Angleterre? N'oublions pas que cette dernière a aussi beaucoup de problèmes à résoudre. Il serait étonnant de la voir rouvrir le débat. Il y a toutefois la question des sectes dissidentes qui sont toujours très virulentes.

L'aspect financier (le prix des agapes, celles-ci sont partie intégrante des Tenues) et les problèmes de locaux? Il faut surtout voir ici les effets de la crise économique et la baisse des revenus. C'est un problème de conjoncture et non de structure maçonnique.

Quant aux rituels désuets, leur modification ne risque-t-elle pas de remettre en question leur esprit universaliste? Bien sûr, ce ne serait pas le cas si l'on utilisait le rituel des "Trois coups distincts" (1760) qui est très compréhensible et délivre un message clair et important.

Ce débat, on s'en doute, continuera au sein de la G.L.U.A..

Ars Quatuor Coronatorum, présentation du vol.105 (année 1992, publié en octobre 1993)

Ce qui est et reste la meilleure revue de recherche maçonnique au monde traverse depuis quelque temps une phase moins intéressante. Il est vrai qu'elle nous avait habitués, ces trente dernières années, à des numéros passionnants avec des articles fondamentaux et révolutionnaires, tels ceux d'Eric Ward, de Colin Dyer etc., remettant en cause les théories sur les origines de la Maçonnerie.

Cette nouvelle livraison n'apportera guère de nouveautés et nos frères anglais en profitent pour aborder des thèmes variés.

La conférence du Vénérable Maître, Douglas E. Viller est consacrée au Master's Key de John Browne (1802). Celui-ci se situait dans la perspective de l'oeuvre de William Preston.

Walter Sharmann aborde la question des termes hébreux et des prières dans Ahiman Rezon de L. Dermott. Dans ce texte qui est la version des constitutions des Anciens, il y a effectivement un substrat d'origine hébraïque important.

S. Brent Morris examine un sujet mal connu de nos Frères anglais, le mystère du manuscrit Folger. Ce manuscrit est un document maçonnique chiffré très curieux. Il s'agit d'un rituel du Rite Ecossais Rectifié retrouvé aux Etats-Unis. Ce rite est quasi inconnu dans ce pays et on comprend que nos Frères anglo-saxons l'aient pris pour un "mystère".

On notera encore les articles de Charles E. Lepper à propos du grand érudit de la Maçonnerie irlandaise, John Heron Lepper, de C. Matteo Pellizi sur une loge anglaise, et plus précisément une loge jacobite, à Florence au XVIIIè Siècle, de A.J. Owen sur la devise de l'Arc Royal, de R. Keith Muir sur l'affaire Morgan bien que ce sujet soit pourtant largement étudié et connu, de L. Zeldin sur le symbolisme des couleurs dans la franc-maçonnerie, thème rarement abordé dans la Loge des Q.C..

Relations internationales

Il y a quelques mois, la G.L.U.A.avait retiré sa reconnaissance à la G.L de Grèce et seulement suspendue celle du G.O. d'Italie. Nous apprenons qu'il a été constitué en Grèce une nouvelle obédience, La Grande Loge Nationale de Grèce qui est reconnue. Quant à l'Italie, la reconnaissance du G.O. est maintenant retirée et une Grande Loge régulière d'Italie a été très récemment constituée.

Renaissance traditionnelle, n° 97-98, janvier-avril 1994

Trois articles concernent directement la Maçonnerie anglaise:

  • Essai sur les origines du grade de Maître (IV). Il s'agit de la suite d'une importante étude qui examine dans ce numéro les sources probables de la célèbre divulgation de Samuel Prichard Masonry Dissected (1730).
  • Un des premiers canulars de l'histoire maçonnique: Le Manuscrit LELAND-LOCKE (1753). Ce faux maçonnique est d'autant plus intéressant qu'il a eu un succès prodigieux. On a cru à son authenticité pendant près d'un siècle et il a profondément marqué des rituels dont certains sont toujours en usage aujourd'hui ! C'est dire la fortune que peuvent avoir certains canulars lorsqu'ils sont bien construits...
  • Le Grand Mystère Dévoilé (1726), traduction inédite et présentation de cette divulgation très peu connue par Henri Cachin.

Masonic square

L'article de Pat Streams critiquant la forme du rituel actuellement pratiqué au sein de la Grande Loge Unie d'Angleterre, le qualifiant d'archaïque, verbeux et incompréhensible et invitant à le réduire d'un tiers ne pouvait que susciter des réactions. En effet dans le n° de juin 1994 , quatre pages y sont consacrées sous la rubrique Ritual replies. Le rédacteur en chef précise qu'il a reçu 43 lettres dont 40 approuvent Pat Streams. Dans l'ensemble, les lecteurs pensent que les rituels pourraient être plus simples et privilégient le fond sur la forme. Dans le numéro de décembre , le brigadier Jackson, Passé Maître des Quatre Couronnés admet que beaucoup de mots sont difficiles à comprendre si bien qu'il a été amené à rédiger un glossaire.

Le débat continue.