ARS QUATUOR CORONATORUM

n° 103

Rogez Dachez, Pierre Gauchet et Gérard Géfen. 1992

Présentation générale

a) Les A.Q.C.

C'est une revue annuelle qui publie les travaux de la loge Quatuor Coronati n° 2076 de la G.L.U.A. Cette loge est l'académie internationale de l'érudition maçonnique. C'est dans son sein qu'à la fin du siècle dernier, en 1884, un certain nombre de frères éminents ont fondé ce que l'on appelle aujourd'hui "l'école authentique de l'histoire maçonnique", c'est à dire qui a substitué à l'histoire romantique (qui considérait que les sources, les documents, n'avaient pas beaucoup d'importance mais que l'essentiel était que l'histoire soit belle) une histoire authentique, c'est à dire scientifique et rigoureuse fondée sur des recherches documentaires et l'exploitation des sources. Ainsi le travail d'érudition de cette loge accompli depuis un siècle et plus particulièrement dans les quarante dernières années est absolument irremplaçable. C'est une mine fabuleuse de renseignements. La loge se réunit 4 ou 5 fois par an. On y présente des conférences d'un très haut niveau qui donne lieu ensuite à une discussion sévère même si elle reste courtoise et fraternelle. On considère en effet que la vérité et l'érudition ne doivent faire aucune concession. (cf The history of the first 100 years of Quatuor Coronati Lodge n° 2076 par Colin Dyer)

b) La loge William Preston.

Elle puise essentiellement dans les travaux de la loge des Quatre Couronnés parce que seuls les Anglais sont capables de prendre la matière première, c'est à dire les sources, les documents là où ils sont. Elle fait un travail de relecture et son commentaire se veut informé par une vision historique plus vaste, dépassant le seul cadre de l'Angleterre. La traduction et le résumé de ces textes est donc dans une certaine mesure une réinterprétation qui peut faire apparaître sur un grand nombre de points des choses qui nous semblent évidentes mais que manifestement les anglais avaient méconnues. De plus cette étude permet de dégager les acquis récents de la recherche maçonnique.

La conférence inaugurale

Lorsque le V.M. des Q.C. est installé, c'est à dire une fois l'an, il présente une conférence inaugurale. Ce travail - et il est le seul- n'est jamais commenté par respect pour le V.M. Cette année, il s'agit d'une communication du F. Stanley Aston (décédé depuis), spécialiste de la philologie médiévale et des textes anciens qui s'intitule "Obervations sur le Ms Grand Lodge n° 1". Ce manuscrit est un document important puisqu'il inaugure la deuxième génération des Anciens Devoirs. Les manuscrits Regius et Cooke (circa 1400) sont les deux textes fondateurs. Ils sont suivis d'un silence documentaire de plus de 150 ans. Apparaît alors une nouvelle génération des Anciens Devoirs dont le manuscrit Grand Lodge n° 1 est le plus connu. Il est daté de 1583. L'ensemble des considérations que le F. Aston présente conduit à penser que le texte est probablement antérieur, peut-être vers 1560, ce qui de toutes façons ne supprime pas le large fossé entre les deux générations de documents. Or ce silence documentaire est l'un des arguments de la théorie défendue aujourd'hui par l'érudition maçonnique anglaise de la non-transition directe entre la maçonnerie opérative et la maçonnerie spéculative. On considère donc que le manuscrit Grand Lodge n° 1 est en fait une re-création, à l'initiative d'un groupe d'hommes qui ont fondé la maçonnerie spéculative sans nécessairement l'avoir reçue par filiation directe d'un antécédent opératif.

Le F. Aston développe d'autres points intéressants et notamment il essaye d'élucider un certain nombre d'énigmes contenues dans les textes des Anciens Devoirs qui sont des textes corrompus et mal copiés. Il y a des noms qui posent problème et par exemple celui de "Naymus Grecus". C'est un personnage qui apparaît dans l'histoire traditionnelle du métier. Ce nom a provoqué de nombreuses spéculations. On a pensé que ce n'était pas un nom. Un auteur a supposé que cela cachait un nom grec "name greek" ou "namus grecus" en latin de cuisine, c'est à dire un nom grec mal compris et que le copiste aurait remplacé en notant qu'il y avait un nom grec.

Mais il semble bien qu'Aston apporte la solution. Il pense la trouver dans un texte de latin médiéval attribué à Alcuin ( * vers 735-804, élève de Bède le Vénérable), texte qui a eu un grand retentissement et qui était encore copié au XVème siècle. On voit en effet dans un vers "Nemias Greco", c'est à dire en réalité une construction latine un peu particulière et qui n'a aucun rapport avec "Naymus Grecus". Un copiste n'aurait pas compris cela, il a cru que c'était un nom qu'il a recopié.

Aston examine également un autre énigme des Anciens Devoirs à propos du nom d'un architecte du Temple de Salomon qui s'appelle Anon ou Aynon ou Amon ou Aymon. De nombreuses hypothèses ont été émises pour expliquer ce nom. Aston propose les siennes. Notre V.M. lui-même avait étudié cette question en traitant de "La légende du grade de Maître et ses problèmes" dans la loge "Jean Théophile Désaguliers" le 7 février 1990. C'est une question difficile à laquelle on peut cependant tenter d'apporter quelques éléments de réponse.

Les Anciens Devoirs et les origines de la maçonnerie anglaise sont actuellement une préoccupation majeure des historiens anglais.

Les loges fondatrices de la Grande Loge d'Angleterre en 1717 par Cyril Batham

Cyril Batham est également membre de la loge Villard de Honnecourt.

La fondation de la G.L. d'Angleterre est un des mystères de l'histoire maçonnique. Il y a simplement une mention qui nous dit qu'en 1717 quatre loges se sont réunies. Elles ont décidé de former une Grande Loge et de nommer un Grand Maître. Malheureusement on ne possède aucun document concernant ces loges avant les années 1720 et on ne sait pas quand et dans quelles conditions elles furent fondées, mis à part ce que dit la tradition orale de ces loges. C. Batham est allé à la recherche de ces quatre loges fondatrices et il a rassemblé tous les éléments sur ce qu'elles sont devenues.

a) La loge n° 1 qui se réunissait dans la taverne "à l'Oie et le Gril" possède un livre de procès-verbal à partir de 1716 mais avec une lacune de 20 ans jusqu'en 1736. On ignore tout de son activité sur cette période, sinon qu'elle existait. A partir de 1760, elle a également fonctionné comme loge de Maîtres. La lecture des procès-verbaux permet de retrouver certains usages intéressants des premières loges anglaises du début du XVIIIème siècle. On s'aperçoit que le V.M. changeait tous les six mois et que cette pratique existait encore dans les années 1750/1760. Il changea ensuite une fois par an. Lorsqu'il y avait des cérémonies d'initiation ou de réception au 2ème grade (le 3ème grade n'était pas concerné par la loge générale) les visiteurs n'étaient pas admis. Lorsque l'on visitait la loge, il fallait verser une participation aux frais. Cette habitude ancienne existe toujours en Angleterre. On contribue ainsi à la rétribution du tuileur puisque dans les loges anglaises le tuileur est à l'extérieur. Il la garde, la prépare, avant que les FF. n'arrivent, et il s'occupe de l'intendance. C'est généralement un F. à la retraite, aux moyens modestes qui trouve là une source de revenus complémentaires.

On trouve également des notions sur l'évolution des décors maçonniques. Nous sommes habitués à voir des décors bleus pour les trois premiers grades (d'où le nom de loge bleue) mais il n'en a pas toujours été ainsi. C'est dans le courant des années 1730 que la G.L. d'Angleterre a imposé que les trois officiers principaux portent le bijou de leur office suspendu à un collier blanc. Pendant cette période les loges avaient cependant une grande liberté dans ce domaine. C'est ainsi qu'en 1738 la loge n°1 décide que le V.M. et les surveillants porteront leur tablier ainsi que le bijou de leur office bordé par un tissu vert. On voit donc que les couleurs variaient et qu'il est aventureux de leur attribuer une signification symbolique a priori. La couleur bleue s'est imposée dans le courant des années 1740.

Pendant très longtemps la loge n°1 s'est réunie "à l'Oie et le Gril" (la taverne a été détruite en 1894) puis elle s'est déplacée dans diverses autres tavernes à Londres (l'usage de se réunir dans des tavernes était courant) avant de s'installer au Free-Mason's Hall en 1865 où elle se réunit toujours. Aujourd' hui la loge n°1 porte le n°2. En effet lors de l'union de 1813 entre les Anciens et les Modernes, il a fallu régler le problème des numéros de loges qui définit ce que les Anglais appellent "le degré de séniorité". On a alors décidé de classer les loges alternativement dans l'ordre des tableaux des deux grandes loges et le n°1 a été tiré au sort. C'est la G.L. des Anciens qui a été désignée et c'est donc la loge n°1 des Anciens, la loge du G.M., "The Grand Master Lodge", qui a reçu le n°1 sur le registre de la G.L.U.A. tandis que la n°1 des Modernes recevait le n°2.

Dans le courant du XVIIIème siècle et en raison de son ancienneté, la loge n°1 des Modernes "à l'Oie et le Gril" a changé de nom pour celui de "Loge de l'Antiquité".

Aujourd'hui elle conserve un certain nombre de privilèges. Par exemple elle est considérée comme une loge "de temps immémorial", c'est à dire qu' elle n'a pas de patente de constitution, étant sortie purement et simplement du néant de l'histoire. Par autorisation spéciale du G.M. elle a le droit de porter des décors dorés (dans la G.L.U.A. les décors sont argentés et seuls les officiers relevant de la G.L. ont le droit de porter des bijoux dorés).

Enfin il existe dans les archives de la loge de l'Antiquité un document qui est une version des Anciens Devoirs qui ferait référence à la compagnie de maçons de Londres. Ce document, très discuté, a servi a étayer la théorie selon laquelle cette loge aurait été le successeur de l'acceptation, c'est à dire le cercle qui a existé depuis 1620 en marge de la compagnie des maçons de Londres et dans lequel on a voulu voir une préfiguration de la première maçonnerie spéculative. Cette filiation historique est contestée.

Dernière caractéristique: c'est une "Red Apron Lodge" c'est à dire une loge dont certains FF. portent des tabliers rouges. A partir des années 1730, pour sa grande fête annuelle, la G.L. d'Angleterre nommait des intendants que l'on appelle des Grands Stewards. Ces Grands Stewards assuraient de leurs propres deniers le risque financier de l'organisation. Pour les remercier, la G.L. leur a conféré le privilège spécial de porter un tablier rouge et plus exactement cramoisi. Seul un petit nombre de loges a chaque année le privilège de nommer un Grand Steward parmi leur membres. Elles sont dites "Red Apron Lodge".

b) La loge n°2 se réunissait à la taverne de la Couronne. Elle est connue à partir de 1716 et possédait aussi un statut dit "de temps immémorial". Elle est encore signalée dans une liste de loge en 1736 et a cessé son activité en 1752.

c) La loge n°3 se réunissait à la taverne du Pommier. Elle existe toujours sous le nom de loge de la Fortitude et du Vieux Cumberland avec le n°12. Ce numéro est dû à une obscure histoire de non renouvellement de patente au XVIIIème siècle. C'est une loge extrêmement huppée: un certain nombre de G.M. et de membres de la famille royale ont appartenu ou appartiennent à cette loge. C'est une Red Apron Lodge. Ses officiers ont la permission de porter des bijoux dorés. Elle a aussi le privilège supplémentaire de border le tablier et le collier des FF. de "garter blue" c'est à dire le bleu de l'ordre de la Jarretière, un bleu roi, qui est le bleu des décors des officiers de la G.L. et du G.M.

d) La loge n°4, la loge de la taverne du Gobelet et des Raisins est aussi une Red Apron Lodge. Elle a changé de lieu de réunion et s'est installée à la taverne de la Corne "Horn tavern". Elle a joué un rôle important dans la vie maçonnique à Londres au XVIIIème siècle. C'est dans cette loge que Montesquieu, le duc de Richmond, Anderson, Jean Théophile Désaguliers, le duc de Wharton et un certain nombre de G.M. de la première G.L. ont été reçus, autrement dit des personnages qui ont modelé la G.L. à partir de 1721 avec l'élection du premier G.M. noble, le duc de Montagu. C'est une loge prestigieuse qui existe toujours.

Cette étude de Cyrill Batham nous ramène au mystère de l'apparition de ces quatre loges fondatrices en 1717. A la fin du XVIIème siècle, il y a un silence total de la maçonnerie anglaise spéculative et, si nous savons qu'elle existe, nous n'avons aucune preuve par contre qu'il ait existé des loges. Autrement dit, il y avait des francs-maçons mais pas forcément des loges. Les historiens anglais ont tendance à penser que ces quatre loges étaient de constitution très récente et que peut-être l'idée même de loge l'était également. Ces loges sortent brutalement du néant de l'histoire, en l'absence de document, pour fonder la G.L. d'Angleterre. Ce fait même est précisément suspect quant à leur ancienneté.

La G.L. de district du Pendjab par le F. R. Khambatta

a) Situation géographique du Pendjab.

Le Pendjab est le pays des cinq rivières, l'Indus et quatre de ses affluents. Il se situe dans le nord du Pakistan actuel et de l'Inde.

b) Histoire politique du Pendjab jusqu'en 1947.

Nous en proposons ici un aperçu car il faut se souvenir que, comme le dit le V.M. des Q.C., "quand un exposé présente un développement historique, il est inévitable que l'on s'en tienne aux faits au détriment de la discussion. Le sujet du Dr Khambatta est vaste aussi bien dans le temps que dans l'espace, son traitement contient un grand nombre de détails qui ne peuvent être complètement assimilés (digested) que par la lecture de tout le texte exact".

  • Les guerres sikhs de la première moitié du XIXème siècle aboutissent en 1849 à l'annexion du Pendjab par les Britanniques. (* Les sikhs ont une religion qui résulte d'un syncrétisme entre l'hindouisme et l'Islam).
  • La grande révolte de 1857 ou révolte dite "des cipayes" (*soldats hindous engagés au service des Anglais). Cette révolte ponctuée d'atrocités laissa sur les relations entre Indiens et Britanniques une empreinte ineffaçable et marqua en 1858 la fin de l'autorité de l'"East India Company", la Compagnie des Indes qui dirigeait jusqu'alors le pays. L'Inde fut rattachée directement à la couronne britannique représentée sur place par un gouverneur général ou vice-roi.
  • Le premier vice-roi fut lord Canning. (*Charles John comte de Canning, 1812-1862, il présida comme vice-roi à l'installation du nouveau régime à la suite de la suppression de la compagnie) On l'appellera le "clément".
  • On peut citer l'administration des frères Lawrence (*John Laird Mair lord Lawrence, 1811-1879 ,comme gouverneur général il pacifia et réorganisa l'Inde).
  • Le vice-roi lord Ripon (*George Frederic Samuel Robinson comte de Grey marquis de Ripon, 1827-1909, vice-roi de 1880 à 1884) a beaucoup amélioré les chemins de fer et les usines de textile. Il a également travaillé à l'égalité des droits et la défense des intérêts des Indiens. Regretté à son départ en 1884 par les Hindous, il avait excité un vif mécontentement parmi les Anglo-indiens. Ce problème entre l'Angleterre et les Indes a été constant car Birmingham ne voulait pas qu'il y ait de taxes pour l'entrée du coton anglais en Inde mais par contre en voulait pour l'entrée du coton indien en Angleterre. Les Indiens y étaient bien sûr opposés.
  • Le vice-roi lord Dufferin (*Frederick Temple Blackwood marquis de Dufferin et Ava, 1826-1902, vice-roi de 1885 à 1888).
  • 1885: naissance du congrès national indien à Bombay.
  • 1895: grande famine.
  • 1905: tremblement de terre.
  • - On retiendra également les administrations de lord Curzon (*George Nathaniel Curzon, 1859-1925, vice-roi de 1898 à1905, il pratique une politique favorable aux indigènes), Minto (*Gilbert John Murray Kynynmond comte de Minto, 1845-1914, vice-roi de 1905 à 1910), Hardingue (*Charles Hardingue, 1858-1944, vice-roi de 1910 à 1916) qui montrent que les Anglais ont beaucoup travaillé aux Indes.
  • En échange, il y aura un million de soldats et officiers Indiens engagés dans la première guerre mondiale.
  • Il s'ensuivra une énorme détresse économique, l'agitation musulmane et l'arrivée de Ghandi.
  • Cependant la seconde guerre mondiale sera commencée avec un "coeur anglais" comme l'a dit Ghandi, et avec l'assentiment de Nhéru. Parallèlement, la ligue musulmane de Lahore pose les bases du Pakistan.

Voilà pour ce survol historique.

La seule allusion maçonnique que l'on peut noter concerne le vice-roi lord Irwin (* Edward Frederick Irwin, 1880-1951, vice-roi de 1926 à 1931) qui, à son départ en 1931 et après avoir calmé l'agitation civile, laissa sur une colonne devant la loge de New-Delhi l'inscription suivante:

"en pensée, la foi

en mot, la sagesse

en action, le courage

dans la vie, le service

qu'ainsi l'Inde soit grande."

et le Dr Khambatta de s'émerveiller devant la philosophie cachée derrière cette simple déclaration.

c) Les différents aspects de la maçonnerie anglaise dans le nord-ouest de l'Inde et plus particulièrement de la G.L. de district du Pendjab jusqu'à la fin de la domination anglaise en 1947.

Pour le Dr Khambatta et pour tous les érudits de la F.M., la maçonnerie s'est propagée dans le monde par les loges militaires. C'est particulièrement évident aux Indes où de nombreux régiments possèdent des patentes irlandaises, écossaises, anglaises.

La maçonnerie était déjà bien installée au Bengale, à Madras, à Bombay, avant que ne se forme la première loge dans ce qui deviendra le district maçonnique du Pendjab en 1869.

La première loge créée au Pendjab s'appelle "La Lumière du Nord" n°648. Elle fut constituée le 27 décembre 1836 à Kurnal et ne fonctionna que trois ans. C'était caractéristique de la maçonnerie indienne en général et de celle du Pendjab en particulier. En effet, les loges régimentaires étaient nomades comme les régiments, la mortalité était très forte chez les militaires comme chez les civils et les loges cessaient très fréquemment leur existence.

La loge "Espérance et Persévérance" (et non "Espoir et Persévérance" comme il est dit dans l'édition de la Pléiade déjà citée) a été constituée en décembre 1858 au moment où Henry Lawrence (*Henry Montgomery Lawrence, 1806-1857, frère du vice-roi) fait de Lahore la capitale administrative du Pendjab. C'était une loge composée principalement d'administrateurs civils. Ils construisirent leur local sur une route de Lahore, qui s'appelera la "Route de la Loge".

En 1868 s'était créée une deuxième loge à Lahore ce qui montre le dynamisme qui existait dans cette capitale. C'est la loge "Ravee" du nom de la rivière qui arrose Lahore mais quelques années après, en 1887, elle se réunit à la loge "Espérance et Persévérance" faute d'apprentis.

Avant la formation de la G.L. de district du Pendjab, il n'y avait que la province maçonnique ou district du Bengale qui s'étendait de Calcutta (située dans le golfe du Bengale, à la frontière de l'actuel Bengladesh) jusqu'à Peshawar (à la frontière de l'Afghanistan) ce qui représente presque 3000 kms.

Pour organiser cet immense espace, une tenue d'urgence de la loge "Espérance et Persévérance" constitue, en mars 1869, la nouvelle G.L. de district du Pendjab comprenant 7 loges et 217 FF.

Le Dr Khambatta nous retrace la vie des loges. Il en dresse un tableau extrêmement complet. Il nous parle de l'action maçonnique de lord Ripon. Celui-ci avait été G.M. de la G.L.U.A. de 1870 à 1874 et il avait démissionné à cause de sa conversion au catholicisme, ce qui est un cas unique dans les annales. Vice-roi des Indes de 1880 à 1884, il avait beaucoup fait pour intégrer les Indiens dans l'administration. Sur le plan maçonnique, c'est au cours de son mandat que, pour la première fois, un Indien devint V.M. fondateur d'une loge. Ce fut un bon catalyseur pour intéresser les Indiens à la F.M. d'autant qu'ils pouvaient être de confessions diverses, chrétiens, musulmans, juifs, sans inconvénients. Les problèmes viendront du côté des musulmans, principalement après la première guerre mondiale avec le démantèlement de l'Empire Turc et la montée de l'intégrisme (* le mouvement Kalifa qui condamne de façon très stricte les institutions anglaises et la F.M.).

Rappelons aussi la très grande action caritative de la G.L. de district du Pendjab et particulièrement l'orphelinat maçonnique. Il y est fait allusion dans "Kim", le roman de Kipling comme le remarque le Dr Khambatta.

Notons aussi la très grande activité maçonnique pendant la seconde guerre mondiale, puisque l'Inde était devenue le camp de base dans la lutte contre les Japonais.

Après la partition de 1947, les populations sont transférées, les loges en sont affectées, le Pakistan est créé (en deux parties; le Pakistan actuel à l'ouest de l'Inde et le Bengladesh à l'est), les hindous et les musulmans séparés. La province administrative du Pendjab elle même est divisée entre le Pakistan et l'Inde. Il ne restera bientôt des 80 années d'activité de la G.L. de district du Pendjab que des cendres, les cendres de la maçonnerie au Pakistan.

d) Cette conclusion mélancolique, notre F. la justifie ainsi: selon l'usage en vigueur dans la loge des Quatre Couronnés, des interventions suivent l'exposé du Dr Khambatta: Il s'agit des interventions des F. Gilbert et Brodsky. Elles font allusion à la bibliothèque du Masonic Hall de Lahore. Dans une 3ème intervention , celle du F. Lionel Brett, on confirme le bannissement de l'ordre maçonnique au Pakistan. Mais personne ne semble savoir ce que notre F. a appris par une lettre du conservateur de la bibliothèque et du musée maçonnique de la G.L.U.A., P.M. de la loge des Quatre Couronnés, John Hamill. Interrogé sur les sources possibles du savoir maçonnique de Rudyard Kipling, la présence d'une édition de la "Maçonnerie disséquée" de Samuel Pritchard à Lahore, citée dans "Early Masonic Cathechisms" de Knoop, Jones et Hammer lui ayant été signalée, John Hamill répond:

"La bibliothèque du Masonic Hall de Lahore existait certainement du temps de la présence de Rudyard Kipling dans cette ville. Il est à regretter que sa présente localisation ne soit pas connue. La F.M. a été bannie par le gouvernement du Pakistan dans le milieu des années soixante et tous les biens maçonniques, y compris ceux du Masonic Hall de Lahore, furent saisis. Son contenu fut jeté dans les cours et brûlé. On croit savoir que la bibliothèque formait la plus grande partie du feu: horrible cas de vandalisme". Après avoir parlé de Pritchard, Hamill ajoute: "A travers plusieurs publications que j'ai lues, on peut penser que la bibliothèque maçonnique de Lahore regroupait une collection importante d'ouvrages d'érudition."

On peut alors s'étonner de la déclaration du Dr Khambatta: "La bibliothèque maçonnique de Whymper a formé le noyau de celle de la G.L. de district. J'ignore ce qu'elle est devenue et j'en éprouve une certaine tristesse". Le Dr Khambatta est-il mal informé ou bien ne veut-il pas répondre? La question reste pour le moment en suspens mais notre F. va chercher à en savoir plus en interrogeant le F. Brodsky qui signale de son côté la présence d'une rare copie du fameux manuscrit Francken, manuscrit qui concerne le rite de perfection et le passage de ce rite au Rite Ecossais Ancien et Accepté. Cela renforce notre intérêt pour cette bibliothèque qui contenait des ouvrages aussi rares. Brodsky ajoute que personne ne sait où se trouve actuellement ce manuscrit.

Il n'est pas facile en effet de savoir ce qui se passe au Pendjab. Certains pensent que l'on est actuellement en train de reconstruire le Masonic Hall de Lahore; mais tout cela manque pour l'instant de cohérence.


e) Discussion:

  • le V.M.: Si le Pakistan a détruit une ancienne tradition maçonnique, en revanche en Inde la Maçonnerie est bien vivante. Il y a aujourd'hui une G.L. d'Inde qui est très prospère et qui, comme toutes les institutions essentielles de l'Inde, est totalement calquée sur celle existant pendant la période de la colonisation anglaise. La G.L. of India est un des correspondants les plus fidèles de la F.M. anglaise dans cette partie du monde; l'héritage maçonnique est conservé de même que les uniformes militaires et un certain nombre de caractéristiques de l'administration de l'Etat. La maçonnerie anglaise a été très forte et très utile pour l'intégration d'un certain nombre de notabilités et d'une partie de l'intelligentsia indienne au cours de la colonisation. La maçonnerie indienne, comme la maçonnerie anglaise, est très fortement orientée vers l'action caritative et la philanthropie.
  • P.G. signale à ce propos un article dans un autre numéro des A.Q.C.: "250 ans de maçonnerie en Inde". Cet article de G.E. Walker a été aussi publié dans le 3ème volume de "The collected Prestonian Lectures".
  • Pierre Mollier note qu'il y a eu, en Inde, des loges bien antérieures à celles du Pendjab. Le G.O.D.F. avait créé à Pondichéry au XVIIIème siècle une loge "la Fraternité Cosmopolite".
  • Par ailleurs, et bien que le Pendjab ait été un centre intellectuel important en Inde, il ne semble pas que les mouvements de réforme religieuse qui ont touché l'hindouisme au XIXème siècle (par exemple le Brahma Samaj, secte qui incorpore au fonds traditionnel indien des notions empruntées au christianisme) aient eu des origines ou subi des influences maçonniques ni même qu'il y ait eu simplement des points de contacts.
  • Où se trouve le Kafiristan?
  • La nouvelle de Kipling "l'homme qui voulut être roi" (1888) se déroule en effet au Kafiristan. Ce pays appartient à l'Afghanistan actuel et se situe près de Kaboul, au nord du Pendjab. Il aurait reçu le nom de Kafiristan qui signifie "infidèle" parce que la population était restée non-musulmane et idolâtre. En 1890 l'émir Abdul Rahman conquit le pays. Le Kafiristan est devenu le Nuristan c'est à dire "le pays de la lumière", après que le peuple ait été converti par la force vers 1895-1896.
  • Est-ce que le thème du livre de Kipling est une fiction?
  • P.G.: Kipling a écrit sa nouvelle en s'inspirant d'une légende qui remonterait à Darius (*Darius 1er, roi de Perse vers 550-486 av J.C. - Darius III, roi de perse de 336 à 330 av J.C. fut battu par Alexandre le Grand en 331 et le pays conquis vers 328. Il fut le dernier de la dynastie des Achéménides) selon laquelle il y aurait dans un endroit retiré du Kafiristan, une société ésotérique. Aucun historien sérieux n'a pu apporter le moindre début de preuve à cette légende.
  • Y-a-t-il dans l'article du Dr Khambatta une précision sur le rôle qu'auraient pu jouer les sikhs dans la maçonnerie?
  • P.G.: Le Dr Khambatta évoque les guerres sikhs qui furent très dures et signale qu'un sikh est devenu maçon. De ce point de vue les sikhs sont considérés comme les Hindous.
  • Pierre Petitjean: Sur quel livre prêtait-on serment lors des réceptions?
  • P.G.: Il y a eu un problème avec les Hindous parce que le livre utilisé était la Bible et qu'il n'y a pas de livre sacré au sens strict où nous l'entendons dans l'hindouisme. Le premier Hindou a être initié, un notable, a prêté le même serment qu'un fonctionnaire et on s'est contenté de cela. Pour les autres confessions il n'y a pas de problème. (cf "250 ans de maçonnerie en Inde", opus cit., p. 93 à 97)
  • le V.M.: C'est un problème qui a été souvent rencontré par les Anglais. La maçonnerie est structurée à partir d'un livre et est cohérente avec une religion révélée reliée à un livre. Or l'hindouisme, avec ses multiples variantes, ne repose pas sur un livre. Il y a évidemment beaucoup de livres dans l'hindouisme mais ce sont des ouvrages de sagesse et de connaissance et non des livres sacrés au sens que nous donnons à ce terme: il n'y a pas d'équivalent de la Bible ou du Coran.
  • Jean-Paul Corsetti: Est-ce que R. Kipling a été membre de la loge "Espérance et Persévérance"? Le Dr Khambatta apporte-t-il des renseignements supplémentaires par rapport à l'article publié par Harry Carr "Kipling and the craft" (A.Q.C. n° 77, 1964, pp.231 et suiv.)?
  • P.G.: Cela a surpris un des intervenants, le F.John Webb, que le Dr Khambatta parle de cette loge sans évoquer Kipling (mis à part l'allusion à "Kim" à propos de l'orphelinat maçonnique). Le Dr Khambatta affirme que tout a été dit dans l'article de Harry Carr. En effet, il y a dans cet article des passages très importants qui concernent la maçonnerie au Pendjab.
  • Charles Jameux nous signale la parution probable dans le n°86 (juin 1992) de "Points de vue initiatiques" (revue de la G.L.D.F.) d' une traduction nouvelle d'un poème de Kipling peu connu: "Le palais du roi".

Nouveaux aperçus sur les origines de la Franc-Maçonnerie en Angleterre

Dans le droit fil des recherches sur les origines de la Franc-Maçonnerie relancées depuis 1970 et la communication capitale d'Eric Ward aux Q.C. mettant en cause la théorie de la transition, A. G. Markham publie une nouvelle étude intitulée Further views on the origins of Freemasonry in England (Nouveaux aperçus sur les origines de la Franc-Maçonnerie en Angleterre) qui reprend un article paru dans le n° 100 Characteristics and origins in early Freemasonry, en essayant de formuler et de synthétiser une théorie de substitution. Plus exactement, il s'agit d'une théorie médiane entre, d'une part, la théorie classique de la transition et, d'autre part, une théorie de rupture qui énonce que la maçonnerie opérative était morte quand la maçonnerie spéculative est apparue et que cette dernière a été, par conséquent, totalement inventée par des gens qui ont copié certains usages des maçons opératifs sans autorisation, sans filiation et sans lien continu.

La vérité se situe peut-être entre ces deux extrêmes et c'est ce que propose Markham. Il pense que la Maçonnerie opérative, telle que l'on peut en pressentir l'organisation à travers les Anciens Devoirs au Moyen-Age, n'avait plus d'existence réelle en Angleterre au XVIème siècle. Certes il y avait des maçons opératifs mais plus de tradition d'organisation du métier. Cela est dû à la Réforme qui porta en Angleterre un coup d'arrêt brutal à la construction d'édifices religieux. Henri VIII s'était emparé de tous les biens du clergé et avait stoppé les fondations d'églises et de monastères qui représentaient l'essentiel de l'activité des bâtisseurs dans les siècles précédents. Or dans ces chantiers, qui duraient des années, il y avait des loges, au sens médiéval du terme, c'est-à-dire des assemblées temporaires créées pour un chantier donné où les maçons se réunissaient selon des règles de vie. Sur tous ces chantiers, il y avait aussi des patrons qui accordaient leur soutien financier et moral, leur patronage, à la réalisation de l'édifice. C'était des notables, des gens fortunés qui aidaient ainsi le projet de construction. Cette relation entre les chantiers et les patrons pouvait prendre la forme de confrérie laïque, protégée par l'Eglise.

Si cela fut interrompu par la Réforme, Markham estime que tout ne disparut pas totalement et qu'il y eût une transformation. A défaut de monastères et d'églises, on a continué à construire des châteaux et des maisons de maître précisément avec les maçons qui étaient déjà là auparavant. Les commanditaires étaient probablement les mêmes que ceux qui avaient patronné la construction d'édifices religieux. D'où l'idée que les structures de rencontre ou de voisinage entre les patrons et les bâtisseurs ont subsisté. Les maçons ont continué à se réunir sous une forme vaguement corporative et ont pris l'habitude de travailler avec ces patrons, d'être en rapport direct avec eux, hors du giron de l'Eglise.

Markham donne un certain nombre d'indices qui laissent à penser que ces relations auraient pu subsister, que cette association aurait pu prendre la forme d'une sorte d'acceptation avant la lettre, c'est-à-dire d'une participation de ces patrons à l'activité quotidienne des maçons assemblés, sinon sous forme de loges, du moins sous forme de groupes ou de guildes plus ou moins officieuses. De cette façon, ce serait perpétré un lien entre les deux.

Peut-être alors que ces notables qui détenaient désormais entièrement l'autorité et qui agissaient pour leurs propres comptes ont eu l'idée de diriger les activités des maçons? Peut-être ont-ils pu leur inculquer des idées qui étaient les leurs. Et nous savons que ce milieu de bourgeois fortunés, d'aristocrates était acquis aux idées et à la réforme intellectuelle de la Renaissance dont tous les principes se retrouveront dans la maçonnerie spéculative.

Plus qu'une sorte de théorie de la transition, Markham établit ainsi une théorie de la "récupération". Evidemment, certains arguments examinés de très près peuvent sembler insuffisants d'autant que les documents sont peu nombreux. Il s'agit donc principalement d'une interprétation qui pourrait s'intégrer éventuellement dans une théorie plus globale.

Au fond, la question qui se pose est la suivante: si la maçonnerie spéculative a été fondée de toutes pièces sans lien repérable avec la maçonnerie opérative qui la précède pourquoi l'a-t-on fondée précisément sur le métier de maçon?

Il a existé en Angleterre jusqu'au milieu du XIXème siècle et il existe encore aujourd'hui des associations qui sont, à l'origine, des associations de métier. Ces associations font usage d'un rituel et un grand nombre d'entre elles ont perdu tout lien avec le métier, c'est dire qu'elles ont subi une sorte de transformation spéculative. Parmi les compagnies corporatives de Londres, la compagnie des maçons n'a strictement plus rien d'opératif depuis longtemps. Elle est composée de notabilités et c'est un signe de prestige social très important que d'être reçu dans cette société aristocratique. C'est également vrai de la compagnie des tisserands ou des teinturiers. Alors pourquoi la maçonnerie?

On peut répondre à cela que la maçonnerie porte en elle-même une sorte d'incitation à la spéculation. Markham, quant à lui, suggère qu'il existait des liens sociologiques traditionnels entre le milieu social dans lequel est née la maçonnerie spéculative, milieu travaillé par les idées de la Renaissance et qui était celui des commanditaires des maçons opératifs, et l'organisation corporative, au sens large du terme, de la maçonnerie opérative.

Voilà donc une nouvelle pièce à verser au dossier de l'élaboration d'une théorie synthétique des origines de la Maçonnerie.

Discussion

- Est-ce que Markham s'inspire de Stevenson?

- Dans sa conférence, il limite son propos à l'Angleterre ce qui est de bonne méthode. Il n'est pas judicieux en effet de mélanger l'Ecosse et l'Angleterre comme le faisait Harry Carr. Il y a des faits qui se sont passés en Angleterre, d'autres en Ecosse. Le tout ne s'est rencontré que très tardivement à la fin du XVIIème siècle.

Cependant, il est question des travaux de Stevenson dans le débat qui suit l'exposé de Markham. Il est fait référence à ce que Stevenson a établi, à savoir que l'essentiel de ce que nous considérons comme des usages maçonniques fondamentaux a été pour la première fois attesté en Ecosse et non en Angleterre ce qui est bien sûr un argument très important. Les 11 points de Stevenson sont repris. C'est en Ecosse et seulement en Ecosse que l'on observe pour la première fois:

. l'usage le plus ancien du mot loge.

. les témoignages les plus anciens de loges permanentes avec des officiers.

. le témoignage le plus ancien d'archives maçonniques concernant ces loges.

. les tentatives les plus anciennes de donner à ces loges des structures nationales.

. les exemples les plus anciens de non-opératifs devenus membres de loges opératives.

. les preuves les plus anciennes d'un contenu moral de la Franc-Maçonnerie se servant d' outils opératifs comme de symboles.

. les références les plus anciennes au mot du maçon.

. les plus anciens catéchismes maçonniques.

. les témoignages les plus anciens indentifiant 2 grades maçonniques.

. l'usage le plus anciennement attesté des mots Apprenti-Entré et Compagnon du Métier ou Maître.

. et une idée de Stevenson très discutable, le témoignage le plus ancien de l'apparition d'un système à 3 grades.

Tout cela (les 10 premiers points au moins qui sont incontestables) est attesté en Ecosse avant 1630 et non en Angleterre.

Pourtant ce n'est pas forcément contradictoire avec ce que dit Markham. On peut considérer en effet qu'il y a eu une évolution en Angleterre d'un certain point de vue et pour certaines structures, qu'une autre évolution a eu lieu en Ecosse et que ces deux chemins se sont rencontrés à la fin du XVIIème siècle.

- Peut-on dire que les FF.: qui ont fondé la Maçonnerie au début du XVIIIème siècle aient été en rapport avec les anciens patrons dont nous avons parlé? (Pierre Petitjean)

- Markham dit simplement qu'il y a une continuité historique et sociologique. Dans les milieux qui ont pu être à l'origine de la constitution de la maçonnerie spéculative, on trouve des gens qui étaient traditionnellement les patrons des maçons opératifs. Il donne quelques exemples de compte-rendus de chantiers qui montrent que des personnages qui n'ont rien à voir avec le métier interviennent à différents moments. Ce sont des notables locaux qui semblent avoir une autorité dans le fonctionnement du groupe mais il ne cite pas de noms. Il faut reconnaître -comme nous l'avons déjà souligné- que c'est très faible du point de vue documentaire. Ce que dit Markham est essentiellement une théorie qui a cependant le mérite d'avoir une cohérence propre.

- Autrement dit, il y a dans un premier temps un certain milieu sociologique qui a un contact avec des maçons opératifs et dans un deuxième temps ce milieu sociologique a été lui-même en contact avec la maçonnerie spéculative du XVIIIème siècle.

- Markham pense en effet qu'il y a rencontre. Le milieu social anglais du XVIIème siècle, dans lequel va se constituer le mouvement intellectuel qui est à l'origine directe de la maçonnerie spéculative, a été très fortement marqué par les spéculations architecturales de la Renaissance. Ce milieu était le même qui, un ou deux siècles auparavant, constituait le milieu classique et traditionnel du patronage de la maçonnerie opérative. Il y a donc bien rencontre d'une tradition sociale et d'un courant intellectuel qui a conquis ce milieu social. Il faut cependant se souvenir que cette intéressante théorie de Markham n'est pas complète puisqu'elle ne tient pas compte de l'Ecosse.

Envoi

Ce serait une profonde erreur de croire que ces débats sont uniquement une préoccupation d'érudits isolés et désincarnés n'ayant aucun rapport avec le travail maçonnique quotidien. Une société traditionnelle qui a conscience de ce qu'elle est, non seulement ne peut pas mais n'a pas le droit de méconnaître ses origines. C'est toute la différence entre une tradition authentique et une tradition substituée, entre une tradition et une illusion. La Maçonnerie est une société traditionnelle et elle a le devoir absolu d'aller à la recherche de ses vraies origines, ce qui sera de nature à mieux faire comprendre ce qu'a été son intention fondamentale et par conséquent ce qu'elle doit ou devrait être ici et maintenant.

Ce travail d'érudition qui peut sembler un peu gratuit conditionne en fait l'idée qu'on peut se faire de la Maçonnerie. On s'aperçoit ainsi que cette image est très différente de l'image manufacturée que l'on donne trop souvent, et qu'elle ouvre des perspectives et offre des aperçus vraiment passionnants. C'est la véritable et la seule justification de la recherche maçonnique.

EXAMEN DE LA CONFÉRENCE PRESTONIENNE 1988, SUR LA MUSIQUE ET LA MAÇONNERIE, par Andrew Pearmain

Cette conférence est véritablement médiocre ce qui est exceptionnel dans la revue des A.Q.C. habituellement d'un haut niveau. Il semble qu'elle ait été faite rapidement et uniquement pour servir d'introduction à un concert maçonnique.

Pour donner le ton, Andrew Pearmain commence par insister lourdement et sans raison sur l'attitude prétendue des Maçons opposés à la musique. On se demande bien sur quoi il peut fonder une telle affirmation !

Evoquant la taverne dans laquelle se sont réunies les quatre premières Loges qui ont fondé en 1717 la Première Grande Loge "L'Oie et le Gril", Pearmain ne signale pas qu'elle était en même temps le siège d'un société musicale alors qu'il est vraisemblable que ces deux sociétés se sont côtoyées.

Citant Matthew Birkhead, le premier auteur d'une chanson maçonnique "The Enter'd Apprentice's Song" (le chant de l'Apprenti Entré) jointe aux constitutions de 1723 dites d'Anderson, il ne donne aucune information sur ce personnage pourtant important.

C'est la même chose pour John Fisher, ce qui est encore plus fâcheux car il a existé deux John Fisher ! L'un était le gendre du grand peintre anglais Thomas Gainsborough (1727-1788), l'autre, John Abraham Fisher (1744-1806) -celui qui nous intéresse- était le mari de Nancy Storace (1765-1817), fille d'une illustre famille de musiciens et le grand amour, vraisemblablement platonique, de Mozart. Tout ceci méritait d'être souligné.

A propos de Wolfgang Amadeus Mozart, Pearmain en parle comme du compositeur maçonnique le plus célèbre. Cela est vrai mais faut-il oublier pour autant d'autres compositeurs illustres? Franz Liszt, par exemple, n'est pas un compositeur de second ordre !

Malheureusement, on retrouve l'incroyable légende du 7ème quatuor de Beethoven selon laquelle ce dernier aurait été Franc-Maçon. C'est un véritable serpent de mer musical maçonnique ! Rappelons que nous ne connaissons aucun document prouvant l'initiation de Beethoven.

Notre étonnement n'est pas fini car, à la suite de cette planche indigente, il y a un concert qui n'est pas moins surprenant.

Il commence par "Ode for the New Freemason's Hall" (l'ode pour l'ouverture du Freemason's Hall) de John Fisher (1776) pour Ténor, Basse, Choeur et Orchestre suivi de "la chanson de l'Apprenti Entré" de Matthew Birkhead. Viennent ensuite le lied du Compagnon, "Gesellenreise", de Mozart, un lied de Haydn et "l'Ode à la Fraternité", op. 113 de Sibelius.

Les choses se gâtent avec un soi-disant lied Maçonnique de Beethoven. En réalité, c'est le Dr Wegeler, un Maçon, qui a mis des paroles maçonniques sur une musique de Beethoven. Ceci est aujourd'hui parfaitement connu.

En guise de point d'orgue à ce concert consacré à la musique Maçonnique et donné dans le cadre des Q.C., véritable académie de l'érudition maçonnique, on n'a rien trouvé de mieux que de jouer du Charles Godfrey: "Ouverture de la Loge - l'initiation - les diacres - les surveillants - le vénérable Maître". Ce Charles Godfrey est un musicien totalement inconnu et probablement un chef d'orchestre de square. En tous cas un musicien de troisième ordre qu'il est pour le moins curieux d'avoir choisi pour illustrer et surtout conclure une planche sur la musique Maçonnique.

Mais ce n'est pas tout! La flèche du Parthe arrive enfin lorsqu'on apprend qu'il avait 4 solistes, 6 membres du choeur, 18 musiciens d'orchestre, tous Francs-Maçons et que 7 femmes fournissaient les parties de Soprano et de Contralto dans le choeur! Ceci est tout à fait contraire à la tradition Maçonnique et britannique où ces voix sont tenues par des enfants. Comment peut-on faire exécuter de la musique Maçonnique par des femmes et, en plus, dans l'enceinte des Q.C.?

Dans un ordre de choses plus traditionnel, on annonce un projet de création d'une société musicale sur le modèle de la "Philo Musicae et Architecturae Societas Apoloni" des années 1730. Cette société, appuyée sur la Loge de Queen's Head, était dirigée par un très grand musicien, François-Xavier Geminiani (1687-1762), qui en était le "Dictatore" (sic). Signalons que c'est dans cette société que l'on trouve la première attestation d'une élévation au Grade de Maître, le 12 Mai 1725 ().

La future société musicale se réunira deux fois l'an. Il y aura un travail sur la musique et la Maçonnerie suivi d'un concert donné par des musiciens Francs-Maçons. On s'inspirera des règlements de la "Philo Musicae Societas" pour établir le rituel et la façon de travailler.