INFORMATIONS BIBLIOGRAPHIQUES ET ACTUALITÉS DE LA MAÇONNERIE ANGLAISE

(Roger Dachez, Pierre Gauchet et Gérard Gefen)

1992

"Masonic square" n°s de mars, septembre et décembre 1991

Cette revue n'a pas de prétention à l'érudition. Elle nous propose un visage vivant de la maçonnerie anglo-saxonne et nous permet de mesurer son degré d'intégration dans la vie sociale. Par exemple, la photo de couverture du n° de mars 1991 nous montre les armées anglaises pendant la guerre du Golfe. On nous indique que la Grande Loge Unie d'Angleterre a soutenu les soldats anglais en leur apportant une aide et une assistance morale et matérielle avec l'appui de la nation britannique toute entière. Si ces proclamations n'ont, en Angleterre, aucun caractère politique, on comprendra aisément qu'en France elles auraient beaucoup plus de mal à être acceptées. En effet la maçonnerie anglaise est encore aujourd'hui et malgré les attaques dont elle est l'objet, totalement intégrée à l'establishment. Elle fait partie des institutions et des bases morales de la société au même titre que l'Eglise d'Angleterre, le trône, l'armée ou les nombreuses organisations caritatives. Aussi, être maçon en Angleterre est un honneur et un privilège social. Il faut se souvenir de cela pour comprendre certaines positions de la maçonnerie anglaise.

Dans le n° de décembre 1991, on trouve comme d'habitude quelques monographies sur des loges de province.

Le Masonic Album est une rubrique photographique. Dans les numéros de septembre et décembre 1991, il y a un reportage sur la franc-maçonnerie américaine. On voit par exemple le local de la John Wayne lodge, au Texas, qui exhibe sous la Bible et devant l'autel un grand foulard représentant John Wayne et sa célèbre Winchester avec le canon pointé vers le haut. Le rédacteur commente malicieusement la photo ainsi: The VSL is on top, la Bible est au sommet!. De même apprend-on dans le n° de décembre 1991 (p. 217) que la G.L. d'état du Connecticut a obtenu une plaque d'immatriculation qui est sa propriété (l'immatriculation des automobiles est personnelle dans la plupart des états américains) et qui est la suivante: MWGM c'est-à-dire Most Worshipful Grand Master ou Très Respectable Grand Maître. Cette plaque est bien sûr attribuée à la voiture du Grand Maître en exercice... Tout cela fait partie de la physionomie déconcertante de la maçonnerie américaine, maçonnerie publique, sans retenue, sans secret et pleinement intégrée dans la vie sociale.

On remarquera quelques photos sur la maçonnerie Ecossaise, notamment celle du local de la G.L. d'Ecosse , du suprême grand chapitre de l'Arc Royal à Edimbourg (M.S. décembre 1991, p. 224). On nous annonce également la création et l'installation d'une loge d'études et de recherches de la G.L. d'Ecosse. (p. 228).

Roy Wells, Understanding Freemasonry, (Comprendre la Franc-Maçonnerie), Lewis Masonic, 1991

Roy Wells était un érudit maçonnique, membre de la loge des Quatre Couronnés. Il est décédé le 16 novembre 1990 (cf M.S. mars 1991 p. 10).

Cet ouvrage est un recueil de ses principaux travaux historiques. L'auteur s'est particulièrement consacré à l'étude de l'Arc Royal qui a en Angleterre une position ambigüe par rapport à la maçonnerie bleue. En effet l'Arc Royal est considéré comme un complément du grade de Maître et non comme un 4ème grade. On le décrit pourtant, selon les termes utilisés dans la maçonnerie anglaise, comme le coeur et la moelle de la maçonnerie en général.

On trouve dans ce livre:

  • 4 articles intitulés "Understanding Freemasonry" qui sont une présentation de la maçonnerie anglaise.
  • un article sur l'origine du tuileur.
  • plusieurs études sur les loges de Maîtres. Ces loges de Maîtres constituaient dans les deux derniers tiers du XVIIIème siècle une certaine élite au sein de la maçonnerie anglaise. Vers 1730 à Londres et en Angleterre en général, apparaissent des "Masters lodges", des loges dites de Maîtres qui se réunissent et travaillent au 3ème grade uniquement pour recevoir des candidats. Pendant tout le XVIIIème siècle, le grade de Maître est relativement peu pratiqué. L'immense majorité des maçons arrêtaient leur carrière au 2ème grade, celui de Compagnon du métier. Seul un petit nombre d'entre eux accédaient au grade de Maître. C'est alors seulement qu'ils faisaient partie de leur loge bleue comme membre actif à part entière. Dans les autres cas, les loges se contentaient de "faire des maçons" selon l'expression anglaise et de les passer très rapidement au 2ème grade. Ces Frères n'étaient pas membres de la loge, ils étaient libres ensuite de faire ce qu'ils voulaient. Ainsi pour se fixer dans une loge, il fallait être reçu Maître. Ce dispositif est très mal connu aujourd'hui car depuis l'union de 1813, on considère qu'il y a en maçonnerie 3 grades et 3 seulement. Cet usage est en fait récent et ne correspond en rien à ceux du XVIIIème siècle où il y avait une maçonnerie commune et répandue des 2 premiers grades puis une maçonnerie haute et quasi facultative, celle du 3ème grade.
  • des études sur l'Arc Royal.
  • une étude sur l'union de 1813, époque où les deux grandes loges rivales qui se sont déchirées en Angleterre tout au long du XVIIIème siècle, se sont unies pour former la G.L.U.A.

Frederick Smyth, Brethren in Chivalry, Lewis Masonic, 1991

Frederick Smyth est membre de la loge des Quatre Couronnés dont il fut le V.M. en 1980. C'est un chercheur éminent. Il est l'éditeur d'ouvrages de poche contenant tous les renseignements utiles sur la F.M.: "The Freemason's Pocket Reference Book" et "The Pocket History of F.M.", une histoire de poche de la Franc-Maçonnerie.

"Brethren in Chivalry" 1791-1991 célèbre le 2ème centenaire du Grand Prieuré uni des ordres religieux, militaires et maçonniques du temple de St-Jean de Jérusalem, de Palestine, de Rhodes, de Malte pour l'Angleterre, le pays de Galles et les provinces d'Outre-mer, autrement dit les "Knights Templar" ou chevaliers templiers. Cet aspect de la maçonnerie, les "side degrees" i.e. la maçonnerie "à côté" (de la maçonnerie bleue) est très important dans la vie maçonnique anglaise. Les Knights Templar, ordre para-maçonnique où la qualité maçonnique est cependant obligatoire, veulent prolonger la légende templière, ce qu'ils font depuis le XVIIIème siècle. Nous savons qu'en 1813, la maçonnerie anglaise a fait son unité non seulement obédientielle mais aussi religieuse en retranchant des 3 premiers grades toutes les références néo-testamentaires de telle sorte que tous les frères de quelque confession qu'ils fussent puissent se retrouver dans les loges. Or il y a eu à côté de cela une persistance de systèmes para-maçonniques qui, eux, ont conservé des références chrétiennes. Il existe deux systèmes maçonniques majeurs qui possèdent cette caractéristique:

  • les Knights Templar où il faut être Maître maçon, compagnon de l'Arc Royal et chrétien.
  • le Suprême Conseil du Rite Ecossais Ancien et Accepté. En Angleterre, le seul grade vraiment pratiqué, le 18ème, n'est accessible qu'aux maîtres maçons qui font aussi profession de foi chrétienne.

Ceci nous permet de comprendre comment la maçonnerie anglaise a pu faire son unité sur l'Ancien Testament, tandis que les ordres para-maçonniques conservaient une tradition chrétienne.

Le livre de F. Smyth contient une très riche iconographie et une histoire chronologique et événementielle de ces grands prieurés unis et offre un portrait extrêmement vivant des Knights Templar en Angleterre. Il nous rappelle en outre que si la maçonnerie anglaise proclame depuis 1813 qu'il n' y a que 3 grades en maçonnerie, y compris l'Arc Royal (ce qui en fait tout de même un 4ème), il ne faut pas oublier qu'il existe en Angleterre une quinzaine de systèmes maçonniques supérieurs au grade de Maître, qui sont tous très vivants et qui regroupent quelques 125 grades différents.

"Renaissance Traditionnelle"

  • une étude sur "l'évolution de la cérémonie d'Installation secrète de Maître Elu" par Harry Carr traduite par René Désaguliers (n°s 85 à 88). Harry Carr était aussi un grand érudit. Il est décédé depuis plusieurs années. L'installation secrète du V.M. est un des éléments essentiels de la tradition maçonnique anglaise. Elle remonte aux tous premiers temps de la maçonnerie spéculative. C'est un sujet important et pourtant totalement inconnu en France bien que l'installation secrète s' y répande.
  • un article de Michel Brodsky (R.T. n° 85), grand bibliothécaire de la G.L. régulière de Belgique et membre des Quatre Couronnés sur "Les sources du langage maçonnique". L'auteur essaie de montrer qu'on ne peut pas étudier les éléments du rituel de la tradition maçonnique indépendamment de l'histoire générale, que la maçonnerie est née, s'est développée, enrichie et modifiée dans le milieu socio-historique des îles Britanniques au XVIIIème siècle et qu'il est tout à fait important de la replacer dans son contexte. C'est alors que l'on s'aperçoit que les interprétations que l'on peut donner parfois de certains éléments du rituel ou du langage maçonnique sont, en l'absence de références historiques, des interprétations proprement délirantes.

Divers

Pierre Gauchet nous signale la parution récente du Journal de Rudyard Kipling (1865-1936) avec un passage concernant la F.M. Les éditions de la Pléiade ont commencé la publication de ses oeuvres complètes avec tout le soin et la qualité qu'on leur connaît. Toutefois, on a relevé dans les commentaires concernant des aspects maçonniques un grand nombre d'erreurs. Cela méritait une mise au point qui a été faite dans le n° 84 de R.T. "Kipling et la F.M. dans la littérature récente" par Rogez Dachez et Pierre Gauchet.

Pierre Petitjean signale un article de Jean Robert Ragache, G.M. du G.O.D.F. sur Kipling dans le dernier n° de "La Chaîne d'union".

The Grand Design par Wallace McLeod, selected Masonic Adresses and Papers published by Anchor Communications, Highland Springs, Virginia, for Iowa Research Lodge n°2, Des Moines, Iowa, 1991, (distribué par Ian Allan)

Wallace Edmond McLeod est un canadien, professeur de philologie et de littérature classique à l'université de Toronto. Il conduit sa carrière maçonnique au Canada où il a été initié en 1952, en Angleterre, il est membre de la Loge des Quatre Couronnés et il en a été le V.: M.: en 1982, et aux Etats-Unis puisqu'il fait partie de la société des Philalèthes, société d'érudits maçonniques comprenant, à l'image des Q.C., 40 membres au plus.

A l'instar de Harry Carr et de Roy Wells, on vient de rassembler dans un recueil les principaux articles qu'il a publiés depuis 10 ans. Ces articles sont intéressants à plusieurs titres.

On remarque d'abord de petits textes comme How to write a short talk (Comment écrire une courte communication) destiné aux FF.: de sa loge mère au Canada ou bien Preparing papers for presentation to in a research lodge (Préparer un article en vue de le présenter dans une loge de recherche).

Suit une étude plus importante Why I still believe in the transition theory (Pourquoi je crois toujours à la théorie de la transition). On sait que le problème des origines est la préoccupation majeure des historiens anglais de la Franc-Maçonnerie depuis 20 ans (). Ce n'est pas une simple curiosité d'érudits car les découvertes qu'ils sont amenés à faire seront probablement de nature à modifier un certain nombre de comportements et de conceptions relativement à la Maçonnerie elle-même.

La thèse actuelle consiste à remettre en question la présentation classique des origines de la maçonnerie spéculative affirmant qu'il y avait une transition permettant de repérer une continuité, une filiation matérielle, graduelle, progressive, insensible de la maçonnerie opérative à la maçonnerie spéculative. Cette théorie n'est plus tenable et elle a été repoussée par l'immense majorité des érudits maçonniques anglais.

Pourtant il se trouve encore, dans la Loge des Q.C., quelques érudits qui demeurent attachés à ce que l'on appelle depuis Harry Carr la théorie de la transition. Wallace McLeod est de ceux-là. Il estime que l'on ne peut pas mettre définitivement un terme à cette théorie, qu'il y en a encore de forts arguments pour penser que la maçonnerie spéculative s'est développée par transformation de la maçonnerie opérative. C'est ainsi qu'il parle des guildes maçonniques, des premières loges maçonniques, des maçons opératifs au Moyen-Age, du déclin de la maçonnerie opérative, de l'acceptation des premiers non-opératifs dans des loges écossaises et des débuts de la première Grande Loge. Pour l'essentiel, il reprend purement et simplement les idées de Harry Carr. Or ces idées ont été très fortement contestées et notamment la question de l'acceptation, c'est-à-dire l'admission dans les loges de non-opératifs lesquels se seraient substitués progressivement aux opératifs. Premièrement, ceci n'est documenté qu'en Ecosse. Deuxièmement, et nous le savons depuis les travaux de Stevenson (), même en Ecosse, on observe le contraire. Dans un très grand nombre de loges, au milieu et à la fin du XVIIè siècle, il n'y avait plus aucun maçon non-opératif, les loges étaient redevenues exclusivement opératives. On a même vu des loges d'origine spéculative devenir quelques années plus tard totalement opératives et cela jusque dans les années 1720. Par conséquent y compris en Ecosse, les choses ne sont pas aussi simples que le prétend McLeod.

Défendre aujourd'hui la théorie de la transition telle que l'a formulée Harry Carr est sur le fond une cause perdue. Si Wallace McLeod s'y risque, c'est qu'il n'ignore pas que les critiques émises contre cette théorie, même si elles sont très fortes, n'ont pas abouti à la formulation d'une théorie positive et synthétique de substitution. Certes beaucoup d'éléments sont maintenant identifiés mais des lacunes existent encore que McLeod exploite.

Suit un autre article extrêmement important The Old Charges. Cette conférence Prestonienne de 1986 a déjà été publiée dans les A.Q.C. et dans The Collected Prestonian Lectures, 3ème volume pp. 260 à 290.

La conférence Prestonienne est donnée une fois l'an par un érudit maçonnique sélectionné pour son savoir et porte généralement sur un sujet d'histoire. Elle est présentée à la Loge des Q.C. et diffusée ensuite dans toutes les Loges du pays. Elle est souvent d'un très haut niveau. Celle de 1986 est un article fondamental sur les Anciens Devoirs. Wallace McLeod est non seulement un excellent historien mais c'est en plus -comme nous l'avons déjà signalé- un philologue averti.

Les Anciens Devoirs représentent une tradition documentaire extrêmement importante. Ce sont des textes manuscrits dont les plus anciens remontent à la fin du XIVème siècle et qui sont encore produits au milieu du XVIIIème. Pendant tout le XVIIème et une grande partie du XVIIIème siècle, ils étaient considérés en Angleterre par les premiers maçons spéculatifs comme des textes fondateurs de la tradition maçonnique qui étaient nécessaires à l'accomplissement correct des travaux maçonniques.

Nous en avons un exemple avec l'initiation d'Elias Ashmole qui est une des rares initiations documentées de maçons spéculatifs au XVIIème siècle. On ne sait de cet événement que ce que nous en dit Elias Ashmole lui-même dans son journal:

"16 octobre 1646. 4 h 30 après-midi. J'ai été fait Franc-Maçon à Warrington, dans le Lancashire, avec le colonel Henry Mainwaring de Karincham dans le Cheshire.

Les noms de ceux qui étaient alors membres de la loge: M. Rich Penket, surveillant, M. James Collier, M. Rich Sankey, Henry Littler, John Ellam, Rich Ellam et Hugues Brewer ()."

Nous savons qu'il s'agissait d'une loge temporaire constituée pour la réception de deux FF.: Un certain nombre de ceux qui ont participé à cette loge sont connus. Si nous ignorons quel rituel a été employé, nous savons par contre qu'on a utilisé ce jour là un manuscrit des Anciens Devoirs, le manuscrit Sloane 3848, ce qui a été certainement un élément fondamental de la cérémonie. C'est un texte des Anciens Devoirs tout à fait classique qui fait partie de la collection des manuscrits Sloane. Il porte au verso une mention spécifiant qu'il a été copié la veille de l'initiation d'Elias Ashmole. Il est signé Edward Sankey qui était le fils de M. Sankey membre de la Loge de Warrington cité dans le journal d'Ashmole.

Par cette découverte importante, nous apprenons que ce manuscrit des Anciens Devoirs servait à deux choses. D'abord il constituait une sorte de patente qui rendait régulier ce qui était fait. Ces gens avaient une très haute idée de la tradition maçonnique. Ils considéraient qu'on ne pouvait pas faire ce qu'on voulait et qu'il fallait une autorité pour le faire. Comme il n'y avait pas de Grande Loge à cette époque ni d'organisation administrative à l'échelon national, ils recouraient à un moyen beaucoup plus traditionnel que l'administration et qui était la possession d'un manuscrit des Anciens Devoirs. Ce document servait également de support à la cérémonie parce qu'il contient le texte d'un serment. Il est certain que le serment prêté par Ashmole fut celui-ci. Ce texte renferme aussi un enseignement: l'histoire traditionnelle, fabuleuse et mythique de la maçonnerie, histoire importante -même si elle n'est pas scientifique- puisqu'elle montre l'idée que l'on se faisait de la maçonnerie. On la percevait comme le dernier avatar d'une tradition très ancienne qui remontait aux origines du monde, une tradition du savoir fondée sur la géométrie.

Incidemment, nous apprenons quelle place a tenu la Maçonnerie dans la vie d'Ashmole. Mise à part la mention de 1646, il y a dans son journal une autre mention en 1682 et il est probable qu'il n'a eu aucune autre activité maçonnique, ce qui lui aurait été d'ailleurs difficile parce qu'il y avait très peu de loges à ce moment là. Ainsi l'essentiel de la culture maçonnique d'Elias Ashmole réside dans le manuscrit Sloane 3848 qu'on lui a lu pour sa réception.

Tout ceci souligne l'importance vivante des Anciens Devoirs à cette époque. Ils sont aujourd'hui trop méconnus et c'est pourquoi nous devons les étudier. Le travail de McLeod nous y aide.

Nous trouvons encore de courts articles, textes ponctuels sur des sujets d'histoire particuliers, par exemple sur les débuts de la maçonnerie aux Etats-Unis mais également sur quelques personnages de la maçonnerie canadienne qui illustrent la vie maçonnique américaine et canadienne au XVIIème siècle.

Il y a ensuite un article sur le Grand Architecte de l'Univers, article destiné aux FF.: de sa loge. Il ne s'agit évidemment pas d'une tirade symbolico-maniaque sur ce qu'est le G.A.D.L.U. ou ce qu'il n'est pas car pour les maçons de tradition anglaise, le G.A.D.L.U. c'est Dieu et ceci n'est pas l'objet de discussion.

Wallace McLeod s'intéresse à l'origine de cette expression et il a relevé un texte qui en est probablement la source. On a souvent dit que le terme d'architecte pour désigner Dieu était un terme classique et traditionnel utilisé par les auteurs grecs et les Pères de l'Eglise. Pourtant il n'y a aucune raison de penser que ceux qui ont fondé la Maçonnerie et forgé son langage, en Angleterre au XVIIème siècle, s'en soient inspirés car ils avaient des références beaucoup plus immédiates. Ces gens étaient essentiellement des Protestants et plus particulièrement des Calvinistes. Ceci est vrai de l'Ecosse convertie massivement vers 1530 mais c'est vrai aussi de l'Angleterre.

Or il se trouve que Calvin utilise l'expression G.A.D.L.U. dans son commentaire ou glose marginale du Psaume 19. Les gloses marginales s'inscrivaient dans une grande tradition qui remonte au Moyen-Age et qui consistait à publier des Bibles en marge desquelles on faisait des commentaires, des gloses marginales. Ces gloses sont parfois plus abondantes que le texte biblique lui-même. Par exemple, la glose ordinaire de Walafried Strabo (IXème siècle) () est un ouvrage monumental qui, à lui seul, est l'équivalent du texte biblique! Cela s'est poursuivi à la Renaissance. Quand Calvin publie sa Bible, bientôt traduite en français (1541) puis dans d'autres langues et en particulier en anglais vers 1550-1560, il maintient cette tradition et donne des gloses marginales.

Dans le psaume 19, il fait un commentaire sur la puissance de Dieu qui est célébré et magnifié ainsi: les cieux ont été merveilleusement fondés "ab opifice praestantissimo" c'est-à-dire par le Grand Architecte (). Un peu plus loin, il ajoute: Lorsque nous avons reconnu Dieu comme "mundi opificem" c'est-à-dire Architecte de l'univers, nous ne pouvons qu'admirer sa sagesse, sa force, sa bonté. On remarquera l'importance capitale de cette citation car on trouve ici la source de l'expression: Sagesse, Force et Beauté même s'il n'est pas encore question de Beauté mais de bonté (goodness). La substitution aura lieu un peu plus tard.

En tous cas, les gens qui ont fondé le langage maçonnique étaient essentiellement des ecclésiastiques anglo-saxons. Ils avaient, comme lecture fondamentale, la Bible et notamment celle de Calvin. C'est dans ces textes qu'ils ont puisé leur vocabulaire. Cette source du langage maçonnique qui ne semble guère contestable n'a été retrouvée que très récemment.

On trouve enfin un commentaire d'un texte de 1723 intitulé The Freemasons: an Hudibrastick poem. Ce long texte a été publié pour l'essentiel dans Early Masonic Pamphlets par Knoop, Jones et Hammer. C'est un de ces textes énigmatiques qui apparaissent en Angleterre à partir de 1723. En effet de 1723 à 1730 à Londres, il y a eu une dizaine de divulgations de textes maçonniques, ce qui était tout à fait nouveau. Parmi ces textes qui parlent de Franc-Maçonnerie sur tous les tons et de toutes les manières et qui nous donnent des informations sur les premières manifestations de la Maçonnerie en Angleterre mais aussi sur les premières réactions à son encontre, il y a ce poème "hudibrastique". On s'est longtemps interrogé sur la question de savoir pourquoi ce poème écrit dans un anglais très idiomatique n'avait jamais été édité en totalité. Wallace McLeod qui le publie intégralement nous donne la réponse. Il nous explique tout simplement que ce poème est littéralement truffé d'expressions pornographiques à côté desquelles les chants égrillards qu'a connu la première Maçonnerie française sont totalement dépassés. Mais pourquoi a-t-on écrit un poème pornographique sur la Maçonnerie en 1723? Il s'agit d'un genre littéraire qui existait à l'époque et on écrivait des poèmes pornographiques sur n'importe quel sujet. Cela reste une question intéressante à étudier. Il faudra traduire ce texte extrêmement difficile et examiner ce que nous pourrons en apprendre de la Maçonnerie.

The art and architecture of Freemasonry par James Stevens Curl, B.T. Batsford Ltd. London. 1991, (distribué par Ian Allan)

Voici un livre superbe écrit par un universitaire de haut niveau et probablement non-maçon. Professeur d'histoire de l'architecture, directeur du département d'histoire de l'architecture de l'université de Leicester, spécialiste de l'histoire de l'architecture écossaise, c'est un fellow c'est-à-dire un membre de la société des antiquaries de Londres. Rappelons que les antiquaries sont des personnes qui s'intéressent et étudient les choses anciennes. C'est une société savante et non un syndicat professionnel.

Ce livre essaie de retracer l'histoire de l'architecture à travers l'usage qu'en a fait la F.: M.: puisqu'elle a fondé un certain nombre de ces symboles et de ces réflexions sur ce thème. Mais de quelle architecture nous parle-t-elle? C'est une question importante qui se rattache, comme on va le voir, au problème de la transition.

En étudiant l'origine des 3 ordres d'architecture (), on s'est aperçu qu'ils étaient le type même d'une invention d'intellectuels de la Renaissance, invention qui n'a aucun rapport avec une transmission issue du métier de maçon. Avant que la maçonnerie spéculative n'existe, il y avait déjà un discours symbolique sur les ordres d'architecture qu'elle a récupéré par la suite. C'est cette piste que James Stevens Curl veut suivre.

En guise d'introduction, il nous propose une honnête histoire de la maçonnerie même s'il y a des affirmations quelque peu aventurées. Il présente la théorie de la transition sans oublier de préciser qu'elle a été contestée et qu'elle est aujourd'hui battue en brèche par un grand nombre d'auteurs.

Il aborde ensuite les légendes de la maçonnerie relatives à l'architecture. En particulier il fait une synthèse très bien documentée sur l'histoire des 2 colonnes et des 2 piliers. Il y a d'une part les 2 colonnes bien connues du Temple de Salomon et d'autre part, et antérieurement, les 2 colonnes qui, dans la tradition maçonnique des Anciens Devoirs, sont les 2 colonnes ante-diluviennes, totalement différentes de celles du Temple.

Il parle aussi d'une légende qui a un rôle important dans le 3ème grade.

Suit un chapitre sur la période de la Renaissance. Curl montre en quoi l'architecture a subi un remaniement très important dans la pensée de cette époque et comment, d'un savoir technique, c'est devenu une affaire d'intellectuels qui ont introduit des conceptions étrangères à la pensée des bâtisseurs. En s'appuyant sur les travaux de Stevenson, il fait de très longs développements sur l'architecture écossaise et sur certains dispositifs architecturaux bien particuliers. Ce sont ces très curieux cadrans solaires qui foisonnent en Ecosse à la fin du XVIème et au XVIIème siècle et qui posent un problème essentiel sur le statut de l'architecture et la pensée architecturale dans ce petit pays. Comment expliquer en effet -comme l'a remarqué Stevenson- cette prolifération dans un pays souvent envahi par le brouillard et où le soleil est plutôt rare? Et pourquoi, au lieu des cadrans solaires habituels, faire ces choses aussi compliquées? A ce mystère de l'histoire architecturale écossaise, Stevenson propose une explication. Selon lui, ces cadrans solaires se réfèrent à des théories architecturales et géométriques très particulières et il avance l'idée qu'il y avait en Ecosse à cette époque une pensée architecturale plus ou moins allégorique et symbolique, avant la lettre, dont ces cadrans solaires seraient un témoignage archéologique. Curl reprend cette idée et la développe avec une abondante iconographie.

Il parle ensuite de ce qu'il appelle les 2 grands prototypes de la Maçonnerie qui sont en fait, pour l'essentiel, le Temple de Salomon. Il développe non pas l'histoire de l'architecture et de l'archéologie vraie du Temple mais l'histoire de l'idée, que l'on s'est faite à travers les âges, du Temple de Jérusalem. En effet le Temple qui existe dans la Maçonnerie n'est pas le Temple de Jérusalem réel, c'est un Temple rêvé, recréé et fabuleux. Curl montre à quelle époque on a commencé à s'intéresser à l'architecture du Temple de Jérusalem et de quelle manière. C'est en Angleterre au XVIIème siècle que se développe un discours allégorique et symbolique sur le Temple de Salomon que la maçonnerie spéculative recueillera. C'est donc une source très importante de la véritable origine d'un de ces symboles maçonniques fondamentaux.

Il étudie encore les thèmes architecturaux dans la Maçonnerie de différents pays.

Il examine, à travers ce que l'on appelle les rites égyptiens, l'influence d'une prétendue architecture égyptienne dans le discours maçonnique à la fin du XVIIIème siècle. Là encore de quelle Egypte parle-t-on? Bien entendu, pas de la véritable Egypte mais d'une Egypte imaginaire.

On observe le même phénomène pour les Champs Elyséens c'est-à-dire le domaine des mystères antiques. Il y a eu aussi à la fin du XVIIIème siècle une redécouverte de ces mystères à la suite de laquelle des éléments de l'architecture grecque ont pénétré dans la Maçonnerie. Curl en fait l'inventaire.

Un autre aspect concerne certains grades et rites de la maçonnerie: ce sont les mausolées, les cimetières, les monuments funéraires. Encore une fois, ils font partie de la pensée architecturale du XVIIIème siècle et il est certain que les monuments funéraires de la Maçonnerie sont largement empruntés à une pratique et une pensée architecturale très répandue alors.

L'ouvrage de J. S. Curl est doté d'une bibliographie abondante et très bien documentée, d'un glossaire excellent sur le vocabulaire architectural utilisé, d'un très bon index -comme seuls les anglais savent les compiler- et d'une iconographie somptueuse.

Le 275e anniversaire de la Grande Loge d'Angleterre

Comme tous les 25 ans, la Grande Loge Unie d'Angleterre organise une grande fête, anniversaire de sa fondation en 1717. La dernière s'est déroulée en juin 1992.

Dans Masonic Square, n° septembre 1992, l'article "The Glorious 275th" (pp. 160-161) montre la gigantesque assemblée qui s'est tenue à Earls Court à laquelle assistaient 6000 personnes. Présidée par le duc de Kent, assisté des G.M. provinciaux et de districts, en présence de toutes les notabilités maçonniques, cette fête extraordinaire, comme la Maçonnerie anglaise aime les organiser, a utilisé un circuit vidéo et a réuni, lors du dîner, 3000 convives venus du monde entier. Un programme souvenir est édité.

C'est un moment important pour la Maçonnerie anglaise que de se conforter dans l'idée qu'elle est toujours une puissance, un pilier historique et sociologique de l'Angleterre.

La revue "The Northern Light", revue du Suprême Conseil de la Juridiction Nord des Etats-Unis (il y a deux juridictions pour les Suprêmes Conseils aux Etats-Unis) en fait également écho à la manière de la Maçonnerie américaine. Si elle contient peu d'articles historiques, on trouve par contre des bandes dessinées, des mentions de voyages organisés par le Suprême Conseil et des publicités comme cette carte visa aux armes du Suprême Conseil !

Toujours à l'occasion de ce 275ème anniversaire de la fondation de la G.L. d'Angleterre, Mackenzie publie Freemasonry - A Celebration of the Craft, édité par John Hamill et Robert Gilbert.

Préfacé par le duc de Kent, cet ouvrage en quadrichromie, est illustré de très belles photos.

Il y a des articles généraux sur ce qu'est la Maçonnerie, des réflexions sur "Sagesse, Force, Beauté", sur la bienfaisance.

On rappelle qu'elle a parmi ses membres des personnages illustres. On cite l'exemple d'un grand nombre de présidents des Etats-Unis qui ont été Francs-Maçons et on montre des estampes du début du siècle représentant la statue de la Liberté entourée d'une demi-douzaine de Francs-Maçons, hommes politiques américains de l'époque, pour rappeler que la Maçonnerie est fondée sur le respect des pouvoirs civils et sur la défense des valeurs de la civilisation occidentale, c'est-à-dire les principes éternels de la liberté et de la patrie. C'est une composante très importante de la Maçonnerie anglo-saxonne. En Angleterre comme aux Etats-Unis, il existe un sentiment d'unité nationale à laquelle la Maçonnerie participe pleinement. Ceci est, évidemment, difficilement transposable en France () même si dans un autre article, on rappelle qu'il y a aussi des Francs-Maçons dans ce pays...

Il y a des portraits de Francs-Maçons connus et moins connus, par exemple des acteurs d'Hollywood, Laurel et Hardy, W.C. Fields (1879-1946), William Frederick Cody alias Buffalo Bill (1846-1917), toutes sortes d'illustrations, une publicité pour Gillette puisque nous apprenons que Gillette était Franc-Maçon ainsi qu'un portrait de Rudyard Kipling.

Ce livre, fait par des anglais, a cependant une consonance très américaine et en effet beaucoup d'américains y ont contribué, en particulier le Souverain Grand Commandeur de la Juridiction Sud des Etats-Unis.

Pourquoi une telle publication?

On sait que depuis quelques années, la Franc-Maçonnerie anglaise a été l'objet d'un certain nombre d'attaques (). Il s'agit donc d'affirmer clairement qu'elle est, au contraire, totalement intégrée à la société, qu'elle n'est pas secrète et qu'elle est fondée sur la bienfaisance.

C'est ce message que l'on veut faire passer, mais au lieu d'employer un ton moralisateur on utilise une forme plus agréable symbolisée par le portrait du duc de Kent et de sa gracieuse épouse...

On comprend bien que la Maçonnerie anglaise regrette d'avoir été trop longtemps isolée, d'une certaine manière, du monde extérieur. Elle veut, aujourd'hui, montrer un nouveau visage plus ouvert.

Cette volonté d'intégration, notre V.M. l'a remarquée concrètement en Angleterre lors d'une visite récente. Dans les "Cathedrals shops", c'est-à-dire ces boutiques se situant à côté des cathédrales, sorte d'annexes où l'on vend quantité de choses, livres, disques, produits artisanaux, il a trouvé le petit livre Freemasonry and Christanity qui a pour but de réconcilier le christianisme et la Franc-Maçonnerie. Ceci semble démontrer que la "High Church" reste fidèle à ses positions favorables à la Maçonnerie et que la Maçonnerie anglaise veut parachever la contre-offensive qu'elle mène contre ses détracteurs.

Les Philalèthes

Cette revue maçonnique est une production de la société des Philalèthes, académie de l'érudition maçonnique américaine réunissant aussi quelques Frères Anglais et Canadiens. Elle représente la maçonnerie "régulière" anglo-saxonne sous son aspect américain où il se passe toujours de nombreux événements.

C'est ainsi que nous apprenons qu'il y a eu, dans l'état du Manitoba, la conférence annuelle des Grandes Loges canadiennes. Le Canada est, du point de vue maçonnique, structuré comme les Etats-Unis. Il y a des G.L. d'états qui se réunissent tous les ans pour une conférence fédérale. Ces G.L. sont régulières. Elles sont très proches de l'Angleterre (leur souverain est la reine d'Angleterre) mais aussi des Américains. Elles sont donc au confluent de ces deux mondes.

La conférence a pris une décision d'une importance considérable en déclarant solennellement, après un rapport historique présenté par Wallace McLeod, membre des Q.C., que toutes les G.L. de Prince Hall américaines sont régulières (); c'est dire qu'elle reconnaît désormais deux G.L. régulières par états américains. Ceci s'oppose au principe de juridiction territoriale exclusive de la G.L.U.D.A. qui veut qu'il n'y ait qu'une seule G.L. régulière par pays.

Du point de vue de la diplomatie maçonnique régulière, c'est fondamental. A terme, il pourrait y avoir plus d'une G.L. régulière dans beaucoup de pays du monde, avec toutes les conséquences que cela peut produire. Pour le moment, les Anglais n'ont pas réagi mais il est certain que cette déclaration des G.L. du Canada n'a pas été faite par hasard. Voici donc un événement important à suivre...

Masonic Square "The Magazine for Freemasons Everywhere" (Le magazine pour les Francs-Maçons de partout), n° juin 1992

Ce magazine, lu par plus de 500 000 personnes, nous présente dans la rubrique "Masonic Album" (pp. 96 et 97) des photos de locaux maçonniques anglais. Ils sont tous très divers, cossus, bien installés et témoignent de l'aspect sociologique de la Maçonnerie anglaise. Ils sont toujours pour nous une source d'enseignement purement rituel.

Year Book, Grand Lodge of Scotland

C'est le livre annuel publié par la G.L. d'Ecosse. Il contient quelques articles et surtout beaucoup de photos d'assemblées représentant tous les Frères en "Full dress regalia" c'est-à-dire en grand décor d'apparat qui posent fièrement devant l'objectif. On voit ici les Loges installées au Nigéria. Dans l'annuaire, on remarque avec surprise que 80% des Loges créées par la G.L. d'Ecosse, ces vingt dernières années, l'ont été en Afrique, au Nigéria et en Sierra Leone.

En première page, il y a le portrait en pied du G.M., portant le tartan de son clan, le Frère Brigadier (i.e. général de brigade) Sir Gregor McGregor of McGregor!

The Freemason at work par Harry Carr, réédition revue par Frederick Smyth

Publié de son vivant, ce recueil rassemble les articles les plus importants de Harry Carr. Il contient aussi quelques mises à jour.

Points de vues initiatiques

On trouve, dans cette revue de la G.L.D.F., un article de Gérard Gefen sur Mozart.

Plus contestable, par contre, est la traduction d'un poème de Rudyard Kipling "My New Cut Ashlar", ma nouvelle pierre taillée, par Michel Saint-Gall. Elle n'est pas proche du texte et n'est pas satisfaisante. Par exemple, le titre est affublé de la mention "Prière d'un constructeur de cathédrale". Ceux qui connaissent les débats actuels sur la question de la filiation, et de la transition plus qu'éventuelle des constructeurs de cathédrales aux Francs-Maçons comprendront qu'elle n'avait pas à figurer ici d'autant que cela n'a pas de rapport avec le poème. Cette glose est parfaitement indue. Et il y a d'autres exemples à l'intérieur du texte. S'intéresser à la Maçonnerie anglaise demande tout de même quelques efforts pour la connaître vraiment. Le texte est publié en bilingue.

Rudyard Kipling. Oeuvres, tome II, sous la direction de Pierre Coustillas, collection La Pléiade

Il s'agit de la continuation de la publication, par ordre chronologique, des oeuvres de Rudyard Kipling.

Le premier tome contenait "Simples contes des montagnes", "Trois hommes de troupes", "Wee Willie Winkie et autres récits", "La lumière qui s'éteint" et "Les handicaps de la vie".

Le second tome contient "Tours et détours", "Le livre de la jungle", "Le deuxième livre la jungle", "Capitaines courageux", "La Tâche quotidienne" et "Stalky et Cie". Ce livre "nous est proposé dans la meilleure tradition de cette collection de référence et de prestige, avec une chronologie détaillée, des notes et des notices abondantes, ainsi que des répertoires variés et exacts. Il n'est évidemment pas question ici d'examiner sur un plan strictement littéraire les textes de Rudyard Kipling, traduits à nouveau et présentés avec un soin et une minutie très favorables à la dissipation des malentendus qui, cinquante ans après sa mort, entourent encore cet auteur. Compte tenu de la qualité remarquable de cette édition, nous ne pouvons que regretter les erreurs et les approximations commises dans le domaine maçonnique par les collaborateurs de l'ouvrage. En relevant quelques exemples de ces erreurs et de ces omissions, nous n'avons d'autre but que de contribuer, dans un domaine spécial, à une meilleure connaissance de Kipling" (). Ce qui était valable pour le premier tome, l'est toujours pour le second. Il y a encore des erreurs et des approximations à propos d'allusions et de subtilités qui se rapportent à la Maçonnerie. Nous savons en effet, que l'oeuvre de Kipling en est truffée et, certes, il n'est pas toujours évident de les souligner surtout pour le peu de Francs-Maçons français susceptibles de s'y intéresser. Pourtant, un livre de la collection La Pléiade se doit de le faire.

"Many Inventions" est traduit par "Tours et détours" ce qui permet de respecter l'allusion biblique "J'ai seulement trouvé ceci: Dieu a créé l'homme droit, mais c'est lui qui cherche les détours." (Qo VII, 29). A propos de la nouvelle "Le perturbateur de trafic" le traducteur fait une recherche intéressante sur la confrérie de la Trinité (p. 6). On apprend que cela n'a rien à voir avec la Franc-Maçonnerie. Cette société a été fondée sous Henri VIII pour favoriser la navigation anglaise, en assurant le service des phares.

Plus loin on trouve: "Je n'étais pas au maximum; aussi trouvais-je plus sage de suivre le côté nord ... du silence" (p. 10). Sans doute aurait-on pu remarquer ici qu'il y a un petit clin d'oeil maçonnique.

Dans une autre nouvelle "Monseigneur l'éléphant", il y a une note fautive. Le texte dit: "Tiens-bon, foi et persévérance" (p. 47). La note explique: "Kipling appartenait à la Loge de ce nom à Lahore "Hope and Perseverance, n° 782 E.C.". Sa Loge s'appelait donc "Espérance et persévérance".

Dans "La plus belle histoire du monde", on lit "c'était le fils d'une veuve" (p. 76). La note donne la référence à St-Luc (VII, 12) ce qui est correct, par contre, on en déduit que le héros est Franc-Maçon. Cela n'est pas exact car le personnage en question a 20 ans, or on sait que les dispenses d'âge sont très rares en Maçonnerie, de plus on voit bien dans la suite de l'histoire qu'il n'a rien à voir avec la Franc-maçonnerie. Tout fils de veuve n'est pas Franc-Maçon pour autant !

Dans "Son honneur d'homme", les trois personnages principaux sont les héros de nombreuses nouvelles de Kipling dont "Trois hommes de troupes". Il n'est pas inutile de préciser que Kipling a choisi leurs noms parmi trois amis officiers, Learoyd, Mulvaney et Ortheris, d'un régiment proche de Lahore où il y avait une Loge maçonnique.

Dans "Capitaines courageux", il y a une allusion maçonnique très drôle. C'est l'histoire d'un bateau de pêche canadien sur le banc de Terre-Neuve qui a recueilli a son bord un garçon qui est devenu marin pêcheur. Celui-ci avait appris le français à l'école. Le bateau canadien rencontre des pêcheurs français. Comme ils n'ont plus de tabac à bord, ils vont se livrer à un troc. Le petit garçon essaye de se faire comprendre mais: "Comment se fait-il que mon français n'ait pas marché, alors que vos signes, oui" demanda Harvey lorsque le produit du troc se trouva réparti entre les hommes du "We're Here" (c'est le nom du bateau). "Mes signes s'esclaffa Platt, ben oui, j'ai parlé par signes mais des signes bougrement plus vieux que ton français, Harve. Ces bateaux français sont bourrés de francs-maçons: voilà l'explication" (p. 705). Nous pouvions attendre une note pour savoir si, à la fin du XIXème Siècle ou au début du XXème, il y avait des Francs-Maçons sur les morutiers. Est-ce-bien sûr? Il faudrait connaître les Loges qui existaient à Saint-Malo et dans la région, à l'époque, et examiner s'il y avait des pêcheurs parmi leurs membres. Kipling mentionne-t-il cette histoire uniquement pour agrémenter son récit ou bien se fonde-t-il sur des faits précis?

"La tâche quotidienne" contient la nouvelle "La 007" qui est une histoire de locomotive où Kipling montre sa connaissance du monde des chemins de fer: "Oui Madame, soixante-quinze milles à l'heure! Mais dans la rotonde, elle te parlera comme je l'ferais, démocratiquement. Alors que moi -le diable emporte mon empattement!- à la moitié de cette vitesse-là, je bondirai hors des rails. C'est la vénérable de notre Loge. Elle fait sa toilette chez nous; Je te présenterai, un jour. Elle vaut la peine d'être connue! Et puis, y en a pas beaucoup qui sont capables de chanter cette chanson là" (p. 970). La note indique: "Chez les franc-Maçons, le Vénérable préside la Loge dont il nomme les officiers à l'exception du Trésorier et du Tuileur qui sont élus, (ceci est exact et montre une bonne connaissance de la Maçonnerie anglaise de la part du rédacteur de cette note) bien entendu, le fait que le Vénérable soit une locomotive semble incongru, mais il convient de se rappeler d'une part que dans l'original les locomotives sont des personnages masculins, et d'autre part qu'il existe des Loges féminines." C'est sur ce point que le rédacteur s'avance un peu. Il ne semble pas judicieux de faire référence à des Loges féminines, à propos de Kipling, car il n'est pas sûr du tout qu'il en ait connu, si même il en existait à l'endroit et à l'époque où il était Maçon actif.

Dans "Stalky and Cie", la nouvelle "Le drapeau de la patrie" évoque les études qu'a faites Rudyard Kipling dans un collège du sud de l'Angleterre avec deux amis qui sont devenus militaires. L'un deux sera le général Charles Lionel Dunsterville. Pour mieux travailler, ils faisaient de l'exercice en cachette: "Jamais de la vie, je n'ai rien vu d'aussi absurde. Ils ont tuilé la Loge (ils font de l'exercice à l'intérieur), mis un garde extérieur et un garde intérieur dans les règles, et, avec ça, s'appliquent comme des novices" (p. 1259). On aurait préféré "tuileur" à la place de garde extérieur et "couvreur" à la place de garde intérieur, ce qui nécessiterait bien sûr de le préciser dans la note qui se contente d'affirmer: "Cette formulation inattendue dans la bouche du sergent, évoque le fonctionnement secret des Loges maçonniques, bien connu de Kipling qui était Franc-Maçon actif depuis 1886." Faut-il rappeler que Kipling a été Franc-Maçon actif de 1886 à 1888 environ (cette nouvelle date de 1899) bien que l'étiquette de Franc-Maçon actif lui soit constamment attribuée.